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que nous remarquons en nous, et la condition, je ne dis pas le principe ', de toutes celles que nous y remarquerons.

Placé au milieu de la nature, environné d'objets qui le frappent dans tout son être, l'homme reçoit à chaque instant, par son corps, une infinité d'impressions, et, par son âme, une infinité de sensations.

Que résultera-t-il de ces avertissemens qui ne cessent de l'inviter, qui semblent même vouloir le forcer à prendre connaissance de tant d'affections diverses, et des causes qui les produisent? que résultera-t-il de cette première manière de sentir?

Rien, si l'âme de l'homme est passive; nos premières idées si elle est active, et, à leur suite, nos autres manières de sentir, nos autres idées; en un mot, tous les trésors de l'intelligence.

Semblable aux corps inanimés, dont la première loi est de persévérer à jamais dans leur état actuel, à moins qu'une force étrangère ne vienne le changer, une âme purement passive conserverait invariables, et pendant toute la durée de son existence, les modifications qu'elle aurait une fois reçues. Et, puisqu'il est vrai que le moment présent, celui qui fuit et celui qui va suivre nous trouvent toujours différens de nousmêmes, il faut qu'il existe une force dont l'énergie surmonte l'inertie des sensations. Mais, au lieu que la force qui fait passer les corps du mouvement au repos, ou du repos au mouvement, leur vient du

4. Part. II, leç. IV, VI, VII, VIII et ix.

dehors, celle qui donne la vie aux sensations, qui les remue, les agite, ou les réprime, les calme, vient de l'âme elle-même, et fait partie de son essence.

Que serait une âme réduite à la simple capacité d'être affectée passivement? Accablée d'une foule d'impressions qui s'accumuleraient sans cesse, pour se perdre sans cesse dans un sentiment confus; heureuse, sans connaître son bonheur; malheureuse, sans jamais échapper à son malheur, sans pouvoir même en former le désir, elle se trouverait placée au-dessous de tout ce qui a reçu le don de la vie, au-dessous de l'être qui l'a reçue au moindre degré.

Telle n'est pas l'âme qu'un souffle divin inspira dans l'homme. Appelée à connaître l'univers et l'auteur de l'univers, à jouir de la nature et d'elle-même, elle a tous les moyens d'entrer en possession de si grands biens, toutes les facultés nécessaires pour remplir sa destinée.

Nous les connaissons, ces moyens, nous avons fait une étude de ces facultés, nous en avons exposé le système '; et, après les puissantes considérations que nous avons présentées tant de fois, et sous tant de formes; après les preuves multipliées que nous avons demandées à l'expérience, ou que nous avons fait sortir du raisonnement; après des démonstrations dont rien ne peut obscurcir l'évidence, nous avons le droit de le prononcer : l'âme n'est pas bornée à une simple capacité de sentir, elle est douée d'une activité originelle,

1. Part. I, leç IV.

inhérente à sa nature; elle est un principe d'action, une force innée; et, en faisant un nouvel emprunt à la langue latine, mens est vis sui motrix, l'âme est une force qui se meut, c'est-à-dire qui se modifie ellemême.

L'âme ne peut donc pas sentir et rester dans l'inertie; car le sentiment, par la manière agréable ou pénible dont il l'affecte, provoque nécessairement son action. Elle ne peut pas recevoir indifféremment des modifications qui font son bien ou son mal elle est intéressée à les étudier, à les connaître, à se soustraire aux unes, à se livrer aux autres; et, afin de le dire avec plus d'énergie, l'activité de l'âme pénètre dans la passivité de l'âme, pour porter le mouvement au sein du repos, l'ordre au sein de la confusion, la lumière au sein des ténèbres.

