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de Dieu : << Seigneur, dit-il, quoique je ne sois qu'une misérable créature, je suis en relation avec toi par le moyen de ta grâce, et je puis et je dois approcher de toi pour ton peuple. Tu as fait de moi un humble instrument pour leur faire quelque bien et trávailler à ton service. Beaucoup d'entre eux m'ont estimé plus que je ne valais,, quoiqu'il y en ait d'autres qui se réjouiraient de ma mort. Seigneur, de quelque manière que tu disposes de moi, continue et ne cesse de leur faire du bien. Enseigne à ceux qui considèrent trop tes instruments, à compter davantage sur toi ; et pardonne à ceux qui désirent fouler aux pieds la poussière d'un pauvre ver de terre, car ils sont aussi ton peuple. » Quand il eut rendu le dernier soupir, le chapelain Sterry s'éeria: Cessez de pleurer, vous devez plutôt vous réjouir. Il était votre protecteur ici-bas, il sera un protecteur encore plus puissant, à présent qu'il est avec le Christ, à la droite du Père. Un autre personnage plus grave annonça cet événement au gouverneur d'Irlande, avec la même confiance dans la sainteté de Cromwell: Il est monté au ciel embaumé dans les larmes de son peuple, et porté sur les ailes des prières des saints".

Le lendemain, quatorze septembre, Richard Cromwell, fils aîné du défunt, est proclamé protecteur. C'était un homme commun; il ne sut que faire de la gloire et des crimes de son père. L'armée, depuis long-temps domptée par son chef, reprit l'empire. L'oncle de Richard et son beau-frère se mirent, avec le général Lambert, à la tête des officiers, et foreèrent le faible protecteur de dissoudre le parlement, qui seul le soutenait. Chaque jour amenait un nouvel embarras, une nouvelle peine; Richard, qui s'oubliait et qu'on oubliait, qui détestait le joug militaire et qui n'avait pas la force de le rompre, qui n'était ni républicain ni royaliste, qui ne se souciait de rien, qui laissait les gardes lui dérober son dîner et l'Angleterre aller toute seule, Richard abdiqua le protectorat le vingtdeux avril 1659. De tous les soucis du trône, le plus grand pour lui fut de sortir de Whitehall, non qu'il tînt au palais, mais parce qu'il fallait faire un mouvement pour en sortir. Il n'emporta que deux grandes malles remplies des adresses et des congratulations qu'on lui avait présentées pendant son petit règne; on lui disait dans ces félicitations que Dieu lui avait donné, à lui Richard, l'autorité pour le bonheur des trois royaumes. Quélques amis lui demandèrent ce que ces malles renfermaient de si précieux : « Le bonheur du peuple anglais, » répondit-il en riant.

Lingard,it. 11, p. 400-402.

Le conseil des officiers, demeuré maître, rappela le parlement croupion, et dans le jargon des partis, les principes de ce parlement se nommèrent la vieille bonne cause. Il ne se trouva qu'une quarantaine de députés à la première réunion, encore fallut-il aller chercher en prison deux de ces législateurs enfermés pour dettes. Cette momie estropiée, arrachée de son tombeau, crut un moment qu'elle était puissante, parce qu'elle se souvenait d'avoir fait juger un roi. A peine ressuscitée, elle attaqua l'autorité militaire, qui lui avait rendu la vie; mais le croupion était sans force, car il était placé entre les royalistės unis aux presbytériens, qui voulaient le retour de la monarchie légitime, et les officiers indociles au joug de l'autorité civile.

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A la suite d'autres incidents, où le général Monck parut en première ligne, le long parlement, après avoir ordonné des élections générales, prononça sa propre dissolution. Le peuple brûla en réjouissance, sur les places publiques, des monceaux de croupions de divers animaux. Le nouveau parlement, divisé, selon l'ancienne forme, en deux chambres, s'assembla le vingt-cinq avril 1660. Monck s'était déclaré républicain et l'ennemi des Stuarts, mais, en secret, il se concertait avec Charles II pour le faire monter sur le trône. Sur les insinuations de Monck, les deux chambres rappelèrent le roi, qui était en Hollande. Deux députés, dont un royaliste, demandèrent que, de part et d'autre, on fixât les prérogatives de la couronne et les droits du parlement, afin d'éviter les collisions qui avaient eu lieu et qui pouvaient se renouveler encore. Monck s'opposa à cette mesure de conciliation, tout resta dans le vague: ce fut un malheur. Car, comme l'observe Châteaubriand, la déclaration royale de Charles ne promettait rien; ce n'était pas une charte. Charles ne faisait ni la part aux conquêtes du temps, ni les concessions nécessaires aux mœurs, aux idées, à la possession et aux droits, acquis; dès-lors une seconde révolution devenait inévitable, et le prince légataire du trône déshéritait sa famille 1.

