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ils firent preuve dans toutes les guerres où il se trouva engagé, attestent l'ascendant qu'il exerça sur ses sujets de la péninsule. Il s'attachait à entretenir parmi eux la paix, tout en soutenant la guerre chez ses voisins. Quoique sa sévérité inspirât plus de respect que d'amour, il fut vivement regretté. A beaucoup de zèle pour la religion il réunissait une grande capacité dans les affaires : il se distinguait aussi par une héroïque fermeté dans l'infortune, et par une grande libéralité envers les savants et les artistes; car son règne, de même que celui de Charles-Quint, fut remarquable par une foule de grands hommes et d'habiles écrivains. Il fonda le fameux monastère de l'Escurial, qui sert de sépulture aux rois d'Espagne. Sa dernière maladie fut très-douloureuse: il la supporta avec une patience héroïque. Se sentant près de sa fin, il appela auprès de lui son fils et sa fille Isabelle, et leur fit un discours touchant sur la vanité des grandeurs humaines. Il donna ensuite des ordres pour ses funérailles, et fit apporter son cercueil dans sa chambre, le plus près possible de sa vue. Bientôt après il rendit le dernier soupir, le treize septembre 1598, dans la soixante-douzième année de son âge, et la quarante-troisième de son règne.

Philippe III, son fils, n'eut pas son génie; mais il était humain, doux, de mœurs pures et d'une piété sincère; ainsi ce fut avec justice qu'il reçut le surnom de Pieux. Aucun prince ne l'a "surpassé en zèle pour la foi catholique, n'a montré plus de libéralité pour la fondation des couvents et les œuvres pies. Philippe IV, s'il ne fut pas plus que son père un grand monarque, fut comme lui un prince humain, affable, bienfaisant, généreux même. Il parla quelquefois avec énergie et avec éloquence, aima les sciences et les arts; il composa lui-même une tragédie. Les travaux qu'il fit ajouter à l'Escurial donnent une haute idée de sa magnificence.

Le nom de Philippe II, avec l'inquisition d'Espagne, réveille dans bien des esprits l'idée d'un despotisme sous lequel tout est réduit à trembler. Et, toutefois, jamais nation ne s'est amusée d'une manière plus noble, plus spirituelle ni plus variée que la nation espagnole sous les trois Philippes et leur inquisition. On y vit tout ensemble trois auteurs fameux et inépuisables de comédies: Lope. de Véga, Calderon et Cervantes. Le premier, né à Madrid en 1562, fit des vers dès sa plus tendre enfance, et manifesta son génie poétique en apprenant à écrire. Il se maria, devint veuf, puis entra dans l'état ecclésiastique, devint chapelain et membre de la confrérie de Saint-François, et même un des familiers du Saint-Office. Sa dévotion parut donner un nouvel essor à sa verve poétique. On assure qu'il a composé dix-huit cents pièces de théâtre, ou même

deux mille deux cents, toutes en vers, dont plusieurs pièces de dévotion pour les cérémonies de la Fête-Dieu et de Noël; et l'on évalue à vingt-un millions trois cent mille le nombre de ses vers imprimés. Enfin on a calculé qu'il a dû remplir trente-trois mille deux cent vingt-cinq feuilles de papier dans sa vie, et écrire neuf cents lignes de vers ou de prose par jour. Si ses œuvres étaient réunies, elles formeraient cinquante gros volumes in-4°; et ce n'est que le quart de ce qu'il a composé. Ce sont plutôt des improvisations que des pièces régulièrement compassées; mais, dans toutes, une imagination inépuisable a répandu des images et des idées aussi diversifiées que fleuries: elles présentent des tableaux d'un style riche et poétique et qui ont le charme d'une grande variété. Il n'ignorait pas certaines règles de l'art, décrétées en France, mais il écrivait pour amuser les Espagnols, qui n'étaient pas encore obligés de s'amuser à la française.

La nation espagnole conçut pour son poète une vénération qui se manifestait toutes les fois qu'il paraissait en publie. Le clergé s'énorgueillissait d'avoir dans son sein un aussi grand écrivain. Le pape Urbain VIII, auquel il dédia son poème de la Reine d'Ecosse, lui écrivit une lettre de félicitations en lui envoyant le diplôme de docteur en théologie; enfin les théologiens le comblèrent d'éloges dans les approbations mises au devant de ses pièces de théâtre. On l'appelait le Phénix de l'Espagne; on venait de toutes les provinces du royaume, et même de l'Italie, pour le voir. Les grands ambitionnaient la faveur d'être ses Mécènes; le roi et le Pape. l'acca→ blaient de bénéfices et de titres. A la fin de sa vie, son esprit se tourna entièrement à la dévotion: il se soumit à un jeûne rigoureux, reprit l'exercice de la discipline, et mourut le vingt-six août 1655. Cette mort fut un sujet de deuil en Espagne. Ses obsèques durèrent neuf jours. La chaire retentit de ses éloges, et tous les poètes chantèrent son génie. On a recueilli en deux volumes les hommages funèbres qui lui furent rendus '.'

