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proférer un mot de plainte. « Je suis bien plus surpris, disait-il, de n'avoir eu qu'un censeur, que s'il s'en fût trouvé un plus grand nombre. »

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En général, quand on venait lui -dire que quelques-uns médisaient de lui et en disaient des choses étranges, il répondait avec douceur Ne disent-ils que cela? Oh! vraiment ils ne savent pas tout. Ils me flattent, ils m'épargnent ; je vois bien qu'ils ont de moi plus de pitié que d'envie, et qu'ils me souhaitent meilleur que je ne suis. Eh bien! Dieu soit béni il se faut corriger; si je ne mérite d'être repris en cela, je le mérité d'une autre façon ; c'est toujours miséricorde que je le sois si bénignement. - Quand on prenait sa défense et que l'on disait que cela était faux: Eh bien! disait-il, c'est un avertissement, afin que je me garde de le rendre vrai. N'est-ce pas une grâce que l'on me fait de m'avertir que je me détourne de cet écueil? Quand il voyait qu'on s'estomaquait contre les médi sants: Hélas, disait-il, vous ai-je passé procuration de vous courroucer pour moi? Laissez-les dire, ce n'est qu'une croix de parole, une tribulation de vent, la mémoire en périt avec le son. Il faut être bien délicat pour ne pouvoir souffrir le bourdonnement d'une mouche. Quinous a dit que nous soyons irrépréhensibles? Peut-être voient-ils mieux mes défauts que moi ni que ceux qui m'aiment. Nous appelons souvent des vérités du nom de médisance, quand elles ne nous plaisent pas. Quel tort nous fait-on, quand on a mauvaise opinion de nous? Ne la devons-nous pas avoir telle de nous-mêmes? Telles gens ne sont pas nos adversaires, mais nos partisans, puisque avec nous ils entreprennent la destruction de notre amour-propre. Pourquoi nous fâcher contre ceux qui nous viennent en aide contre un si puissant ennemi. C'est ainsi qu'il se moquait des calomnies et des outrages, estimant que le silence ou la modestie étaient capables d'y résister, sans employer la patience pour si peu de chose 1.

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Nous avons vu le saint évêque de Genève travaillant à la conversion des hérétiques pour les ramener au sein de la vraie Eglise, hors de laquelle il n'y a point de salut; nous l'avons vu travaillant à la conversion des catholiques mêmes, pour les introduire dans les vertus et les douceurs de la vie dévote. Il portait ses vues encore plus loin il travaillait à la perfection des âmes d'élite, pour les élever aux plus sublimes mystères de l'amour divin et de l'union avec Dieu. A cet effet, il fonda, comme nous verrons, une nouvelle congrégation de religieuses, dont le but principal est d'aimer Dieu,

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'Esprit de S. Fr. de Sales, 1. 12, c. 3.

et puis le prochain. Il leur fit en particulier plusieurs sermons et entretiens sur cette théologie ou l'oraison. Car, dit-il, l'oraison et la théologie mystique ne sont qu'une même chose. Elle s'appelle théologie, parce que, comme la théologie spéculative a Dieu pour objet, celle-ci aussi ne parle que de Dieu, mais avec trois diffė– rences. Car, 1° celle-là traite de Dieu, en tant qu'il est Dieu, et celle-ci en parle, en tant qu'il est souverainement aimable; c'est-àdire celle-là regarde la divinité de la suprême bonté, et celle-ci lá suprême bonté de la divinité. 2o La spéculative traite de Dieu avec les hommes et entre les hommes, la mystique parle de Dieu avec Dieu et en Dieu même. 3o La spéculative tend à la connaissance de Dieu, et la mystique à l'amour de Dieu; de sorte que celle-là rend ses écoliers savants, doctes et théologiens, mais celle-ci rend les siens ardents, affectionnés, amateurs de Dieu, et Philothées ou Théophiles. Or, elle s'appelle mystique, parce que la conversation est toute secrète et qu'il ne s'y dit rien entre Dieu et l'âme que de cœur à cœur, par une communication incommunicable à tout autre qu'à ceux qui la font1. Avec ces discours et entretiens spirituels, complétés par l'oraison et l'étude, le saint évêque fit, en douze livres, son Traité de l'amour de Dieu, dédié à la sainte Vierge et à saint Joseph, comme les plus parfaits modèles de l'amour divin. Quel est l'ensemble, à partir de l'homme? Le saint répond : L'homme est la perfection de l'univers; l'esprit est la perfection de l'homme; l'amour, celle de l'esprit; et la charité, celle de l'amour. C'est pourquoi l'amour de Dieu est la fin, la perfection et l'excellence de l'univers 2. Nous disons que l'œil voit, l'oreille entend, la langue parle, l'entendement discourt, la mémoire se ressouvient, et la volonté aime; mais nous savons toutefois que c'est l'homme, à proprement parler, qui, par ces diverses facultés et différents organes, fait toute cette variété d'opérations. C'est donc aussi l'homme qui, par la faculté affective, que nous appelons volonté, tend et se complaît au bien, et qui a vers ce bien cette grande convenance, laquelle est la source et l'origine de l'amour 3. Nous sommes créés à l'image et ressemblance de Dieu : qu'est-ce à dire cela, sinon que nous avons une extrême convenance avec sa divine majesté. Notre âme est spirituelle, indivisible, immortelle, entend, veut, et veut librement, est capable de juger, discourir, savoir et avoir des vertus ; en quoi elle ressemble à Dieu. Elle réside toute en tout son corps, et toute en chacune des parties d'icelui, comme la Divinité est toute en tout le monde, et toute en chaque partie du monde.

