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à en faire des actes en cette manière, etc. On m'a aussi enseigné à faire des actes de foi, d'espérance, d'amour de Dieu en cette manière, etc. >>

Enfin, pour ne point faire cette visite des malades les mains. vides, ces bonnes dames convinrent avec Vincent qu'il était expédient, outre les paroles de consolation et d'édification qu'on leur disait, de leur porter quelques douceurs par manière de collation entre le dîner et le souper. A cet effet, elles louèrent une chambre près l'Hôtel-Dieu, pour y préparer et garder les confitures, fruits, linges, plats et autres ustensiles convenables. Il fut aussi résolu d'y mettre des filles de la charité, pour acheter et préparer toutes les choses nécessaires, et pour aider les dames à distribuer ces collations aux malades.

On ne saurait dire tout le bien que produisit cette sainte œuvre. Dès la première année, la bénédiction de Dieu y fut si abondante, qu'il y eut plus de sept cent soixante personnes dévoyées de la vraie foi, tant Luthériens, Calvinistes que Turcs, qui se convertirent et embrassèrent la religion catholique. Et cette grâce extraordinaire, que Dieu répandait sur les emplois et les soins charitables de ces dames, mit l'Hôtel-Dieu en telle estime, qu'une honnête bourgeoise de Paris, étant malade, demanda d'y être reçue en payant sa dépense, et bien au-delà, pour y être secourue et assistée spécialement comme les pauvres : ce qui lui fut accordé1.

La charité de ces vertueuses dames ne s'est pas bornée à cette seule bonne œuvre, dit le premier biographe de Vincent de Paul; mais par une grâce toute singulière qu'elles ont reçue de Dieu, par l'entremise de leur sage directeur, elles ont entrepris, sous sa cònduite et par ses avis, plusieurs autres choses très-importantes pour la gloire de Dieu, pour le service de son Eglise et pour le salut des âmes. Car, outre ce qu'elles ont fait à l'Hôtel-Dieu pour le service des malades et le bon ordre de la maison, elles ont encore pris le soin de la nourriture et de l'éducation des pauvres enfants trouvés de la ville et des faubourgs de Paris, qui étaient auparavant dans un étrange abandon, et qui sont obligés à leur charité, non-seulement de la vie qu'elles leur ont sauvée, mais aussi des autres assistances spirituelles qui leur sont données pour mener une vie chrétienne et pour faire leur salut. C'est par leur moyen que la maison des Filles de la Providence a été instituée pour y recevoir, instruire, occuper et mettre en assurance plusieurs honnêtes filles, qui, sans ce lieu de retraite, seraient en grand danger, pour n'avoir aucun

1 ' Abelly, 1. 2, c. 4.

établissement ni condition ou refuge dans Paris. Dieu s'est aussi voulu servir des mêmes dames pour poser comme les premiers fondements de l'hôpital général ; et celui qui a été établi à Sainte-Reine, où l'on exerce tant d'œuvres de miséricorde, est aussi beaucoup redevable à leur charité.

Elles ont encore notablement contribué à l'entreprise et à l'entretien de plusieurs missions dans les pays étrangers, comme aux fles Hébrides, à Madagascar, etc.; et leur zèle a fait ressentir son ardeur jusque dans les régions les plus éloignées des Indes, où elles ont, par leurs bienfaits, facilité l'envoi de plusieurs missionnaires, et, outre cela, elles ont encore déployé leurs libéralités pour contribuer aux frais du voyage que les évêques d'Héliopolis, de Béryte et de Métellopolis ont entrepris, avec la permission du Saint-Siége apostolique, au Tonquin et à la Chine, pour aller en ces vastes provinces travailler à la conversion des infidèles et à l'accroissement du royaume de Jésus-Christ.

Enfin, elles se sont employées avec une charité infatigable, et avec des dépenses incroyables, à secourir et assister, pendant tout le temps des guerres passées, la Lorraine, la Champagne, la Picardie et quantité d'autres lieux qui ont été le plus affligés de ce fléau '.

Pour bien apprécier l'esprit et le cœur de Vincent de Paul, il est bon de connaître l'état de l'Allemagne, de la France et de l'Angleterre. Ces trois pays continuaient à se révolutionner l'un l'autre : l'Allemagne, par sa guerre de trente ans, entre les catholiques et les protestants, où la France aida les protestants contre les catholiques : d'où le ravage de la Lorraine par les Français et les Suédois. L'Angleterre passait d'une révolution à une autre. Sa révolution ou réforme de Henri VIII, d'Edouard VI et d'Elisabeth, l'Angleterre protestante l'avait consacrée par le régicide, par le meurtre de Marie Stuart. En 1603, à la mort de la régicide Elisabeth, l'An- ́ gleterre protestante met sur son trône et dans son lit le propre fils de Marie Stuart, mais fils apostat d'une mère catholique et martyre, mais puritain ou calviniste en Ecosse, anglican, ou épiscopalien en Angleterre, Jacques Ier, que Sully, ambassadeur de Henri IV, appelle le plus sage fou de l'Europe, et que, suivant Lingard, la postérité a classé parmi les rois faibles et prodigues, et parmi les pédants vaniteux et bavards 2. Comme il mourut en 1625, l'Angleterre protestante lui reconnut pour successeur son fils Charles Ier, à qui elle coupe la tête le neuf février 1649, pour se constituer en

