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On ne saurait se faire une idée de l'importance que Vincent de Paul attachait à ces exercices, et dans quels termes il en parlait aux siens. S'employer pour faire de bons prêtres, leur disait-il un jour, et y concourir comme une cause seconde, efficiente, instru→ mentale, c'est faire l'office de Jésus-Christ, qui, pendant sa vie mortelle, semble avoir pris à tâche de faire douze bons prêtres, qui sont ses apôtres, ayant voulu, pour cet effet, demeurer plusieurs années avec eux pour les instruire et les former à ce divin ministère. »

Et un autre jour, faisant une conférence avec ceux de sa communauté sur ce même sujet, après qu'il en eut fait parler plusieurs, il conclut en ces termes : « Béni soyez-vous, Seigneur, des bonnes choses qu'on vient de dire, et que vous avez inspirées à ceux qui ont parlé. Mais, mon Sauveur, tout cela ne servira de rien, si vous n'y mettez la main; il faut que ce soit votre grâce qui opère tout ce qu'on a dit, et qui nous donne cet esprit sans lequel nous ne pouvons rien. Que savons-nous faire, nous qui sommes de pauvres misérables? O Seigneur ! donnez-nous cet esprit de votre sacerdoce qu'avaient les apôtres et les premiers prêtres qui les ont suivis, Donnez-nous le véritable esprit de ce sacré caractère que vous avez mis en de pauvres pécheurs, en des artisans, en de pauvres gens de ce temps-là, auxquels, par yotre grâce, vous avez communiqué ce grand et divin esprit. Car, Seigneur, nous ne sommes aussi que de chétives gens, de pauvres laboureurs et paysans; et quelle proportion y a-t-il dé nous, misérables, à un emploi si saint, si éminent et si céleste? O messieurs et mes frères! que nous devons bien prier. Dieu pour cela, et faire quelque effort pour ce grand besoin de l'Eglise, qui s'en va ruinée en beaucoup de lieux par la mauvaise vie des prêtres; car ce sont eux qui la perdent et qui la ruinent, et il n'est que trop vrai que la dépravation de l'état ecclésiastique est la cause principale de la ruine de l'Eglise de Dieu. J'étais ces jours passés dans une assemblée où il y avait sept prélats, lesquels, faisant réflexion sur les désordres qui se voient dans l'Eglise, disaient hautement que c'étaient les ecclésiastiques qui en étaient la principale cause.

» Ce sont donc les prêtres; oui, nous sommes la cause de cette désolation qui ravage l'Eglise, de cette déplorable diminution qu'elle a soufferte en tant de lieux, ayant été presque entièrement ruinée dans l'Asie et dans l'Afrique, et même dans une grande partie de l'Europe, comme dans la Suède, dans le Danemarck, dans l'Angleterre, l'Ecosse, l'Irlande, la Hollande et autres provinces unies, et dans une grande partie de l'Allemagne et combien voyons-nous

d'hérétiques en France? Et voilà la Pologne qui, étant déjà beaucoup infectée de l'hérésie, est présentement, par l'invasion du roi de Suède, en danger d'être tout-à-fait perdue pour la religion.

» ....

Songeons donc à l'amendement de l'état ecclésiastique, puisque les méchants prêtres sont la cause de tous ces malheurs, et que ce sont eux qui les attirent sur l'Eglise. Ces bons prélats l'ont reconnu par leur propre expérience et l'ont avoué devant Dieu, ét nous lui devons dire: Oui, Seigneur, c'est nous qui avons provoqué votre colère; ce sont nos péchés qui ont attiré ces calamités. Oui, ce sont les clercs et ceux qui aspirent à l'état ecclésiastique, ce sont les sous-diacres, ce sont les diacres, ce sont les prêtres, nous qui sommes prêtres, qui avons fait cette désolation dans l'Eglise. Mais quoi, Seigneur, que pouvons-nous faire maintenant, si ce n'est de nous en affliger devant vous, et nõus proposer de changer de vie? Oui, mon Sauveur, nous voulons contribuer en tout ce que nous pourrons pour satisfaire à nos fautes passées, et pour mettre en meilleur ordre l'état ecclésiastique; c'est pour cela que nous sommes ici assemblés et que nous vous demandons cette grâce.