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1 Traité de l'amour de Dieu, 1. 6, c. 1. — 2 L. 10, c. 1.

TOME XXV.

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L'homme se connaît et s'aime soi-même par des actes produits et exprimés de son entendement et de sa volonté, qui, procédant de l'entendement et de la volonté distingués l'un de l'autre, restent néanmoins et demeurent inséparablement unis en l'âme et ès facultés desquelles ils procèdent. Ainsi le Fils procède du Père, comme sa connaissance exprimée, et le Saint-Esprit, comme l'amour exprimé et produit du Père et du Fils; l'une et l'autre personne distinctes entre elles, et d'avec le Père, et néanmoins inséparables ét unies, ou plutôt une même, seule, simple et très-unique indivisible Divinité.

« Mais, outre cette convenance de similitude, il y a une correspondance non-pareille entre Dieu et l'homme pour leur réciproque perfection; non que Dieu puisse recevoir aucune perfection de l'homme, mais parce que, comme l'homine he peut être perfectionné que par la divine bonté, aussi la divine bonté ne peut bonnement si bien exercer sa perfection hors de soi qu'à l'endroit de notre humanité. L'un a grand besoin et grande capacité de recevoir du bien, et l'autre grande abondance et grande inclination pour en donner. Rien n'est si à propos pour l'indigence qu'une libérale affluence; rien si agréable à une libérale affluence qu'une nécessiteuse indigence : et plus le bien a d'affluence, plus l'inclination de se répandre et communiquer est forte. Plus l'indigent est nécessi– teux, plus il est avide de recevoir, comme un vide de se remplir. C'est donc une douce et désirable rencontre, que celle de l'affluence et de l'indigence; et ne saurait-on presque dire qui a plus de contentement, ou le bien abondant à se répandre et communiquer, ou le bien défaillant et indigent à recevoir et tirer, si notre Seigneur n'avait dit que c'est chose plus heureuse de donner que de recevoir. Or, où il y a plus de bonheur il y a plus de satisfaction: la divine bonté a donc plus de plaisir à donner ses grâces, que nous à les recevoir 1. »

Maintenant, quel est l'ensemble de ce même amour divin, à partir de Dieu ? Voici sur cela les principes de saint François de Salès. Les perfections divines ne sont qu'une seule, mais infinie perfection : En Dieu il n'y a qu'un seul acte, qui est sa propre divinité; mais, pour en parler, nous autres mortels sommes obligés de distinguer ce qui est un, et d'y employer plusieurs noms et mots. « Nous disons donc que Dieu, ayant eu une éternelle et très-parfaite connaissance de l'art de faire le monde pour sa gloire, il disposa avant toutes choses, en son divin entendement, toutes les pièces princi

'L. 1, c. 15.

pales de l'univers qui pouvaient lui rendre de l'honneur, c'est-à-dire la nature angélique et la nature humaine; et, en la nature angélique, la variété des hiérarchies et des ordres que l'Ecriture sainte et les sacrés docteurs nous enseignent comme aussi entre les hommes il disposa qu'il y aurait cette grande diversité que nous y voyons. Puis, en cette même éternité, il pourvut et fit élat à part soi de tous les moyens requis aux hommes et aux anges pour parvenir à la fin à laquelle il les avait destinés, et fit ainsi l'acte de sa providence; et sans s'arrêter là pour effectuer sa disposition, il a réellement créé les anges et les hommes, et, pour effectuer sa providence, il a fourni et fournit par son gouvernement tout ce qui est nécessaire aux créatures raisonnables pour parvenir à la gloire; tellement que, pour le dire en un mot, la providence souveraine n'est autre chose que l'acte par lequel Dieu veut fournir aux hommes et aux anges les moyens nécessaires ou utiles pour parvenir à leur fin. Mais, parce que ces moyens sont de diverses sortes, nous diversifions aussi le nom de la providence, et disons qu'il y a une providence naturelle, une autre surnaturelle; et celleci, qu'elle est ou générale, ou spéciale, ou particulière.

