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dividu pris au hasard, que cet homme est né pauvre, de parents à l'humeur entreprenante, raisonneuse, insoumise, sarcastique, comme on en trouve aujourd'hui partout, il vous répondra en hochant la tête que c'est une bouture de 93, que certainement Dieu ne l'aime pas.

Né au plus épais de ce limon révolutionnaire, je devais donc avoir reçu une éducation en rapport avec mon origine, avec le sang rustique qui coule dans mes veines, avec cet esprit de critique qui a fait de mes auteurs et collatéraux des liseurs de Codes, qui ferait bientôt de la nation tout entière une société de démons, si les Ignorantins n'y mettaient ordre.

« C'était chaque jour (chez mon père) un concert d'imprécations contre la Providence, contre la société, contre les hommes. >>

Ainsi l'affirme M. de Mirecourt, et je ne doute pas qu'il n'ait puisé ses renseignements à bonne source.

Ma foi, s'il faut vous dire la vérité, Monseigneur, nous faisions encore pis, ne pensant guère plus à la Providence que nous ne comptions sur la société; et vous savez que l'indifférence en matière de religion est bien autre chose que le blasphème. Je l'avouerai donc, on pratiquait chez nous avec tiédeur; mais si tiède qu'elle fût, cette pratique pouvait paraitre encore méritoire, tant on en attendait peu de chose. Mais on n'était pas ce qui s'appelle blasphémateur, incrédule; on avait la foi du charbonnier; on aimait mieux s'en rapporter à M. le curé que d'y aller voir. « La religion, disait mon oncle Brutus, est aussi né << cessaire à l'homme que le pain; elle lui est aussi perni«cieuse que le poison. » J'ignore où il avait attrapé cette sentence antinomique, dont je n'étais pas alors en état d'apprécier la valeur. Mais je sais fort bien que, tout en acceptant le pain, sans nous enquérir de la farine, nous avions grand' peur du poison, ce qui nous tenait perpé

tuellement dans l'occasion prochaine de l'incrédulité. Le premier cependant, et je crois le seul de la famille jusqu'à présent, je suis devenu pour tout de bon esprit fort et le plus grand blasphémateur du siècle, comme vous l'avez écrit quelque part. Il est bon que vous sachiez comment cela m'arriva.

II

Mes premiers doutes sur la foi me vinrent vers ma seizième année, à la suite de la mission qui fut prêchée en 1825 à Besançon, et de la lecture que je fis de la Démonstration de l'existence de Dieu, par Fénelon. Daniel Stern, dans son Histoire de la Révolution de 1848, rapporte à mon endroit cette anecdote, qui est vraie. Quand je sus par le précepteur du duc de Bourgogne qu'il y avait des athées (j'écris ce mot comme on le prononce à Besançon), des hommes qui nient Dieu, et qui expliquent tout par la déclinaison des atomes, ou, comme dirait La Place, par la matière et le mouvement, je tombai dans une rêverie extraordinaire. J'aurais voulu entendre ces hommes défendant eux-mêmes leur thèse; les lire, comme je lisais Fénelon. Curiosité dangereuse, si vous voulez, et qui ne pronostiquait rien de bon, mais qui témoignait après tout de mon désir de m'instruire, et, j'ose le dire, de ma sincérité: car, enfin, s'il n'y avait, quoi qu'on dise, point de Dieu! s'il y avait autre chose que Dieu! ou si Dieu n'était rien de ce que le peuple pense, et que les prêtres disent! si le rôle que cet être mystérieux joue dans le monde était en sens contraire de ce que notre religion suppose !... où cela nous mènerait-il? où cela ne nous mènerait-il pas?

A ce propos, je consignerai ici un fait que, malgré mon scepticisme naissant, il me fut impossible d'attribuer au elinamen. Étant au collége, je reçus pour prix, pendant cinq années consécutives, 1o trois fois l'Abrégé de l' Ancien

Testament, par Royaumont, 1 vol. in-12; 2o deux fois les Vies des Saints, extraites de Godescard, aussi in-12; pendant que certains de mes camarades, mieux qualifiés, recevaient de bons ouvrages de littérature et d'histoire. Si, me disais-je, le clinamen était la loi de l'univers, c'est juste le contraire qui arriverait. Moi, qui suis pauvre, et qui ne peux pas même acheter mes livres de classe, je fais le vide, et les piles de prix devraient m'échoir en raison de la pesanteur. Il faut donc qu'une autre force les détourne. Il y a de la Providence là-dessous!... Ah çà! voudrait-elle faire un Stanislas KOSTKA du fils` du tonnelier?... Cette réflexion, qui était en même temps une explication telle quelle du phénomène, eut pour moi un double avantage: d'abord, de me préserver de l'envie, ensuite de me mettre sur mes gardes.