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république jusqu'en 1653, se soumettre ensuite à un protecteur, le régicide Olivier Cromwell et son fils Richard, reprendre enfin, l'an 1660, sous le nom de roi, Charles II, fils de Charles Ier, lequel étant mort en 1685, elle reconnut Jacques II jusqu'en 1688, où elle l'envoya promener avec son fils, et appela, pour trôner à sa place, son gendre, le Hollandais Guillaume : c'est ce qu'elle appelle sa glorieuse révolution ou troisième réforme. Le dernier des Stuarts est mort de nos jours, dans la capitale de la chrétienté, doyen du sacré collége, sous le nom du cardinal d'Yorck.

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Parmi les hommes qui ont contribué à expulser sa famille du trône d'Angleterre, il en est un qu'on n'en soupçonnait guère jusqu'à présent. Châteaubriand, dans ses Quatre Stuarts, article Charles II, s'exprime en ces termes : « La correspondance diplomatique nous apprend le rôle odieux que joua Louis XIV alors, et la funeste influence qu'il exerça sur la destinée de Charles et de Jacques; en même temps qu'il encourageait le souverain à l'arbitraire, il poussait les sujets à l'indépendance, dans la petite vue de tout brouiller et de rendre l'Angleterre impuissante au dehors. Les ministres de Charles et les membres les plus remarquables de l'opposition du parlement étaient pensionnaires du grand roi1. » Châteaubriand fait encore cette remarque sur la mort de Cromwell : << La plupart des souverains de l'Europe mirent des crêpes funèbres pour pleurer la mort d'un régicide: Louis XIV porta le deuil de Cromwell auprès de la veuve de Charles Ier 2. » Cè même roi de France fit bien d'autres galanteries à Cromwell vivant. Devenu maître de Dunkerque en 1658, par le bras de Turenne, Louis XIV en remit les clés, de sa propre main, à l'ambassadeur de Cromwell 3. Dès 1655, pour complaire au régicide anglais, Louis XIV lui promit, et lui tint parole, d'exclure du royaume de France le fils et le frère du roi assassiné, fils qui, pár sa mère, était pourtant le petit-fils de Henri IV, comme Louis XIV par son père". Même avant le protectorat de Cromwell, toutes les puissances de l'Europe avaient reconnu la république anglaise 5. On ne lit pas qu'une seule ait fait mine de tirer l'épée pour venger le meurtre de Charles Ier, mais on connaît le nom de celle qui aida les révolutionnaires d'Ecosse à préparer les voies à ce meurtre. Dans l'Histoire des Français, par Sismondi, on lit sur l'année 1658 : « Richelieu (principal ministre de Louis XIII) offrit dès-lors son assistance aux puritains d'Ecosse,

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'OEuvres complètes de Châteaubriand. Paris, Firmin Didot, 1843, t. 2, p. 133, col. 2. 3 Lingard, t. 11, p. — 2 Ibid., p. 127, col. 2. Ibid., p. 5 Châteaubriand, t. 2, p. 119, col. 2..

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qui, à cette époque, se confédéraient contre l'autorité royale par leur célèbre Covenant. La correspondance du comte d'Estrades, ambassadeur en Angleterre, fait foi que Richelieu fit exciter par lui les puritains, et qu'il leur envoya en Ecosse un agent pour leur promettre son affection et sa protection. Sir William Temple fut informé plus tard que Richelieu leur fit passer dans ce but deux cent mille pistoles '. »

Comme roi d'Angleterre, Jacques Ier était le pape ou chef spirituel de l'apostasie anglicane; chef absolu, du moins, avec son parlement. Non content de cela, il se prétendait encore, au temporel, le maître absolu de l'Angleterre, de l'Ecosse et de l'Irlande, même sans le parlement et malgré le parlement. A cet effet, il formula par écrit, et soutint, comme auteur, cette doctrine: Que le roi tient son pouvoir immédiatement de Dieu, et non point médiatement par le peuple; que, par conséquent, il n'est tenu à aucune loi ni législature humaine, qu'autant qu'il le juge à propos 2. Sa doctrine de l'absolutisme royal fut réfutée, de la part des catholiques, par les Jésuites Suarès et Bellarmin, qui firent voir que, d'après l'enseignement commun des Pères, des docteurs, des théologiens et jurisconsultes orthodoxes, le roi tient son pouvoir de Dieu, non pas immédiatement, mais médiatement par le peuple; que, par conséquent, il est tenu à son serment et aux lois fondamentales du royaume, et que, s'il les foule aux pieds, il peut être jugé par l'autorité compétente.