Charles II fit son entrée dans Londres le vingt-neuf mai 1660, trentième anniversaire de sa naissance, et mourut le seize février 1685, dans la cinquante-cinquième année de son âge. Sa grande affaire pendant tout son règne furent ses plaisirs. Il ne laissa pas un enfant légitime, mais une foule de bâtards adultérins, qu'il honora de grands titres. L'exemple du roi fut imité par la cour : l'immoralité devint publique. Les cavaliers ou anciens royalistes, dit Lingard, pour célébrer leur triomphe, se livrèrent à la débauche et à

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l'ivrognerie; et les nouveaux royalistes, pour prouver la sincérité de leur conversion, s'efforcèrent de surpasser les cavaliers en licence1. — La débauche était le plus sûr moyen de parvenir, dit la Biographie universelle. On dit que Charles II dit un jour à un de ses ministres, Shaftesbury, dans un moment de gaîté; Je crois que tu es le plus mauvais sujet de mes états. Votre majesté a raison, répliqua le ministre, si elle entend parler seulement de ses sujets". - Enfin, Châteaubriand conclut: S'il était possible de supposer que la corruption des mœurs répandue par Charles II en Angleterre fût un calcul de sa politique, il faudrait ranger ce prince au nombre des plus abominables monarques; mais il est probable qu'il ne suivit que le penchant de ses inclinations et la légèreté de son caractère 3.

Dans les premiers jours de la restauration, on cherchait comment on pourrait jamais être assez esclave pour expier le crime d'indépendance: c'était une émulation domestique qui débarrassait le maître des actes de rigueurs le clergé et le parlement se chargeaient de tout. Les communes passèrent un acte afin d'établir ou de rétablir la doctrine de l'obéissance passive. Le bill des convocations triennales fut aboli; une espèce de long parlement royal dura dix-sept années pour la corruption, l'impiété et la servitude, comme le long parlement républicain en avait existé vingt pour le rigorisme, le fanatisme et la liberté. Tout prit le caractère d'une monarchie absolue dans une monarchie représentative; les intérêts publics furent traités comme des intérêts privés; ce ne furent plus les révolutions, mais les intrigues qui élevèrent les échafauds 4.

Un des premiers actes de Charles II fut de punir les meurtriers de son père. Tous les régicides furent déclarés coupables, et condamnés à mort. Dix furent exécutés aussitôt. Le langage de ces hommes devant la cour et après leur condamnation, dit Lingard, offrit des traits du fanatisme le plus exalté. Pour prouver la justice de leur cause, ils en appelèrent aux victoires que le Seigneur avait données à leurs épées; à leurs Bibles, où il était enjoint de répandre le sang de qui a versé celui de ses semblables; à l'Esprit de Dieu, qui avait témoigné à leur esprit que le supplice de Charles Stuart était un acte nécessaire de justice, une action glorieuse, dont le bruit s'était répandu parmi la plupart des nations, et une reconnaissance solennelle de la haute suprématie que le roi du ciel

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'Lingard, t. 12, p. 95. — Biogr. univ., t. 42. Shaftesbury. 3 Les Stuarts. Charles II. - Ibid.

exerce sur les rois de la terre. Des sentiments semblablables les animèrent et les soutinrent sur l'échafaud. Lorsqu'on leur dit de se repentir, ils répondirent qu'ils s'étaient déjà repentis de leurs péchés, et qu'ils étaient sûrs du pardon; mais qu'ils n'osaient pas se repentir de la part qu'ils avaient eue à la mort du feu roi, car se repentir d'une bonne action serait offenser Dieu; qu'ils étaient fiers de mourir pour une aussi bonne cause; que leur martyre serait le spectacle le plus glorieux que le monde eût jamais vu depuis la mort du Christ; mais que leurs persécuteurs devaient trembler : que la main du Seigneur était déjà levée pour venger leur sang innocent, et que, dans peu de temps, là cause de la royauté serait abattue devant celle de l'indépendance. Ils prononcèrent cette prédiction avec la confiance des prophètes, et se soumirent à leur sort avec la constance des martyrs 1.

