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raient pas trop difficiles à accepter les charges. » Laurent ne souffrait point d'ornements dans les bâtiments, ni de luxe même dans les églises. Lorsqu'on lui représentait que les travaux et les embellissements que l'on pouvait faire nourrissaient les pauvres et encourageaient les artistes, il répondait que ces travaux entretenaient aussi l'orgueil des propriétaires. Dans une de ses visites, il trouva un couvent de son ordre bâti magnifiquement, tandis que l'église était assez pauvre; il en témoigna tout son mécontentement, et prédit que le couvent tomberait bientôt en ruines. Les frères, effrayés de sa prédiction, voulaient abandonner la maison sans délai; mais il les rassura, en leur annonçant que, encore que le couvent dût tomber certainement, aucun d'eux ne serait blessé. A quelque temps de là, pendant que les religieux de cette maison se trouvaient à une procession générale, l'édifice fut renversé jusqu'aux fondements; l'église seule fut épargnée et resta intacte.

Le père Laurent était à peine sorti de son généralat, lorsque le Pape, l'empereur et les princes catholiques d'Allemagne le forcèrent à prendre une part active dans un des événements les plus importants de l'histoire moderne.

La mort de Jean-Guillaume, dernier duc de Clèves, causa plusieurs contestations touchant sa succession, contestations qui se sont prolongées presque jusqu'à nos jours. Les princes protestants d'Allemagne se servirent de ce prétexte pour s'assembler à Halle et former l'union protestante, destinée, ainsi qu'ils l'annonçaient, à défendre leurs libertés et leur religion. Ils choisirent pour leur président l'électeur palatin, et le prince Christian d'Anhalt pour général en chef. L'électeur refusa de faire partie de cette ligue; mais Henri IV, roi de France, la favorisa. Pour s'opposer à cette coalition, les princes catholiques d'Allemagne formèrent une confédération dite la Ligue catholique, et placèrent à leur tête le duc de Bavière. Mais il fallait contre-balancer la puissante influence du roi de France en faveur de l'union, et ils résolurent d'envoyer.des ambassadeurs aux autres princes catholiques pour les engager à se joindre à la confédération. On voulait surtout s'attacher le roi d'Espagne, et cette importante mission fut confiée au père Laurent. Philippe III, qui gouvernait alors ce royaume, était plein d'estime pour ce saint religieux qui lui était député. Il lui fit la réception la plus flatteuse, et se détermina facilement, d'après ses conseils, à entrer dans la ligue. Il fut convenu cependant que le duc de Bavière resterait à la tête des affaires. Cette disposition était juste; car la maison de Bavière a toujours été regardée comme un des principaux soutiens de la cause catholique en Allemagne, tant par

l'influence politique que lui donnent ses vastes domaines, que par son zèle et son attachement à la religion. L'union et la ligue dont nous parlons subsistèrent jusqu'au traité de Westphalie, auquel elles servirent de bases.

Peu après, Laurent de Brindes fut envoyé par le Pape en qualité de nonce auprès du duc de Bavière. En 1617, il concilia un différend entre le duc de Savoie et le roi d'Espagne, d'où l'on avait à craindre une guerre générale. Au milieu de tant de voyages, d'occupations et d'affaires d'une si haute importance, il ne cessa pas un seul instant d'être le religieux le plus humble, le plus mortifié, le plus régulier. Les honneurs dont il était environné, la distraction continuelle que ses missions semblaient lui donner, tout cela ne l'empêchait pas d'être intimement uni à Dieu, et de s'acquitter fidèlement de tous les exercices de piété qui étaient prescrits par sa règle. Il ne laissa jamais passer un jour sans offrir le saint sacrifice de nos autels, pour lequel il avait une dévotion toute particulière. Lorsqu'il célébrait en public, il n'y mettait pas plus d'une demi-heure; mais quand il le faisait en particulier, il s'abandonnait aux impressions de la grâce et de la joie intérieure qui dans ce moment remplissaient son âme. Ses larmes coulaient en abondance, et souvent il restait à l'autel jusqu'à six et huit heures de temps. Après l'office des matines, qui chez les Capucins est toujours à minuit, il ne se couchait pas, mais il passait le reste de la nuit en prière et en méditation. Il avait l'habitude de se confesser tous les jours avant de monter à l'autel. Sa dévotion envers la sainte Vierge fut aussi très-remarquable. Les papes Clément VIII et Paul V lui accordèrent la permission de dire la messe votive en son honneur tous les jours, excepté les grandes solennités. Tous les samedis et la veille de ses fêtes, il jeûnait dans la même intention..