> Ah! messieurs! que ne devons-nous pas faire ! C'est à nous que Dieu a confié une si grande grâce que celle de contribuer à rétablir l'état ecclésiastique. Dieu ne s'est pas adressé pour cela ni aux docteurs ni à tant de communautés et religions pleines de science et de sainteté, mais il s'est adressé à cette chétive, pauvre et misérable compagnie, la dernière de toutes et la plus indigne. Qu'est-ce que Dieu a trouvé en nous pour un si grand emploi? où sont nos beaux exploits? où sont les actions illustres et éclatantes que nous avons faites? où cette grande capacité? Rien de tout cela : c'est à de pauvres misérables idiots que Dieu, par sa pure volonté, s'est adressé, pour essayer encore à réparer les brèches du royaume de son Fils et de l'état ecclésiastique. O messieurs, conservons bien cette grâce que Dieu nous a faite, par préférence à tant de personnes doctes et saintes, qui le méritaient mieux que nous; car si nous venons à la laisser inutile par notre négligence, Dieu la retirera de nous pour la donner à d'autres, et nous punir de notre infidélité. Hélas! qui sera-ce de nous qui sera la cause d'un si grand malheur, et qui privera l'Eglise d'un si grand bien? ne sera-ce point moi, misérable? Qu'un chacun de nous mette la main sur sa conscience, et disc en lui-même Ne serai-je point ce malheureux? Hélas! il n'en faut qu'un misérable tel que je suis, qui par ses abominations détourne les faveurs du ciel de toute une maison, et y fasse tomber la malédiction de Dieu. O Seigneur! qui me voyez tout

couvert et tout rempli de péchés qui m'accablent, ne privez pas pour cela de vos grâces cette petite compagnie! Faites qu'elle continue à vous servir avec humilité et fidélité, et qu'elle coopère au dessein qu'il semble que vous avez de faire, par son ministère, un dernier effort pour contribuer à rétablir l'honneur de son Eglise 1. »

Voilà comme pensait Vincent de Paul, voilà comme il parlait, voilà comme il agissait. Le chrétien ne s'étonnera pas qu'avec une humilité si parfaite et si active, Dieu l'ait béni dans toutes ses œuvres. Les retraites des ordinands, adoptées en France, en Italie et à Rome, où elles furent non-seulement approuvées, mais ordonnées par le Pape, produisirent partout les mêmes fruits de salut pour la régénération du sacerdoce.

Le collége des Bons-Enfants offrait peu d'espace pour les retraites, qui devenaient toujours plus nombreuses. La Providence y pourvut. Dès l'an 1630, on vint offrir à Vincent de Paul, pour lui et sa communauté, la maison seigneuriale de Saint-Lazare, une des plus considérables de Paris. C'était une ancienne léproserie, ayant droit de haute, moyenne et basse justice, avec un vaste enclos qui s'étendait dans la campagne. Cette maison était occupée par huit chanoines réguliers, dont le chef avait le titre de prieur, comme l'ancien chef de la léproserie. A la suite d'un différend qu'ils eurent entre eux, ils convinrent de céder la maison à Vincent de Paul, à la seule condition d'y terminer le reste de leur vie. Le prieur, nommé Adrien Lebon, accompagné d'un ami commun, vint lui en faire les offres. Mais il se rencontra une difficulté presque insur→ montable : c'était la répugnance de Vincent à accepter une maison si grande et si commode. Après une année de sollicitations et d'instances, on n'était pas plus avancé que le premier jour. A la fin, le prieur s'avisa de lui dire: Monsieur, quel homme êtes-vous? Si vous ne voulez pas entendre à cette affaire, dites-nous au moins de qui vous prenez avis,en qui vous avez confiance, quel ami vous avez à Paris, à qui nous puissions nous adresser pour en convenir? Car j'ai le consentement de tous mes religieux, et il ne me reste que le vôtre. Il n'y a personne qui veuille votre bien et qui ne vous conseille de recevoir celui que je vous présente. Pour le coup, Vincent lui indiqua un saint homme, André Duval, docteur de Sorbonne, et dit: Nous ferons ce qu'il nous conseillera. Par suite, un concordat fut conclu le sept janvier 1632, et le lendemain Vincent de

Abelly, l. 1, c. 26.

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Paul prit possession de la maison de Saint-Lazare, d'où les prêtres de sa congrégation ont été nommés Lazaristes1.

Depuis la révolution française de 1793, la maison de Saint-Lazare n'appartient plus à la congrégation dont elle porte le nom. Son église a été détruite, son vaste enclos divisé, et les bâtiments qui subsistent encore ont été transformés en une prison de femmes. Les membres de la congrégation de la mission habitent maintenant l'hôtel de Lorges, dans la rue de Sèvres; c'est là que réside le supérieur général.