Certainement, aux yeux de tout catholique, comme aux yeux de l'historien Lingard, ce langage respire le fanatisme le plus exalté. Mais il n'en est pas de même des protestants de toute espèce, qui savent ce qu'ils sont et ce qu'ils disent. Ceux-là, au lieu d'un fanatisme exalté, ne verront dans le langage des régicidés anglais que l'application calme et raisonnée des premiers principes du protestantisme, des premiers principes de Luther, Calvin et Wiclef. Calvin ne soutient-il pas contre l'Eglise catholique, que la grâce de Dieu, une fois reçue, ne peut jamais se perdre? De là, lẽ régícide Cromwell n'avait-il pas raison de conclure: Or, je suis sûr d'avoir été une fois en état de grâce; donc j'y suis encore? Et ses admirateurs n'avaient-ils pas calvinistement raison de l'appeler un saint? - Et les royalistes, qui, sous Charles II, déterrèrent son cadavre et l'attachèrent à une potence, n'ont-ils pas commis une profanation sacrilège?

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Luther et Calvin ne soutiennent-ils pas, contre l'Eglise catholique, que Dieu opère en nous le mal comme le bien; que la trahison de Judas n'est pas moins l'œuvre de Dieu que le repentir de saint Pierre? De là, Cromwell et ses collègues n'avaient-ils pas calvinistement raison de conclure que leurs trahisons, leur régicide étaient des actions divines et adorables? Luther, Calvin, tous les protestants ne soutiennent-ils pas, contre l'Eglise catholique, que ce n'est pas à elle que l'Esprit de Dieu atteste le vrai sens des Ecritures, mais à l'esprit de chacun? De là, Cromwell et ses collègues n'ont-ils pas eu raison de conclure que, d'après le témoignage de l'Esprit de Dieu à leur esprit, le supplice de Charles Stuart était un acte nécessaire de justice, une action glorieuse?

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Si les disciples de Luther et de Calvin n'ont pas toujours parlé et agi de même, il n'y a pas de quoi s'en étonner. Penser ce que l'on veut et agir en conséquence, voilà le fond du protestantisme. - Ce qu'un protestant dit aujourd'hui ne l'engage pas pour demain. Il peut, sans inconséquence, reconnaître un jour l'indépendance absolue des rois, et le lendemain les déclarer déchus, les envoyer même à l'échafaud; octroyer à Henri VIII le privilége d'être un tyran, et couper la tête à Charles Ier, parce qu'il ne l'est pas. Ses variations sur ce point ne sont que les conséquences naturelles d'un principe invariable. Quoi qu'il dise, en quelque forme qu'il proteste, toujours est-il qu'en vertu du principe fondamental du protestantisme, le souverain temporel est nécessairement sujet au libre examen, à la juridiction spirituelle, inaliénable, imprescriptible, suprême de chaque individu.

Ce qui est vrai du souverain, l'est également de la loi et de toute autorité quelconque. En effet, si chaque individu est à lui-même sa règle souveraine, personne n'a rien à lui dire, de quelque manière qu'il pense, qu'il raisonne, qu'il conclue, et que, par suite, il agisse. Lors donc qu'un individu conclut qu'il est dégagé de son serment de fidélité, qu'il ne doit plus obéir à son prince, qu'il peut ôter à son prochain ses biens et sa vie même, et qu'il exécute son jugement privé, il est absurde de le blâmer, tyrannique de le punir. -De là diverses conséquences.

I. Tout gouvernement protestant est, de sa nature, une absurdité et une tyrannie. D'un côté, il proclame chacun juge souverain de ce qui est vrai, de ce qui est juste, de ce qui est droit, de ce qui est devoir; chacun maître souverain de réformer aujourd'hui ce qu'il a décidé hier, et demain ce qu'il décide aujourd'hui. C'est même là sa loi fondamentale. Mais, après cela, n'est-il pas absurde de vouloir imposer à ce juge souverain des lois qu'il n'a pas faites? absurde de vouloir qu'il les approuve deux jours de suite? absurde de vouloir qu'il les observe quand il ne le juge plus à propos? tyrannique de le punir de quoi qu'il fasse? car n'est-ce pas violer à son égard la loi fondamentale du protestantisme, le droit inviolable, imprescriptible du libre examen?

II. Tout souverain, par là seul qu'il est protestant, se dépose lui-même de la souveraineté, délie lui-même ses sujets de tout devoir. En effet, par là seul qu'il est protestant, il déclare chacun de ses sujets maître de penser comme il veut, et d'agir comme il pense. Lors donc que ses sujets lui obéissent encore, il doit le prendre comme une pure complaisance de leur part; et quand ils jugent à propos de ne plus lui obéir, il ne peut y voir qu'un légitime usage.

TOME XXV.

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