La patience du bienheureux Laurent était admirable. Il souffrit beaucoup de la goutte, mais il souffrit en silence; et tandis que la violence de la douleur couvrait son front d'une sueur abondante, il conservait le calme et la sérénité de son âme, sans la moindre altération. N'omettons pas de rapporter ici un fait constant : c'est que, dans ses accès de goutte les plus forts et les plus durables, il cessa toujours de souffrir pendant tout le temps qu'il était à l'autel pour célébrer les saints mystères.

Avec des vertus si héroïques et si éclatantes, il ne faut pas être étonné que le saint religieux ait joui de la vénération publique au plus haut degré. Dès qu'on savait qu'il devait arriver quelque part, on allait en foule à sa rencontre, et l'on se prosternait devant lui pour obtenir sa bénédiction. Un jour qu'il était allé rendre visite

au cardinal Borromée, frère et successeur de saint Charles sur le siége de Milan, ce prélat se jeta lui-même à ses pieds avec une foule de peuple qui était présent, et lui demanda avec instance de bénir le pasteur et le troupeau.

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Au dernier retour du père Laurent à Rome, il eut une révélation de sa mort prochaine, et il voulut se retirer à Brindes, sa patrie, pour y terminer paisiblement sa sainte carrière; mais Dieu en avait disposé autrement. Un ordre du Pape le fit partir de nouveau pour Naples, et de là pour l'Espagne, afin d'obtenir la révocation des pouvoirs du vice-roi, dont le gouvernement tyrannique et arbitraire excitait un mécontentement universel parmi la noblesse. Le roi le reçut de la manière la plus honorable et la plus distinguée, et révoqua le duc d'Ossone. Mais le bienheureux ne devait pas voir lui-même la fin de cette affaire, et le temps était arrivé pour lui d'aller recevoir la récompense de ses longs et glorieux travaux. II fut attaqué de la dyssenterie peu après son arrivée au château de Bélem, près de Lisbonne, et, malgré les assurances contraires des médecins, il annonça que sa fin était prochaine. Le roi, les princes et la noblesse, tout le monde s'informait avec intérêt des progrès de sa maladie : la crainte de le perdre excitait une affliction géné– rale. Le jour qui précéda sa mort, il fit venir auprès de lui deux religieux qui l'avaient accompagné, et il les pria d'aller, après sa mort, se prosterner aux pieds du général des Capucins, pour lui demander pardon de toutes les fautes qu'il avait commises, et le recommander à ses prières. Le lendemain, vingt-deux juillet 1619, il mourut, en répétant jusqu'au dernier soupir le saint nom de Jésus.

Lorsque le duc de Bavière apprit sa mort, il s'écria : J'ai perdu l'homme le plus capable de me donner de bons conseils, le plus sage directeur et l'ami le plus vrai que j'aie jamais eu. La réputation de sainteté dont jouissait le père Laurent était și universelle et si bien établie, qu'aussitôt après sa mort on s'adressa au SaintSiége pour obtenir sa canonisation. Le procès fut en effet commencé dès l'année 1624, par ordre d'Urbain VIII; mais il y eut ensuite une grande interruption, et le décret de béatification ne fut publié que le premier juin 1783, par le pape Pie VI. Ce décret rapporte un grand nombre de miracles authentiques opérés par le bienheureux Laurent, pendant sa vie et après sa mort. On a de lui neuf ouvrages qui sont restés en manuscrits. Ce sont des sermons, des dissertations contre Luther, et une explication de la Genèse '.

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Vers le temps où mourut le bienheureux Laurent de Brindes, en Portugal, une région du Nord, la Lithuanie, eut son martyr, saint Josaphat, archevêque de Poloczk. C'était un moine de saint Basile. On le plaça sur le siége de Poloczk, en Lithuanie, sur les frontières de la Moscovie. Cette église suivait le rite grec. Josaphat employa tous les moyens que son zèle put lui inspirer pour réunir les schismatiques à l'Eglise romaine. Mais il n'eut pas tout le succès qu'il avait lieu d'espérer; il lui en coûta même la vie, et les schismatiques le massacrèrent le douze novembre 1623. La congrégation des rites déclara par un décret, en 1642, que son martyre était évidemment prouvé, et sa sainteté confirmée par plusieurs miracles. Urbain VIII approuva un office et une messe en son honneur, pour tous les moines de l'ordre de Saint-Basile et pour toutes les églises du diocèse de Poloczk1.