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Mais revenons à Vincent de Paul. Comme les retraites spirituelles faisaient tant de bien sur les ecclésiastiques, on pensa qu'elles n'en feraient pas moins sur les séculiers. Vincent de Paul ouvrit donc sa maison à tout le monde, surtout depuis qu'il fut installé à SaintLazare. Voici le témoignage qu'en a rendu une personne qui y fit plusieurs retraites. « Comme Paris est l'abord de toutes sortes de personnes, aussi tous les misérables et les affligés, de quelque condition qu'ils fussent, étaient assurés de trouver un asile et une maison de secours et de consolation pour eux à Saint-Lazare, en lå personne de Vincent et des siens ; sa porte, sa table et toutes ses chambres en sont témoins. J'y ai vu tout à la fois diverses sortes d'ecclésiastiques et de religieux, avec des seigneurs et des magistrats, des soldats, des écoliers, des ermites et des paysans, et tout cela fort bien reçu et accueilli. Vincent ne voulant pas manquer à la consolation et à l'assistance spirituelle d'aucun, il a voulu que sa maison fût une mission perpétuelle, un flux et un reflux d'exercices spirituels, de retraites, de pénitences et de confessions générales pour les pauvres pécheurs qui désireraient se convertir et changer de vie, et généralement pour toutes sortes de personnes, qui y sont reçues, logées et nourries pendant leur retraite, successivement et sans discontinuer pendant toute l'année ; ce qui se fait de si bonné grâce et avec tant de charité, que les plus endurcis s'en retournent tout édifiés et changés, leur cœur étant touché et gagné par cette hospitalité, bénignité et douceur, comme aussi par tous les autres bons exemples qu'ils y voient. » C'est ce premier exemple de Vincent de Paul qui donna' naissance aux maisons de retraites que nous avons déjà vues et admirées en Bretagne. D'un bien en sortait toujours un autre.

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Vincent de Paul cherchait un moyen de rendre durables les heureux effets que les retraites des ordinands produisaient dans le sa¬. cerdoce. Au moment qu'il en était le plus fortement occupé, un

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vertueux ecclésiastique, qui avait profité de ces retraites, vint lui proposer de rassembler de temps en temps, dans la maison de SaintLazare, ceux qui se trouveraient plus disposés à vouloir conserver la grâce reçue dans l'ordination. Une association de cette nature pouvait faire beaucoup de bien; ceux qui y entreraient se porteraient naturellement à vivre dans la régularité : conférant ensemble sur les vertus et les fonctions propres de leur ministère, ils seraient plus en état de se sanctifier eux-mêmes et de sanctifier les autres. C'était précisément à quoi pensait Vincent de Paul; il reçut donc cet avis comme venant de Dieu. La chose ayant été délibérée entre ceux qui voulurent y prendre part, on résolut de s'assembler à Saint-Lazare tous les mardis; on dressa un règlement dont la première partie regarde les conférences mêmes; la seconde prescrit la manière dont chacun emploierait le temps dans son particulier.

Quant aux conférences, Vincent de Paul y dit en substance: 1o Ceux qui y seront admis doivent avoir pour but d'honorer la vie du Fils de Dieu, son sacerdoce éternel, sa sainte famille et son amour envers les pauvres; pour arriver à cette fin, ils se proposeront sérieusement de conformer leur vie à la sienne, de procurer la gloire de Dieu dans l'état ecclésiastique, dans leurs familles et parmi les pauvres non-seulement de la ville, mais aussi de la campagne, selon la dévotion d'un chacun. 2o Cette compagnie ne sera composée que d'ecclésiastiques promus aux ordres sacrés; on n'y admettra que ceux dont la vie et les mœurs seront connues pour être hors de toute atteinte; ils commenceront, avant que d'y entrer, par faire les exercices spirituels; ils tâcheront encore de les faire chaque année, autant qu'il leur sera possible. 5o Le but de ces conférences étant de soutenir et de fortifier dans la piété ceux qui y seront admis, elles n'auront communément pour matière que, les vertus, les fonctions, les emplois qui conviennent à des hommes engagés au service des autels. 4° Tous ceux qui composeront l'assemblée ne s'uniront entre eux que pour être plus étroitement unis en Jésus-Christ. Pour resserrer davantage les liens de cette union et charité toute sainte, ils auront soin de se visiter et de se con→ soler mutuellement, surtout dans leurs afflictions et leurs maladies. L'affection qu'ils se porteront les uns aux autres paraîtra et pendant la vie et après la mort ; pour cela, ils assisteront aux obsèques de ceux d'entre eux que Dieu appelera à lui, ils diront trois messes ou ils communieront à leur intention.

Quant à l'emploi de la journée, Vincent prescrivit à ces messieurs de se lever tous les jours à une heure réglée; de donner, tous les

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