M. de Mirecourt cite un autre trait de la dureté de mon âme:

« A l'époque de sa première communion, les maximes. chrétiennes ne peuvent terrasser son orgueil. »

Serais-je noté sur les registres de la paroisse? Peste! quelle police!

J'avais un peu plus de dix ans quand je fis ma première communion, et n'avais lu à cette époque que l'Évangile et les Quatre Fils Aymon. J'étais dans la plénitude de mon innocence; et si le curé Sirebon, qui me confessait, était de ce monde, il vous en raconterait des traits risibles. Sa prudence, à coup sûr, y allait plus vite que mon étourderie. Le plus gros péché dont j'aie souvenance est qu'au sermon de la Passion qui nous fut prêché l'avantveille de ce grand bonjour, les filles, dont les bancs. étaient placés vis-à-vis de ceux des garçons, pleuraient à chaudes larmes, et que cela me donnait envie de rire. Vous figurez-vous ces Madeleines de dix à onze ans ?... A cet âge, je ne pouvais guère comprendre le cœur féminin

et ses précoces tendresses. Pauvres petites! elles sont vieilles à cette heure. Je voudrais savoir comment, avec les munitions du catéchisme, elles ont résisté aux assauts de l'amour, aux séductions de la vanité et aux découragements de la misère.

Pourquoi n'en conviendrais-je pas? j'ai toujours eu peu de goût pour les œuvres de la vie dévote : me confesser, communier, faire la visite au Saint-Sacrement, baiser le crucifix, assister au lavement des pieds, tout cela me déplaisait; une antipathie profonde pour les clercs, bedeaux et marguilliers, que je regardais tous comme de fieffés Tartufes. J'avais observé de bonne heure qu'il n'y avait pas de bon Dieu pour son sacristain; et je détestais cette engeance d'église, qui m'eût fait prendre en grippe jusqu'aux plus belles saintes du paradis.

Un de mes amis, forcé comme moi de faire sa première communion, s'était présenté à la sainte table le Système de la Nature, du baron d'Holbach, sur la poitrine, en signe de protestation. Je n'étais pas de cette force, mais je bataillais avec le confesseur, et je me rappelle fort bien qu'un jour qu'il me grondait d'avoir mangé, en temps de maigre, des pommes de terre cuites avec de la graisse de cochon, vous comprenez que nous n'avions pas autre chose, je lui répondis: Mon père, mon páque ne vaut pas votre vendredi saint!

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Tandis que la religion se perd pour le peuple, elle devient pour les riches, comme la musique et les modes, un embellissement de l'existence, je dirais presque un objet de luxe. Quelle peut être la cause de ce revirement? Est-ce la faute de Voltaire ? Est-ce la faute de Rousseau? Ou n'est-ce pas plutôt celle de l'Église? Nous en jugerons tout à l'heure.

CHAPITRE PREMIER.

Idée générale de l'Éducation.

- Intervention de l'idée

religieuse.

III

Après la morale, l'Église a toujours regardé l'éducation comme son triomphe; c'est le plus beau fleuron de sa couronne. Il n'y a qu'elle, à l'entendre, qui sache élever la jeunesse, former son esprit et son cœur. Pas n'aurai besoin d'un long discours pour montrer qu'en fait d'éducation, pas plus qu'en fait de morale, l'Église n'a le droit de se montrer fière.

Et d'abord, qu'est-ce que l'Église apporte dans l'éducation des sujets qu'elle élève? Que fournit-elle du sien? Quel est son rôle, sa spécialité?

En principe, l'éducation de l'individu est homogène et proportionnelle à l'état de l'espèce: c'est la concentration dans l'âme du jeune homme des rayons qui partent de tous les points de la collectivité.

Toute éducation a donc pour but de produire l'homme et le citoyen d'après une image en miniature de la société, par le développement méthodique des facultés physiques, intellectuelles et morales de l'enfant.

En autres termes, l'éducation est la création des mœurs dans le sujet humain, en prenant ce mot de mœurs dans son acception la plus étendue et la plus élevée, qui comprend non-seulement les droits et les devoirs, mais encore tous les modes de l'âme, sciences, arts, industries, tous les exercices du corps et de l'esprit.

Or, il est évident que l'éducation ecclésiastique n'a pas précisément pour but de remplir ce programme.

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