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notions éprouvées. A-t-elle toujours été fidèle à cette mission? n'a-t-elle jamais été complice de l'erreur? Ne confondons pas la philosophie avec les philosophes: disons plutôt comment il nous semble que ceux-ci devraient s'y prendre lorsqu'ils veulent faire, ou refaire, ou vérifier les idées. Je me bornerai à un petit nombre de ces idées, et aux indications les plus sommaires.

2 II.

Les idées des corps, de l'âme et de Dieu, ont leur origine dans le sentiment..

Les corps: l'âme : Dieu. Comment l'âme se formerat-elle une image des corps? comment pourra-t-elle se connaître elle-même? comment s'élèvera-t-elle jusqu'à l'être infini?

Puisqu'il est démontré que toutes les idées ont leur origine dans quelqu'une de nos manières de sentir, et leur cause dans l'action de quelque faculté de l'entendement, nous savons où se trouve la réponse à ces questions.

Et d'abord: des sensations naissent les idées sensibles, idées qui nous montrent les corps, en nous montrant leurs qualités. Je n'ignore pas qu'il y a ici des difficultés réelles, dont on a présenté des solutions plus ingénieuses que complétement satisfaisantes. Je dirai bientôt comment il serait possible de lever ces difficultés; en ce moment, je veux faire une observation qui ne doit pas être différée.

Parce que l'idée des corps nous vient des sensations,

on s'est persuadé que les sensations suffisaient pour nous donner l'idée du spectacle de l'univers. L'univers est quelque chose de plus que l'assemblage ou la somme de tous les corps; il est un concert d'élémens, un accord admirable de fins et de moyens, un immense système de proportions et de rapports de toute espèce.

Bornés aux seules sensations, et privés des sentimens de rapport, nous serions dans une ignorance invincible des merveilles de la nature. Nous ne connaîtrions ni l'harmonie qu'on découvre dans l'organisation du plus petit insecte, ni l'harmonie qu'on admire dans les sphères célestes.

Les sensations et les sentimens de rapport, voilà donc les conditions premières de la connaissance du monde physique; cette connaissance exige aussi l'emploi de deux facultés de l'entendement, l'attention et la comparaison. Sans ces deux points d'appui, et sans ces deux leviers, l'âme ne pourrait s'élever ni aux idées de rapport, ni même aux idées sensibles; elle ne connaîtrait ni l'ordre qui règne entre les objets extérieurs, ni aucun objet extérieur : elle existerait solitaire, au milieu des mondes qui remplissent les espaces.

Il ne sera pas moins nécessaire de recourir au sentiment pour connaître l'âme, qu'il ne l'a été d'y recourir pour connaître les corps. Que dis-je? ignorons-nous donc ce que c'est que l'âme? n'est-ce pas de l'âme que nous parlons dans tous nos discours? et aurions-nous tant de fois prononcé ce nom sans y attacher quelque idée?

Vous ne le pensez pas vous ne sauriez le penser.

Les mots dont nous nous sommes servis pour désigner les divers emplois de l'activité, et les divers modes de la sensibilité, ne sont pas vides de sens. Nous n'avons pas imaginé que nous étions sensibles et actifs; nous n'avons imaginé ni les facultés de l'âme, ni ses différentes manières de sentir. Ce sont des choses bien réelles; et, comme elles nous sont connues', l'âme ellemême nous est connue, ou du moins elle ne nous est pas tout à fait inconnue.

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Il est vrai que l'âme est une substance immatérielle, inétendue, simple, spirituelle; mais la connaissance de la spiritualité de l'âme est une suite de celle de son activité et de sa sensibilité.

Une substance ne peut comparer qu'elle n'ait au moins deux idées à la fois. Si la substance est composée, ne fût-ce que de deux parties, où placerez-vous les deux idées? seront-elles toutes deux dans chaque partie, ou l'une dans une partie et l'autre dans l'autre? Il n'y a pas de milieu. Si les deux idées sont séparées, la comparaison est impossible. Si elles sont réunies dans chaque partie, il y a deux comparaisons à la fois et par conséquent deux substances qui comparent, deux âmes, deux moi; mille, si vous supposez l'âme composée de mille parties.

Vous ne pouvez échapper à la force de cette preuve : vous ne pouvez nier la simplicité, la spiritualité de l'âme, qu'en niant que vous ayez la faculté de comparer ou qu'en admettant en vous pluralité de moi, pluralité de personnes.

L'origine de l'idée de l'âme, de l'âme spirituelle, est

dans le sentiment de l'action des facultés de l'âme; et sa cause, dans le raisonnement.

Nous sentons l'action du principe pensant: nous prouvons sa simplicité, sa spiritualité.

Il nous sera peut-être également facile d'indiquer la manière dont nous nous élevons à l'idée de Dieu; n'oubliez pas cependant que l'objet de ces indications n'est ni l'existence de Dieu, ni l'existence de l'âme, ni l'existence des corps: et si l'on trouvait dans ce que nous venons de dire sur l'âme, une preuve de l'existence de l'âme, comme dans ce que nous allons dire sur Dieu, une preuve de l'existence de Dieu, nous devrions nous en féliciter, sans doute; mais ces preuves, destinées à nous mettre en possession des plus importantes de toutes les vérités, et qui, pour être dignement développées, veulent le génie abondant et sublime des Pascal et des Bossuet, ne sont ici qu'une chose accessoire. Il s'agit, en ce moment, de la formation des idées, et encore, non pas de leur formation complète; il s'agit des élémens nécessaires pour obtenir des idées sûres et inébranlables.

L'idée de Dieu sera à l'épreuve de toutes les attaques, si elle s'appuie sur le sentiment.

Or, là est son appui. Qui pourrait le nier? qui pourrait en douter?

Du sentiment de sa faiblesse et de sa dépendance, l'homme, par un raisonnement inévitable, ne s'élèvera-t-il pas à l'idée de la souveraine indépendance et de la souveraine puissance?

Du sentiment que produisent en lui la régularité des

lois de la nature et la marche calculée des astres, à l'idée d'un ordonnateur suprême?

Du sentiment de ce qu'il fait lui-même, quand il dispose ses actions pour les conduire vers un but, à l'idée d'une intelligence infinie?

Ces trois idées ne sont qu'une seule idée. Mais comme cette idée unique sort de trois sentimens divers, on a pu, en la prenant sous trois points de vue, en faire le moyen de trois argumens de l'existence de Dieu, distincts et séparés. Le premier est puisé au fond même de notre nature; le second éclate dans la magnificence du spectacle de l'univers; le troisième nous vient avec une force irrésistible de la considération des causes finales.

Vous trouverez Dieu encore dans le sentiment du juste et de l'injuste, dans la conscience du bien et du mal, qui nous révèle un juge suprême.

Ainsi, la sensibilité humaine tout entière tend vers la divinité.

Aidée par les facultés de l'entendement et convertie en intelligence, elle s'approche de la divinité, elle la voit, elle y touche presque.

Essayer aujourd'hui de faire voir comment chacune de nos manières de sentir peut nous mener à l'idée de Dieu, ce serait trop anticiper. Toutefois, observons, un moment, la manière de sentir qui sert de fondement à l'idée de cause première.

Lorsque l'âme agit sur ses sentimens et sur ses idées, nous ne pouvons pas douter que, souvent, elle ne change sa manière d'être actuelle. Les sentimens de

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