» Un mot de la providence naturelle. Dieu donc, voulant pourvoir l'homme des moyens naturels qui lui sont requis pour rendre gloire à sa divine bonté, il a produit en faveur de l'homme tous les autres animaux et les plantes; et pour pourvoir aux autres animaux et aux plantes, il a produit une variété de terroirs, de saisons, de fontaines, de vents, de pluies; et tant pour l'homme que pour les autres choses qui lui appartiennent, il a créé les éléments, le ciel et les astres, établissant, par un ordre admirable, que presque toutes les créatures servent les unes aux autres réciproquement : les chevaux nous portent, et nous les pansons; les brebis nous nourrissent et vêtent, et nous les paissons; la terre envoie des vapeurs à l'air, et l'air des pluies à la terre; la main sert au pied, et le pied porte la main. Oh! qui verrait ce commerce et trafic général que les créatures font ensemble avec une si grande correspondance, de combien de passious amoureuses serait-il ému envers celte souveraine sagesse, pour s'écrier : Votre providence, ô grand Père éternel, gouverne toutes choses 1!

» Tout ce que Dieu a fait est destiné au salut des hommes et des anges; mais voici l'ordre de sa providence pour ce regard, selon que, par l'attention aux saintes Ecritures et à la doctrine des anciens, nous le pouvons découvrir, et que notre faiblesse nous permet d'en parler.

'L. 2, c. 3.

>> Dieu connut éternellement qu'il pouvait faire une quantité innombrable de créatures en diverses perfections et qualités, auxquelles il pourrait se communiquer; et considérant qu'entre toutes les façons de se communiquer il n'y avait rien de si excellent que de se joindre à quelque nature créée, en telle sorte que la créature fût comme entée et insérée en la divinité, pour ne faire avec elle qu'une seule personne; son infinie bonté, qui de soi-même et par soi-même est portée à la communication, se résolut et détermina d'en faire une de cette manière, afin que, comme éternellement il y a une communication essentielle en Dieu, par laquelle le Père communique toute son infinie et indivisible divinité au Fils en le produisant; et le Père et le Fils ensemble, produisant le SaintEsprit, lui communiquent aussi leur propre et unique divinité : de même cette souveraine douceur fut aussi communiquée si parfaitement hors de soi à une créature, que la nature créée et la divinité, gardant chacune leurs propriétés, fussent néanmoins tellement unies ensemble, qu'elles ne fussent qu'une même per

sonne.

» Or, entre toutes les créatures que cette souveraine toute-puissance pouvait produire, elle trouva bon de choisir la même humanité, qui depuis, par effet, fut jointe à la personne de Dieu le Fils, à laquelle elle destina cet honneur incomparable de l'union personnelle à sa divine majesté, afin qu'éternellement elle jouît par excellence des trésors de sa gloire infinie. Puis ayant ainsi préféré pour ce bonheur l'humanité sacrée de notre Sauveur, la suprême providence disposa de ne point retenir sa bonté en la seule personne de ce Fils bien-aimé, mais de la répandre en sa faveur sur plusieurs autres créatures; et sur le gros de cette innombrable quantité de choses qu'elle pouvait produire, elle fit choix de créer les hommes et les anges, comme pour tenir compagnie à son Fils, participer à ses grâces et à sa gloire, et l'adorer et louer éternellement. Et parce que Dieu vit qu'il pouvait faire en plusieurs façons l'humanité de son Fils en le rendant vrai homme, comme, par exemple, le créant de rien, non-seulement quant à l'âme, mais aussi quant au corps; ou bien formant le corps de quelque matière précédente, comme il fit celui d'Adam et d'Eve; ou bien par voie de génération ordinaire d'homme et de femme, ou bien par génération extraordinaire d'une femme sans homme: il délibéra que la chase se ferait en cette dernière façon. Et entre toutes les femmes qu'il pouvait choisir à cette intention, il élut la très-sainte Vierge Notre-Dame, par l'entremise de laquelle le Sauveur de nos âmes serait non-seulement homme, mais enfant du genre humain.

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