Pierre Calderon de la Barca naquit en 1600, et composa sa première pièce de théâtre avant l'âge de quatorze ans. Il en composa plus de quinze cents, outre un grand nombre de pièces de dévotion. Il fut fait chevalier de Saint-Jacques, en 1636, par Philippe IV, devint prêtre en 1652 et chanoine de Tolède, et mourut en 1687. De nos jours, les pièces de Véga et de Calderon excitent l'admiration de l'Allemagne littéraire, et y servent de modèle 2.

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Michel Cervantes, dont tout le monde connaît la longue comédie

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ou le roman de Don Quichotte, naquit l'an 1547, à Complut ou Alcala de Hénarès, d'une famille noble et peu favorisée de la fortune. Il cultiva la poésie de bonne heure, et conserva toute sa vie un penchant irrésistible pour les muses. Nous l'avons vu, en qualité de croisé, à la glorieuse bataille de Lépante, où il reçut une blessure au bras gauche, dont il demeura estropié le reste de sa vie. Il était encore au service en 1575, lorsque, retournant sur une galère de Naples en Espagne, il fut pris par le corsaire Arnaut-Mami, qui le conduisit à Alger et le retint parmi ses esclaves. C'est dans cette affreuse position que Cervantes déploya les ressources de son génie et la force de son caractère. Il exposa courageusement sa vie pour briser ses fers et ceux de plusieurs autres chrétiens qui se trou—. vaient avec lui. L'entreprise, conduite avec autant d'adresse que de persévérance, fut découverte au moment où elle touchait à sa fin. Une mort affreuse menaçait tous ces infortunés. Cervantes osa se charger de la responsabilité commune, et soutint qu'il était seul coupable. L'espoir d'une haute rançon, la sollicitude infatigable des pères de la Trinité et d'autres circonstances heureuses sauvèrent ce généreux captif. Loin d'être découragé par l'idée du supplice qu'il avait vu de si près, il osa concevoir le projet de faire soulever tous les esclaves détenus dans Alger, et de s'emparer de la ville. Le dey, effrayé de l'audace de cet homme extraordinaire, exigea qu'il lui fût remis, et paya la somme de mille écus à son ancien maître. Dès ce moment, les chaînes de Cervantes s'appesantirent, et il fut soumis à une surveillance particulière. Après six ans de souffrances inouïes, il fut enfin racheté par les soins des pères de la Trinité, qui ne cessèrent de prendre le plus vif intérêt à son sort. Aussi, quand il mourut à Madrid, l'an 1616, dans sa soixantedix-neuvième année, voulut-il être enterré dans l'église des religieuses de la Trinité de cette ville.

Il en est de la peinture comme de la poésie. Ecoutons un observateur de génie. « Toute l'Europe ignorait que l'Espagne eût une école (de peinture); et quelle école! la première et la plus nombreuse de l'Europe, celle de Raphaël exceptée. Les armées de la révolution (française), essentiellement athées, avaient dépouillé les églises étrangères de préférence aux palais et aux châteaux. Comme c'est à la religion que les artistes doivent leurs plus nobles inspirations, le musée de Paris contenait les chefs-d'œuvre que la catholícité avait produits depuis trois siècles. Les souverains, les grands, les riches, toute l'Europe enfin, ont eu à Paris deux célèbres ren

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dez-vous en 1814 et 1815, et, dans ces nouveaux jeux olympiques, à quel tableau la couronne a-t-elle été décernée? A un tableau de Zurbaran, l'Apothéose de saint Augustin. Jamais l'enthousiasme de l'art ne créà rien d'aussi vivant; les hommes et les anges, la terre et l'air exprimaient toutes les beautés de la création; la vie de ce tableau, la transparence des lumières ne nuisent en rien à la noblesse de son ordonnance et à la correction de son dessin. Qui venait ensuite? un tableau semi-circulaire, de Murillo: il exprimait un songe, et par sa poésie il échappe à l'analyse de l'art; il n'y eut qu'un cri d'admiration, et il fut arraché en présence de la Transfiguration, de Raphaël, et du saint Jérôme, du Dominiquin, et de tant d'autres chefs-d'œuvre '.