Or, l'activité se concentrant d'abord tout entière dans l'attention, il ne se peut pas qu'elle ne concentre en même temps la sensibilité. Alors, du milieu des sensations, dont l'assemblage désordonné présentait l'image du chaos, s'élève une sensation qui domine sur toutes les autres. L'âme la remarque, elle l'étudie, elle apprend à la connaître et à la reconnaître. Ce n'est plus une simple sensation qui l'affecte, c'est une idée qui l'éclaire. Un second acte d'attention va faire naître une seconde idée; un troisième, une autre encore; et l'intelligence, ou plutôt cette portion de l'intelligence qui tient aux sensations, ira toujours croissant, tant que la source des sensations ne sera pas tarie, tant que les forces de l'esprit ne seront pas épuisées.

Ajoutons quelques développemens, disons comment, dans le principe, l'âme exerce son activité.

L'attention, pour obtenir tous ses effets, a besoin aujourd'hui d'un profond recueillement, du silence des sens, quelquefois même de l'absence des objets dont elle s'occupe. Mais, dans les commencemens de la vie où aucun souvenir n'existe, l'attention ne peut agir que sur des sensations actuelles, et, par la direction des organes, sur les objets qui les occasionent.

Parmi les objets dont l'enfant reçoit des sensations; parmi les couleurs qu'il voit, il y en a qui appellent, en quelque sorte, le regard, qui l'attirent, et sur lesquelles les yeux se trouvent dirigés fortuitement. L'enfant se sent regardant, avant d'avoir eu l'intention de regarder. Il ne tardera pas à sentir qu'il peut regarder volontairement: il sentira aussi la différence du regard à la simple vue; car, l'enfant qui veut voir sa mère, ne la voit pas si elle est absente au lieu que, lorsqu'elle est devant ses yeux, il la regarde, s'il veut la regarder. L'enfant dispose de lui-même pour regarder; il ne dispose pas de l'objet pour voir. Sans doute, il ne fait pas explicitement, entre regarder et voir, ces distinctions qui ont échappé à tant de philosophes; mais il est impossible qu'il ne sente pas confusément qu'il n'a que la simple capacité de voir, et qu'il a le pouvoir de regarder, puisque l'expérience ne cesse de le lui dire.

Dès que l'enfant se sent un tel pouvoir, il donne ou il peut donner son attention à tous les objets qui sont à sa portée. Il donne son attention par l'organe de la vue, et les couleurs se séparent, non-seulement des

sensations qui lui viennent par les autres sens; elles se séparent entre elles. Il donne son attention par l'organe de l'ouïe; et il apprend à distinguer un bruit d'un autre bruit, à démêler plusieurs sons dans un son qui d'abord paraissait unique. Il donne son attention par le toucher; et il se fait des idées des formes, des figures, du poli, du raboteux, du froid, du chaud, etc.

C'est ainsi qu'après avoir d'abord appliqué ses organes à son insu, et sans les diriger lui-même, il les dirige et les applique volontairement sur toutes les qualités des corps. C'est ainsi qu'il parvient à éprouver des sensations distinctes, et qu'il acquiert des idées sensibles.

« Les idées sensibles ont leur origine dans le sentiment-sensation, et leur cause dans l'attention' qui s'exerce par le moyen des organes. »>

2o Mais les idées sensibles ne sont pas nos seules idées. La sensation n'est pas l'unique source d'où dé– rive l'intelligence.

En vertu de la seule manière de sentir occasionée par l'action des objets extérieurs, ou par les mouvemens opérés dans les parties intérieures de notre corps, pourrions-nous avoir idée d'autre chose que de ces

4. Quelquefois la comparaison et le raisonnement sont nécessaires pour obtenir une idée sensible, comme, par exemple, si l'on voulait se former l'idée de la figure qui sous un contour donné, renferme la plus grande surface. Mais il s'agit ici des idées sensibles qui sont communes à tout le genre humain Et d'ailleurs il ne faut point oublier qu'il est rare que toutes les facultés n'agissent pas à la fois. Celle qui domine donne son nom à l'acte presque toujours multiple de l'esprit.

1. Part. 1, deç, xıy.

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