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RECHERCHE DE LA VÉRITÉ.

LIVRE VI.

SECONDE PARTIE DE LA MÉTHODE.

CHAPITRE I.

Des règles qu'il faut observer dans la recherche de la vérité *.

.........Il est temps de venir aux règles qu'il est absolument nécessaire d'observer dans la résolution de toutes les questions. Et c'est à quoi je m'arrêterai beaucoup, et que je tâcherai de bien expliquer par plusieurs exemples, afin d'en faire mieux connaître la nécessité, et d'accoutumer l'esprit à les mettre bien en usage : parce que, le plus nécessaire et le plus difficile n'est pas de les bien savoir, mais de les bien pratiquer.

Il ne faut pas s'attendre ici d'avoir quelque chose de fort extraordinaire, qui surprenne et qui applique beaucoup l'esprit : au contraire, afin que ces règles soient bonnes, il faut qu'elles soient simples et naturelles, en petit nombre, très-intelligibles, et dépendantes les unes des autres. En un mot, elles ne doivent que conduire notre esprit, et régler notre attention sans la partager: car l'expérience fait assez connaître

Voir la note p. 424 du t, fer,

que la Logique d'Aristote n'est pas de grand usage, à cause qu'elle occupe trop l'esprit, et qu'elle le détourne de l'attention aux choses qu'il devrait considérer pour les pénétrer. Que ceux donc qui n'aiment que les mystères et les choses extraordinaires, quittent, pour quelque temps, cette humeur, et qu'ils apportent toute l'attention dont ils sont capables, afin d'examiner si les règles qu'on va donner suffisent pour conserver toujours l'évidence dans les perceptions de l'esprit, et pour pénétrer les choses les plus cachées. S'ils ne se préoccupent point injustement contre la simplicité et contre la facilité de ces règles, j'espère qu'ils reconnaîtront par l'usage qu'ils en feront, et que nous montrerons dans la suite qu'on en peut faire, que les principes les plus clairs et les plus simples sont les plus féconds, et que les choses extraordinaires et difficiles ne sont pas toujours aussi utiles que notre vaine curiosité nous le fait croire.

Le principe de toutes ces règles est, qu'il faut toujours conserver l'évidence dans ses raisonnemens, pour découvrir la vérité sans crainte de se tromper. De ce principe dépend cette règle générale qui regarde le sujet de toutes nos études, savoir, que nous ne devons raisonner que sur des choses dont nous avons des idées claires, et par une suite nécessaire, que nous devons toujours commencer par les choses les plus simples et les plus faciles, et nous y arréler fort longtemps avant que d'entreprendre la recherche des plus composées et des plus difficiles.

Les règles qui regardent la manière dont il s'y faut

prendre pour résoudre les questions, dépendent aussi de ce même principe; et la première de ces règles est, qu'il faut concevoir très-distinctement l'état de la question qu'on se propose de résoudre, et avoir des idées de ses termes assez distinctes pour les pouvoir comparer et pour en reconnaître ainsi les rapports que l'on cherche.

Mais lorsqu'on ne peut reconnaître les rapports que les choses ont entr'elles, en les comparant immédiatement, la seconde règle est, qu'il faut découvrir par quelque effort d'esprit une ou plusieurs idées moyennes qui puissent servir comme de mesure commune pour reconnaître par leur moyen les rapports qui sont entr'elles. Et il faut observer inviolablement que ces idées soient claires et distinctes, à proportion que l'on tâche de découvrir des rapports plus exacts et en plus grand nombre.

Mais lorsque les questions sont difficiles et de longue discussion, il faut, par la troisième règle, retrancher avec soin du sujet que l'on doit considérer, toutes les choses qu'il n'est point nécessaire d'examiner pour découvrir la vérité que l'on cherche; car il ne faut point partager inutilement la capacité de l'esprit, et toute sa force doit être employée aux choses seules qui le peuvent éclairer. Les choses que l'on peut ainsi retrancher, sont toutes celles qui ne touchent point la question, et qui étant retranchées, la question subsiste dans son entier. Lorsque la question est ainsi réduite aux moindres termes, il faut, par la quatrième règle, diviser le sujet

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de sa méditation par parties, et les considérer toutes les unes après les autres, selon l'ordre naturel, en commençant par les plus simples, c'est-à-dire, par celles qui enferment moins de rapports; et ne passer jamais aux plus composées, avant que d'avoir reconnu distinctement les plus simples, et se les étre rendues familières.

Lorsque ces choses sont rendues familières par la méditation, l'on doit, selon la cinquième règle, en abréger les idées, et les ranger ainsi dans son imagination, ou les écrire sur le papier, afin qu'elles ne remplissent plus la capacité de l'esprit. Quoique cette règle soit toujours utile, elle n'est absolument nécessaire que dans les questions très-difficiles, et qui demandent une grande étendue d'esprit, puisqu'on n'étend l'esprit qu'en abrégeant ses idées. L'usage de cette règle et de celles qui suivent ne se reconnaît bien que dans l'algèbre.

Les idées de toutes les choses, qu'il est absolument nécessaire de considérer, étant claires, familières, abrégées, et rangées par ordre dans l'imagination, ou exprimées sur le papier, il est nécessaire de les comparer toutes alternativement les unes avec les autres, selon les regles des combinaisons, ou par la seule vue de l'esprit, ou par le mouvement de l'imagination accompagné de la vue de l'esprit, ou par le calcul de la plume joint à l'attention de l'esprit et de l'imagination.

Si de tous les rapports qui résultent de toutes ces l'on comparaisons, il n'y en a aucun qui soit celui que

cherche, il faut, de nouveau, retrancher de tous ces rapports ceux qui sont inutiles à la résolution de la question; se rendre les autres familiers, les abréger, et les ranger par ordre dans son imagination, ou les exprimer sur le papier; les comparer ensemble, selon les règles des combinaisons, et voir si le rapport composé que l'on cherche est quelqu'un de tous les rapports composés qui résultent de ces nouvelles comparaisons.

S'il n'y a pas un de ces rapports que l'on a découverts qui renferme la résolution de la question, il faut de tous ces rapports retrancher les inutiles, se rendre les autres familiers, etc. Et en continuant cette manière d'agir, on découvrira la vérité ou le rapport que l'on cherche, si composé qu'il soit, pourvu qu'on puisse étendre suffisamment la capacité de l'esprit par l'abrégement des idées, et que dans toutes ces opérations l'on ait toujours en vue le terme où l'on doit tendre. Car c'est la vue continuelle de la question qui doit régler toutes les démarches de l'esprit, puisqu'il faut toujours savoir où l'on va.

Il faut sur toutes choses prendre garde à ne pas se contenter de quelque lueur ou de quelque vraisemLlance, et recommencer si souvent les comparaisons qui servent à découvrir la vérité que l'on cherche, qu'on ne puisse s'empêcher de la croire sans sentir les reproches secrets du Maître qui répond à notre de

Le sens que Malebranche donne à ce mot Maitre est expliqué par les deux passages suivans du chapitre II du livre premier de la Recherche de la vérité : ..... « C'est obéir à la voix de la vérité éternelle,

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