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L'idée n'est ni la première, ni aucune des opérations de l'entendement. L'idée est le produit d'une opération de l'entendement, le produit de l'exercice de quelqu'une des facultés de l'entendement ; elle n'est ni une faculté, ni une opération.

Il ne fallait donc pas confondre l'idée avec les opérations de l'âme, avec ses facultés ;

Ni en faire un être réel, interposé entre l'esprit et les objets, puisqu'elle n'est qu'une modification de l'esprit ;

Ni lui supposer une nature qui tiendrait tout à la fois de l'être et du mode, comme l'indique le nom d'entité modale, que lui ont donné certains métaphysiciens parce qu'une pareille opinion est tout-à-fait inintelligible;

Ni dire, avec Malebranche, que « les idées sont l'essence même de la Divinité qui se manifeste à nos âmes, » et que, nos âmes voyant tout par les idées ou dans les idées, nous voyons tout dans l'essence divine, « nous voyons tout en Dieu » car entre l'essence divine et ce qui résulte de l'action de nos facultés sur nos sentimens, il n'y a rien de semblable;

Ni prétendre avec les péripatéticiens, que les idées sont des espèces envoyées par les objets, d'abord aux sens, et ensuite à l'imagination, pour représenter ces objets dont elles sont les copies, les empreintes, parce que ces empreintes, ces copies, n'ont jamais existé que dans l'imagination des péripatéticiens'.

4. Part. I, leç. vi.

Descartes fait consister l'idée dans « cette forme de nos pensées, par la perception immédiate de laquelle nous avons connaissance de ces mêmes pensées. » Or, l'idée, la perception, la connaissance étant une même chose, comment veut-on que la connaissance nous éclaire sur la nature de la perception, et la perception sur la nature de l'idée ?

Bonnet donne le nom d'idée à « toute manière d'être de l'âme dont elle a la conscience ou le sentiment. »> Ceci revient à l'explication de Descartes; ou, si l'on veut que ce soit autre chose, Bonnet confond l'idée avec le simple sentiment. Il fallait dire Le sentiment distinct, la conscience distincte.

On pourrait croire d'abord que Buffon a été plus heureux que les autres, lorsqu'il définit les idées « des sensations comparées. » Mais outre que cette définition ne peut convenir à d'autres idées qu'aux idées sensibles, observez que, pour comparer deux sensations, il faut avoir deux sensations, et que, pour avoir deux sensations, pour être averti qu'on a deux sensations, il faut les avoir distinguées, il faut en avoir idée : les sensations comparées supposent les idées.

Pourrions-nous, en parlant des idées, ne pas nommer Platon, Platon qu'on a surnommé le divin? et nous sera-t-il possible de savoir ce que son école entendait par le mot idée?

Le platonicien Alcinous, philosophe grec, qui vivait au commencement de l'ère chrétienne, va nous l'apprendre.

L'idée est, par rapport à Dieu, son intelligence; par

rapport à nous, le premier objet de l'entendement ; par rapport à la matière, la mesure; par rapport au monde sensible, le modèle; par rapport à elle-même, l'essence.

J'admire la rare précision d'Alcinoüs; mais je ne sais pas encore ce que c'est que l'idée; je ne saurais juger de la vérité ou de la fausseté de tout ce qu'on lui attribue. Et si Platon et ses disciples me répondent qu'ils viennent d'en donner cinq définitions différentes, ou, ce qui revient au même, de nous faire connaître cinq acceptions différentes que prend le mot idée, je n'insiste pas; et je m'arrête à la seconde de ces acceptions, à la seule qui nous intéresse dans ce moment, à celle qui considère l'idée par rapport à nous.

« L'idée est le premier objet de l'entendement. » L'entendement se conçoit de deux manières : ou bien il est une faculté à laquelle nous devons toutes nos connaissances, ou bien il est la réunion de toutes nos connaissances, de toutes nos idées. Si l'entendement ne vous présente qu'une faculté, soit simple, soit composée d'autres facultés, son premier objet n'est pas l'idée, c'est le sentiment. Si vous le regardez comme une réunion d'idées, l'idée ne sera pas son premier objet, car alors l'idée serait l'objet de l'idée.

Ajoutez qu'on ne fait pas une définition en disant que l'idée est le premier objet de l'entendement; c'est une simple proposition, qui suppose qu'on sait déjà ce que c'est que l'idée.

Avons-nous enfin épuisé la critique? non, Messieurs, car nous sommes loin d'avoir épuisé tout ce qui a été

dit sur les idées, tant parmi les anciens que parmi les modernes. Vous ne voulez pas que je m'arrête plus longtemps sur des opinions qui ne sont, en effet, que des opinions.

Peut-être, en voyant combien il nous a été facile d'apprécier les divers sentimens des philosophes, et de résoudre quelques-unes des questions qui les divisent, serez-vous plus disposés à consentir à ce que je vous ai proposé.

Peut-être aussi ne permettrez-vous plus au doute d'approcher des vérités suivantes :

«Que le germe de toutes nos connaissances se trouve dans le sentiment. >>

« Que ce germe eût été à jamais stérile, s'il n'avait été fécondé par un principe actif. »

de ce

« Que la lumière de l'esprit n'a pu naître que concours; et qu'au moment même où il s'est opéré, un premier rayon, échappé du fond de son être, a annoncé à l'homme qu'il possédait une intelligence. »

Mais cette netteté de discussion et cette évidence de raisonnement, s'il m'est permis de le dire, vous les attribuerez surtout au soin que nous avons pris de mettre quelque exactitude dans notre langage, à l'attention constante de ne jamais faire usage d'un mot essentiel, sans nous être auparavant assuré de l'idée dont il doit être le signe.

HUITIEME LEÇON.

Objections contre l'ordre de nos leçons et contre notre doctrine des idées.

Dans une de nos dernières séances', j'ai pris l'engagement de revenir sur des objections que je me voyais, pour le moment, forcé de laisser sans réponse. Je ne pouvais pas interrompre une suite de raisonnemens qui demandaient à être rapprochés pour se prêter un appui mutuel.

Maintenant que j'ai exposé ma manière de concevoir les premiers développemens de notre intelligence, je puis et je dois chercher à acquitter ma promesse.

Première objection: contre l'ordre de nos leçons. Vous avez divisé la suite de vos leçons en deux parties. La première a eu pour objet les facultés de l'âme humaine, mais d'une manière spéciale les facultés de l'entendement. Dans la seconde, vous traitez des idées.

N'eût-il pas été mieux de nous apprendre à bien conduire notre esprit, avant de l'appliquer à l'étude de l'entendement et à celle des idées; et dans cette étude, n'était-il pas préférable aussi de porter d'abord notre attention sur les idées, qui sont le produit de l'action des facultés de l'entendement, plutôt que sur

1. Part. II, leç. vi.

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