Or, Zurbaran, l'auteur espagnol du tableau le plus parfait qui soit en Europe, n'est pas même mentionné dans les biographies universelles. Murillo, né à Séville le premier janvier 1618, et mort en la même ville le trois avril 1682, ne sortit jamais de l'Espagne, n'eut le plus souvent d'autre maître que lui-même, peignit d'abord des bannières et d'autres sujets de dévotion: ses principaux chefsd'œuvre furent pour les Franciscains et les Capucins de sa ville natale.

Avec des poètes et des peintres, l'Espagne cut des historiens et des théologiens célèbres. Jean Mariana, né l'an 1537, à Talavéra, au diocèse de Tolède, entré chez les Jésuites à l'âge de dix-sept ans, a écrit en latin et traduit en espagnol une histoire d'Espagne en trente livres. Elle est estimée pour le mérite des recherches, d'exactitude des faits, la sagesse des réflexions, et surtout pour l'agrément du style, à la fois simple et élégant, et qui approche beaucoup de celui de Tite-Live, que l'auteur avait pris pour modèle. François Suarès, Jésuite, né à Grenade l'an 1548, mort à Lisbonne en 1617, a écrit, avec beaucoup d'ordre et de netteté, vingt-trois volumes in-folio sur la théologie. Mariana et Suarès ayant écrit en Espagne et sous l'inspection de l'inquisition royale, il était naturel de les voir soutenir le pouvoir absolu, irresponsable et inamissible des rois, à l'exclusion de tout contrôle du peuple et de toute subordination quelconque à un autre pouvoir. Et pourtant ils enseignent ouvertement, avec le grand nombre des théologiens et des juris- consultes, que le pouvoir des rois leur vient de Dieu par le peuple'; que l'usage qu'ils en font est subordonné à la loi de Dieu interprétée par l'Eglise. Il y a plus : dans son ouvrage Du Roi et de son institution, Mariana examine s'il est permis de tuer un tyran; et

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• Rubichon, De l'action du clergé dans les sociétés modernes, c. 9:

il penche pour l'affirmative, dans le cas où le prince renverse la religion et les lois publiques, sans égard pour les remontrances de la nation. L'édition originale de cet ouvrage se fit à Tolède, l'an 1599. Elle est revêtue de l'approbation des docteurs qui avaient visé ce livre, et du privilége pour l'impression, et elle put círculer librement dans toute l'Europe. Ce n'est pas tout. L'an 1613, Philippe III fit l'apologie des doctrines populaires de Suares contre le roi d'Angleterre, Jacques Stuart: ce qui certes ne prouve guère que les rois d'Espagne fussent des tyrans et des despotes, ou qu'ils eussent envie de l'être, ni que les Espagnols fussent un peuple servile. L'Espagne passe ainsi avec honneur et gloire du seizième siècle au dix-septième.

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L'Italie, comme nous avons vu de Paul V à Alexandre VII, tinuait de donner de bons Papes à l'Eglise. Elle vit au même temps des personnes et des œuvres saintes. Venu d'Espagne, saint Joseph Casalanz fondait à Rome la congrégation des Ecoles-Pies ou pieuses, pour l'instruction chrétienne de la jeunesse. Un saint d'Italie fondait une œuvre semblable à Florence.

Le bienheureux Hippolyte Galanti naquit à Florence même, le douze octobre 1565, de parents dont la probité et la vertu étaient la principale richesse. Sa jeunesse fut si édifiante, que, à peine âgé de douze ans, il attira sur lui l'attention de l'archevêque de Florence, Alexandre de Médicis, depuis pape sous le nom de Léon XI, et fut chargé par ce prélat d'enseigner les premiers éléments de la religion à d'autres jeunes gens de son âge. Pendant de longues années, il partagea son temps entre le travail qu'exigeait sa profession (il était fabricant d'étoffes de soie), les œuvres de charité et le soin de sa propre sanctification.

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On est étonné que, sans biens, sans protecteurs, sans connaissances, il ait pu faire tant de bien dans une ville telle que Florence. Il fonda une congrégation uniquement occupée d'instruire des vérités de la religion et de former à la vertu les enfants des deux sexes, et même des personnes adultes qui vivaient dans l'ignorance de leurs devoirs et des premiers mystères de la religion. Le nombre des âmes qu'il retira par ce moyen de l'abîme de la perdition et du désespoir est presque infini,

Le zèle d'Hippolyte eut de nombreux imitateurs dans toute l'Italie, et en peu d'années il s'y établit, sous le nom d'ordre de la doctrine chrétienne, une multitude de congrégations qui se proposèrent le même but et suivirent la même règle qu'il avait donnée à la sienne. Il mourut en odeur de sainteté, le vingt mars 1619, âgé seulement de cinquante-cinq ans. Il avait reçu plusieurs fois le don

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