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mande, je veux dire à notre travail, à l'application de notre esprit et aux désirs de notre cœur. Et alors cette vérité pourra nous servir de principe infaillible pour avancer dans les sciences.

Toutes ces règles que nous venons de donner ne sont pas nécessaires généralement dans toute sorte de questions, car lorsque les questions sont très-faciles la première règle suffit : l'on n'a besoin que de la première et de la seconde dans quelques autres questions. En un mot, puisqu'il faut faire usage de ces règles jusqu'à ce qu'on ait découvert la vérité que l'on cherche, il est nécessaire d'en pratiquer d'autant plus que les questions sont plus difficiles.

Ces règles ne sont pas en grand nombre. Elles dépendent toutes les unes des autres. Elles sont naturelles, et on se les peut rendre si familières, qu'il ne sera point nécessaire d'y penser beaucoup, dans le temps qu'on s'en voudra servir. En un mot, elles peuvent régler l'attention sans la partager, c'est-à-dire qu'elles ont une partie de ce qu'on souhaite. Mais elles paraissent si peu considérables par elles-mêmes, qu'il est nécessaire, pour les rendre recommandables, que je fasse voir que les Philosophes sont tombés dans un trèsgrand nombre d'erreurs et d'extravagances, à cause

qui nous parle intérieurement, que de nous soumettre de bonne foi a ces reproches secrets de notre raison, qui accompagnent le refus que l'on fait de se rendre à l'évidence...... Il est de la dernière conséquence de faire bon usage de sa liberté, en s'abstenant toujours de consentir aux choses et de les aimer, jusqu'à ce qu'on se sente comme forcé de le faire par la voix puissante de l'Auteur de la Nature, que j'ai appelée auparavant les reproches de notre raison et les remords de notre conscience. >>

qu'ils n'ont pas seulement observé les deux premières qui sont les plus faciles et les principales ; et que c'est aussi par l'usage que Descartes en a fait, qu'il a découvert toutes ces grandes et fécondes vérités dont on peut s'instruire dans ses ouvrages.

PENSÉES DE PASCAL.*

PREMIÈRE PARTIE.

ARTICLE II.

Réflexions sur la géométrie en général.

On peut avoir trois principaux objets dans l'étude de la vérité l'un, de la découvrir quand on la cherche; l'autre, de la démontrer quand on la possède; le dernier, de la discerner d'avec le faux quand on l'examine.

Je ne parle point du premier. Je traite particulière, ment du second, et il enferme le troisième. Car si l'on sait la méthode de prouver la vérité, on aura en même temps celle de la discerner; puisqu'en examinant si la preuve qu'on en donne est conforme aux règles qu'on connaît, on saura si elle est exactement démontrée.

La géométrie, qui excelle en ces trois genres, a expliqué l'art de découvrir les vérités inconnues; et c'est ce qu'elle appelle analyse, et dont il serait inutile de discourir, après tant d'excellens ouvrages qui ont été faits.

*. Voir la note p. 424 du t. Jer.

Celui de démontrer les vérités déjà trouvées, et de les éclaircir de telle sorte que la preuve en soit invincible, est le seul que je veux donner; et je n'ai pour cela qu'à expliquer la méthode que la géométrie y observe, car elle l'enseigne parfaitement. Mais il faut auparavant que je donne l'idée d'une méthode encore plus éminente et plus accomplie, mais où les hommes ne sauraient jamais arriver: car ce qui passe la géométrie nous surpasse; et néanmois il est nécessaire d'en dire quelque chose, quoiqu'il soit impossible de le pratiquer.

Cette véritable méthode, qui formerait les démonstrations dans la plus haute excellence, s'il était possible d'y arriver, consisterait en deux choses principales: l'une, de n'employer aucun terme dont on n'eût auparavant expliqué nettement le sens; l'autre, de n'avancer jamais aucune proposition qu'on ne démontrât par des vérités déjà connues, c'est-à-dire, en un mot, à définir tous les termes, et à prouver toutes les propositions. Mais, pour suivre l'ordre même que j'explique, il faut que je déclare ce que j'entends par définition.

On ne reconnait, en géométrie, que les seules délinitions que les logiciens appellent définitions de nom, c'est-à-dire que les seules impositions de nom aux choses qu'on a clairement désignées en termes parfaitement connus; et je ne parle que de celles-là seulement.

Leur utilité et leur usage est d'éclaircir et d'abréger le discours, en exprimant, par le seul nom qu'on im

=

pose, ce qui ne pourrait se dire qu'en plusieurs termes; en sorte néanmoins que le nom imposé demeure dénué de tout autre sens, s'il en a, pour n'avoir plus que celui auquel on le destine uniquement. En voici un exemple.

Si l'on a besoin de distinguer dans les nombres ceux qui sont divisibles en deux également d'avec ceux qui ne le sont pas, pour éviter de répéter souvent cette condition, on lui donne un nom en cette sorte j'appelle tout nombre divisible en deux également, nombre pair.

Voilà une définition géométrique; parce qu'après avoir clairement désigné une chose, savoir tout nombre divisible en deux également, on lui donne un nom que l'on destitue de tout autre sens, s'il en a, pour lui donner celui de la chose désignée.

D'où il paraît que les définitions sont très-libres, et qu'elles ne sont jamais sujettes à être contredites; car il n'y a rien de plus permis que de donner à une chose qu'on a clairement désignée un nom tel qu'on voudra. Il faut seulement prendre garde qu'on n'abuse de la liberté qu'on a d'imposer des noms, en donnant le même à deux choses différentes. Ce n'est pas que cela ne soit permis, pourvu qu'on n'en confonde pas les conséquences, et qu'on ne les étende pas de l'une à l'autre. Mais, si l'on tombe dans ce vice, on peut lui opposer un remède très-sûr et très-infaillible; c'est de substituer mentalement la définition à la place du dé– fini, et d'avoir toujours la définition si présente que toutes les fois qu'on parle, par exemple, de nombre

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