Quelle est cette autorité, particulièrement pour l'Angleterre, Bellarmin le montre au roi Jacques par le témoignage de ses prédécesseurs. L'an 1173, Henri II écrivait au pape Alexandre III en ces termes : << A son très-saint seigneur Alexandre, par la grâce de Dieu souverain Pontife de l'Eglise catholique, Henri, roi d'Angleterre, duc de Normandie et d'Aquitaine, comte d'Anjou et du Maine: salut, et obéissance d'une soumission dévouée. Le royaume d'Angleterre est de votre juridiction; et quant à l'obligation du droit féodal, je ne me reconnais sujet qu'à vous. Que l'Angleterre apprenne ce que peut le Pontife romain; et puisqu'il n'use pas d'armes matérielles, qu'il défende par le glaive spirituel le patrimoine de saint Pierre 3. » La reine Eléonore, mère de Richard Coeur de Lion, écrivait au pape Célestin III: « N'est-ce point l'apôtre Pierre, et vous dans sa personne, que Dieu a chargé de régir tout royaume et toute puissance? Béni soit Dieu d'avoir donné une puissance pareille aux

'Simondi, t. 23, p. 364. - Bazin, t. 4, p. 106. - Le Vassor, t. 5, p. 565. — 2o Lingard, t. 9, p. 134. 3 Apud Baron., an. 1173.

hommes! Ni roi, ni empereur, ni duc n'est exempt du joug de votre autorité '. Et dans une autre lettre : « Or, le prince des apôtres règne et commande encore dans le Siége apostolique. Il reste donc que vous, ô Père, vous tiriez contre les méchants le glaive de Pierre, qui a été établi pour cela sur les nations et sur les royaumes 2. » Enfin, il existe une ambassade du roi Richard au Pontife romain en ces termes : « Saint Père, notre seigneur le roi Richard d'Angleterre salue votre excellence, et demande justice contre le duc d'Autriche 3. »

Jacques Ier et ses successeurs ne s'émurent pas beaucoup de l'ancienne doctrine des catholiques ni du témoignage des anciens rois d'Angleterre. La nouvelle doctrine de l'absolutisme royal, auquel l'apostat Cranmer avait préparé les voies en supprimant la part électorale du peuple dans l'inauguration d'Edouard VI, cette nouvelle doctrine fut solennellement décrétée le vingt-un juillet 1683, sous Charles II, par l'université protestante d'Oxford. Ce jour-là, elle proscrivit à l'unanimité une série de vingt-sept propositions, dont voici les trois premières : 1° Toute autorité civile dérive originairement du peuple. 2o Il existe un pacte mutuel, tacite ou exprès, entre un prince et ses sujets; et si lui ne remplit pas ses obligations, eux sont déchargés des leurs. 3o Si des gouvernants légitimes deviennent tyrans, ou s'ils gouvernent autrement qu'ils ne doivent d'après les lois divines et humaines, ils perdent le droit qu'ils avaient à leur gouvernement. Ces trois propositions, citées entre autres de Bellarmin, chapitre des conciles et du pontife, l'université anglicane d'Oxford les déclare fausses, séditieuses et impies, contraires aux saintes Ecritures, décrets des conciles, écrits des Pères, à la foi de la primitive Eglise, et, de plus, destructives du gouvernement royal, de la sécurité de sa royale majesté, de la paix publique, des lois de la nature et des liens de la société humaine". Voilà ce que décrétèrent à l'unanimité les docteurs de l'université protestante d'Oxford, cinq ans juste avant qu'ils envoyassent promener leur roi légitime Jacques II, pour inaugurer à sa place l'usurpateur Guillaume de Hollande.

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Jacques Ier, comme roi d'Ecosse, n'était point le pape ou le chef spirituel de l'apostasie écossaise le puritanisme ou calvinisme écossais ne reconnaissait ni pape ni évêques, mais simplement des prêtres, des ministres ou des anciens. Les apostats écossais disaient nettement : Le gouvernement presbytérien est le sceptre du

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'Petr. Bles., epist. 145. — 2 Epist. 146. 3 Math. Paris, 1195. Bellarm. Apologiæ, c. 3. — Wilkins, t. 4, p. 6f0.

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