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reurs, consacrées par l'assentiment des siècles, ne nous ont-ils pas désabusés! Et, après nous avoir si bien avertis de ne pas nous engager dans de fausses routes, quels soins ne se sont-ils pas donnés pour nous faire connaître la véritable, pour nous y faire entrer, pour nous y guider!

Les aphorismes de Bacon et les règles de Descartes devaient éveiller le génie, et susciter de nombreux disciples à ces grands hommes. Aussi l'héritage de leurs pensées a-t-il été sans cesse enrichi des fruits de nouvelles méditations.

Tout a été examiné, discuté, analysé.

Des affections et des qualités qu'un instinct conservateur nous force de rapporter aux différentes parties de notre corps, ou à des corps étrangers, ont été rendues à l'âme, à laquelle seule elles appartiennent. Après un tel triomphe de la raison sur l'instinct, la séparation de l'esprit et de la matière s'est opérée d'elle-même; et il a fallu de plus en plus admirer l'auteur des choses, à qui il a suffi, pour unir deux substances qui sem– blaient incompatibles, de faire que l'une se sentit ou crût se sentir dans l'autre.

On a remarqué des jugemens, où les anciens philosophes ne voyaient que des sensations, de pures sensations. Cette découverte a aussitôt dissipé les ténèbres qui obscurcissaient l'entrée de la science.

La sensibilité mieux observée n'a plus été tout entière dans la sensation; elle s'est décomposée; elle s'est présentée sous des formes nouvelles. D'un côté, on a distingué ce que nous devons à chacun de nos sens, et

ce que nous devons à leur réunion; de l'autre, on a saisi la différence qui se trouve entre les affections qui nous viennent du dehors et celles que nous éprouvons par l'action de nos facultés intellectuelles et morales, soit dans le moment même où ces facultés agissent, soit à la suite et par l'effet de leur action'. Dès lors, on a pu assigner avec certitude la véritable origine des idées.

L'origine, ou plutôt les diverses origines de nos connaissances ont donc été reconnues. La nécessité de remonter à ces origines a été démontrée.

Ce que l'homme doit à la parole pour former ses jugemens 2; pour s'élever des premières abstractions aux notions les plus universelles, des rapports contingens aux vérités nécessaires; pour faire naître la raison, si on ose le dire, et pour lui donner tous ces développemens, a été constaté.

Les règles de la méthode ignorées de ceux-là même qui en faisaient un usage admirable, ont cessé d'être un mystère. On a su enfin quelles facultés doivent agir, et dans quel ordre elles doivent agir, pour assurer nos connaissances3. On a su que l'artifice de la méthode, lorsqu'elle s'applique à des idées qui ne dérivent pas immédiatement du sentiment, consiste dans l'analogie de ces idées et dans l'analogie du langage.

Deux questions surtout, disons mieux, deux vérités qui sont au-dessus de toutes les autres vérités, ont été le but des méditations de la philosophie. Il n'est plus

4. Part. II, leç. I et suiv.

2. Part. II, leç. v.

3. Part. I. leç. IV, VIII et XIV.

permis à quiconque est en état de suivre le fil d'une démonstration, de mettre en doute la simplicité ou l'unité du principe qui pense; et, si les preuves de l'existence d'un Dieu créateur et modérateur de l'univers ne pouvaient pas acquérir un nouveau degré de certitude, on est, du moins, parvenu à les dégager de plusieurs considérations qui dépassent les intelligences ordinaires, et à leur imprimer ainsi le caractère d'une évidence plus frappante, plus générale.

De tels objets ont une grandeur, une dignité qu'on ne saurait méconnaître. Ils élèvent la raison, ils l'ennoblissent; et celui qui voudrait les dédaigner, trahirait le secret d'une âme pauvre et commune, qui ne trouve des jouissances qu'en les cherchant hors d'elle-même.

