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rapport; du raisonnement, pour les idées de rapport qui seront dérivées ou composées.

« Les idées de rapport ont leur origine dans les sentiments de rapport. Elles ont leur cause dans la comparaison et dans le raisonnement. »

4o Il est une quatrième manière de sentir, qui parait différer des trois que nous venons de remarquer, plus encore que celles-ci ne diffèrent entre elles.

Un homme d'honneur (je parle dans l'opinion ou dans les préjugés de l'Europe), un homme d'honneur se sent frappé. Jusque-là, c'est une sensation qu'il reçoit, et une idée sensible qui en résulte mais s'il vient à s'apercevoir qu'on a eu l'intention de l'insulter en le frappant, quel changement soudain ! Le sang bouillonne dans les veines: la vie n'a plus de prix; il faut la sacrifier pour venger le plus ignominieux des outrages.

Dès que nous apercevons, ou seulement dès que nous supposons une intention dans l'agent extérieur, dès lors au sentiment-sensation qu'il produit en nous se joint un sentiment qui semble n'avoir rien de commun avec le sentiment-sensation. Aussi prend-il un autre nom: on l'appelle sentiment moral; et on l'appelle de la sorte, parce que ce sentiment est produit en nous par un agent moral, c'est-à-dire par un être qui agit sur nous, ou sur nos semblables, qui nous fait du bien ou du mal, à nous, ou à nos semblables, avec inten

tion et avec une volonté libre. Nous sommes fondés, en effet, à juger qu'il y a de la moralité dans un acte, lorsqu'il est fait avec une volonté libre; car, où il y a

liberté, il y a imputabilité, il y a donc mérite ou démérite, et par conséquent moralité '.

Dès ce moment, naissent au fond du cœur de l'homme les sentimens du juste, de l'honnête, les sentimens de générosité, de délicatesse, et leurs contraires.

Les hommes vivant en société, et agissant continuellement les uns sur les autres, il est peu de circonstances dans la vie où ils n'éprouvent quelque sentiment moral; et il n'est pas toujours facile de démêler ces sentimens, de s'en faire des idées. Si quelquefois un seul acte d'attention est nécessaire, plus souvent on a besoin de comparaisons, de raisonnemens, et même de raisonnemens très-multipliés, très-étendus, quoique trèsrapides. En général, il faut de longues observations, une grande expérience, une grande finesse d'esprit, pour connaître le coeur humain. Ce n'est pas. trop du génie de La Bruyère ou de Molière pour en sonder les replis, et pour en pénétrer les profondeurs.

« Les idées morales ont leur origine dans le sentiment moral, et leur cause dans l'action de toutes les facultés de l'entendement. »>

L'âme a donc quatre manières de sentir; elle tient de la nature quatre espèces de sentimens différens : sentiment-sensation, sentiment de Faction de ses fa– cultés, sentiment-rapport, sentiment moral, d'où son

4. Il nous suffit ici de marquer la condition primitive de toute moralité, l'intention dans un agent libre. L'intention de nous conformer aux lois qui découlent de notre nature, à celles que nous impose l'ordre social, et, par dessus tout, à la volonté du Créateur, achève la moralité de nos actions.

activité fait sortir quatre espèces d'idées, idées sensibles, idées de ses facultés, idées de rapport, idées morales.

Toutes ces idées sont intellectuelles; c'est-à-dire qu'elles concourent toutes à former notre intelligence. Cependant les philosophes semblent avoir réservé plus particulièrement le nom d'idées intellectuelles, aux idées des facultés de l'âme et aux idées de rapport. Rien ne nous empêche d'adopter ce langage, et nous dirons, en gagnant en précision, ou plutôt en concision, que toutes nos idées, considérées sous le point de vue de leur formation, sont ou sensibles, ou intellectuelles, ou morales.

Rapprochons, en finissant, des vérités qui sortent des observations les plus simples, et que la philosophie s'étonne peut-être d'entendre aujourd'hui pour la première fois.

Les idées sensibles ont leur origine dans le sentimentsensation, et leur cause dans l'attention.

Les idées des facultés de l'âme ont leur origine dans le sentiment de l'action de ces facultés, et leur cause aussi dans l'attention.

Les idées de rapport ont leur origine dans le sentiment de rapport, et leur cause dans la comparaison et dans le raisonnement.

Les idées morales ont leur origine dans le sentiment moral, et leur cause dans l'action séparée ou réunie de l'attention, de la comparaison et du raisonnement.

Il faut donc se rendre à cette vérité, qu'il existe quatre origines, et trois causes de nos idées.

Et nous ne devrons jamais l'oublier, lorsque, pour mettre plus de rapidité dans nos discours, nous dirons que toutes les idées ont leur origine dans le sentiment, et qu'elles ont leur cause dans l'action des facultés de l'entendement.

QUATRIÈME LEÇON.

Les diverses origines de nos idées ne peuvent pas être ramenées à une seule origine. Réflexions sur la formation des sciences.

Montesquieu, voulant se rendre raison des idées du beau, et du plaisir qu'excitent en nous les ouvrages d'esprit et les productions des beaux-arts, ne va pas avec Platon en chercher les modèles dans un monde d'essences absolues et immuables. Ces explications, si admirées des anciens, lui paraissent insoutenables, et fondées sur une philosophie fausse. Il sent et son génie, qui toujours le porte vers les origines des choses, l'assure que les sources du noble, du grand, du sublime, du naïf, du délicat, du gracieux, ne sont pas dans les plaisirs de l'âme qui résultent de son union avec le corps, mais qu'il faut les chercher dans les plaisirs qui sont propres à l'âme; dans ceux qui lui viennent des idées de sa grandeur et de ses perfections ; dans le plaisir de comparer; dans celui d'embrasser tout d'une vue générale.

Qu'on est heureux, Messieurs, de trouver quelque rapport entre ses pensées et les pensées de Montesquieu ! Le plaisir de comparer, n'est-ce pas le sentiment qui naît de l'exercice d'une faculté de l'âme? Le plaisir d'embrasser tout d'une vue générale, ne se con fond-il pas avec le sentiment des rapports? et croyez

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