Ainsi, pendant que l'hérésie allait répétant par le monde que l'Eglise de Dieu était morte, cette Eglise se montrait vivante et féconde en saints par toute la terre, dans les Indes, au Japon, à la Chine, dans le Nouveau-Monde, en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Pologne. C'est comme une nouvelle effusion de cet Esprit de vérité et de charité, qui est toujours avec l'Eglise et qui a inspiré les décrets du concile de Trente. La France même, où depuis deux siècles, le quinzième et le seizième, nous n'avons vu canoniser qu'une seule personne, sainte Jeanne de Valois, la France, plus docile à l'Esprit-Saint, deviendra de nouveau une terre de bénédiction pour le ciel. Nous y voyons fleurir en même temps saint François de Sales, si français par l'esprit, la langue et le cœur; saint François de Sales, avec sainte Chantal de Dijon, et leur pieuse congrégation de Sainte-Marie; saint Vincent de Paul, l'apôtre et le consolateur de toutes les misères, avec ses deux congrégations, de prêtres apostoliques et de sœurs de charité; saint François Régis, l'apôtre du Vivarais et des Cévennes; la bienheureuse Marie de l'Incarnation, avec les ferventes Carmélites venues d'Espagne en France; le bienheureux Pierre Fourier, avec sa congrégation de Notre-Dame pour l'éducation des jeunes filles. Voilà ce que nous voyons fleurir en France à la fin du seizième et au commencement du dix-septième siècle, sans énumérer pour le moment d'autres œuvres et d'autres personnages, inspirés par le même esprit de Dieu et de l'Eglise..

Godescard, 12 novembre.

S HIC.

Saints personnages et saintes œuvres en France, particulièrement en Savoie, en Lorraine et en Bretagne.- Saint François de Sales.

François de Sales, si connu et si aimé de tout le monde, naquit le vingt-un août 1567, au château de Sales, à trois lieues d'Annecy. Il eut pour père, François, comte de Sales, et pour mère, Françoise de Sionas, tous deux d'une naissance également illustre, mais beaucoup moins recommandables encore par la noblesse de leur sang qué par la piété dont ils faisaient profession. Dès les premiers mois de sa grossesse, la comtesse de Sales offrit au Seigneur l'enfant qu'elle portait, le priant, avec les sentiments de la dévotion la plus tendre, de le préserver de la corruption du siècle et de la priver plutôt du plaisir de se voir mère que de permettre qu'elle mît au monde un enfant qui fût assez malheureux pour devenir un jour son ennemi par le péché. ·

François vint au monde à sept mois, malgré toutes les précautions qu'avait pu prendre sa mère; ce qui fit que dans ses premières années il fut extrement faible. On eut beaucoup de peine à l'élever, et les médecins désespérèrent plus d'une fois de sa vie. Il échappa cependant aux dangers de l'enfance et devint grand et robuste. On découvrit en lui, à mesure que les traits de son visage se formèrent, une beauté et des charmes qui ne permettaient pas qu'on le vit sans l'aimer. Au dehors si avantageux, il alliait un naturel excellent, une grande pénétration d'esprit, une modestie rare, une douceur singulière et une soumission absolue à ses parents et à ses maîtres.

La comtesse, infiniment attentive à éloigner de son fils tout ce qui avait même l'apparence du vice, ne le perdait point de vue. Elle le menait à l'église et lui inspirait un profond respect pour la maison de Dieu et pour toutes les choses de la religion; elle lui lisait la vie des saints et joignait à cette lecture des réflexions qui étaient à sa portée. Elle voulut même qu'il l'accompagnât lorsqu'elle faisait la visite des pauvres; qu'il leur rendit les petits services dont il était capable et qu'il fût le distributeur de ses aumônes. Le jeune enfant répondit parfaitement aux soins que sa vertueuse mère prenait de le former aux exercices de la piété chrétienne. Il faisait ses prières avec un recueillement et une dévotion qui n'étaient point

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