Mais, si rien n'a droit de nous intéresser autant que l'étude de la philosophie; si l'on ne peut se défendre d'un sentiment de joie par l'espérance de connaître enfin ce qui nous touche de si près; il faut bien se dire que, dans l'état d'imperfection où se trouve la langue des philosophes, rien aussi n'exige plus de recueillement . dans la pensée, plus de persévérance dans la méditation, plus de bonne foi avec soi-même, et plus, en même temps, de cet esprit simple, naturel et naïf, qui n'ôte rien, n'ajoute rien, voit les choses comme elles sont, les énonce comme il les voit. L'imagination serait ici le plus grand des obstacles. En s'interposant entre nous et la nature, elle nous en déroberait la vue, et nous serions éblouis par des fantômes.

Cependant nous arrêterons quelquefois nos regards sur ces fantômes, afin d'apprendre à ne pas les con

fondre avec la réalité. Nous serons plus assurés de nous bien connaître, lorsque nous nous serons étudiés, et en nous-mêmes, et dans les opinions des philosophes.

Nul esprit ne peut suffire à ce double travail de critique et de méditation, si l'analyse n'en dispose les parties de telle sorte, que l'intelligence des premières facilite l'intelligence de celles qui suivent. Un lien commun doit les unir; et ce lien, on le trouve dans l'ordre même où se développe le système, objet de nos recherches.

Ce système se partage en deux systèmes principaux qui, à leur tour, se distribuent en autant de systèmes particuliers que la philosophie présente de questions à résoudre; il repose sur deux bases, l'activité et la sensibilité.

Le sophisme avait cherché à ébranler la première de ces bases. Nous avons mis nos soins les plus attentifs à la consolider, et dorénavant elle est inébranlable. L'âme de l'homme n'est pas une substance inerte; elle est une puissance, une force pleine d'énergie; elle a des facultés qu'elle ne cesse d'exercer, et qui peuvent la rendre tous les jours plus éclairée, tous les jours plus libre.

La philosophie, trompée par de fausses apparences, avait cru voir les facultés de l'âme dans les sensations ou dans les idées. Nous les avons séparées des unes et des autres. L'être qui sent agira sans doute; mais sentir n'est pas agir L'être qui agit produira un effet ; mais cet effet n'est pas l'action.

Ce n'était point assez d'avoir marqué les facultés par

le caractère qui les distingue de ce qui n'est pas elles. Il était indispensable de saisir le caractère qui les distingue les unes des autres, quoique toutes, dans leur principe, ne soient qu'une seule et même chose. Nous nous sommes assurés de ce qu'elles ont d'identique et de ce qu'elles ont de divers, en les voyant sortir d'une même source, non pas à la fois, ou successivement et comme au hasard, mais successivement et dans un ordre nécessaire; en sorte que celles qui sont composées n'auraient pu se produire, si les plus simples ne s'étaient montrées d'abord.

Alors le système des facultés de l'âme s'est laissé voir dans toute sa simplicité. Il comprend, il est vrai, deux systèmes particuliers: d'un côté, c'est l'attention qui se concentre sur une seule idée, ou se partage entre deux, ou se porte sur quatre, en saisissant deux rapports à la fois; de l'autre, c'est le désir qui tend de toutes ses forces vers un seul objet, ou qui se modère pour faire un choix entre plusieurs, ou qui se suspend et s'éclaire pour mieux choisir encore, lorsqu'il aura tout examiné, tout pesé, tout balancé.

Ainsi nous avons un entendement qui s'exerce par l'attention, par la comparaison et par le raisonnement. Celui qui nous donna l'être nous a rendus capables, en nous donnant ces facultés, de discerner le vrai ; comme aussi, il nous a rend.s capables d'aimer le bien, en nous donnant une volonté qui se manifeste par le désir, par la préférence et par la liberté.

Mais ces deux systèmes ne sont pas isolés; une étroite dépendance lie le second au premier, la volonté est

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