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du sentiment des couleurs, de la sensation des cou

leurs.

Suivez cette analogie, et vous avez l'origine de toutes les idées.

D'où vient l'idée des facultés de l'âme, l'idée de l'action de l'âme, l'idée de la pensée? elle vient du sentiment des facultés de l'âme, du sentiment de l'action de l'âme, du sentiment de la pensée.

D'où viennent les idées de rapport? des sentimens de rapport..

D'où viennent les idées morales? des sentimens

moraux.

Tout confirme done notre théorie; et les preuves directes que nous en avons données, et les vices des autres doctrines, et la facilité avec laquelle nous expliquons des choses qui jamais n'avaient été expliquées.

Malgré ses défauts, l'argument de Port-Royal contre Gassendi et contre Hobbes est le plus solide qu'on ait opposé aux partisans des idées originaires des sens. Aussi n'a-t-on pas manqué de le reproduire à l'occasion de Locke et de Condillac, mais toujours en lui faisant perdre de sa force, parce qu'on le présentait mal, et parce qu'on voulait le faire servir à appuyer des doctrines plus éloignées encore de la vérité, plus contraires à l'expérience, que la doctrine qu'on cherchait à renverser.

Quelquefois, à l'idée de la pensée, ou, ce qui est la même chose, aux idées intellectuelles des facultés de l'âme, on a substitué les idées morales; et, comme Port-Royal demandait à Gassendi de quelle couleur est

la pensée, on a demandé à Locke et à Condillac de quelle couleur est la morale. On leur a reproché de vouloir faire de la morale avec des sons, des saveurs : on a été jusqu'à les accuser d'anéantir toute morale avec leur fausse philosophie.

Quand on fait de pareilles objections; quand on se permet des inculpations aussi odieuses, avant de s'être bien assuré qu'elles sont fondées, on s'expose étrangement à manquer soi-même à la morale.

Les sensations, les cinq espèces de modifications que l'âme reçoit à la suite de l'impression des objets, peuvent être considérées, chacune dans ce qu'elles ont de particulier, de caractéristique; et toutes dans ce qu'elles ont de commun '. Sous le premier point de vue, elles sont couleur, son, saveur, odeur, chaleur, etc.; sous le second point de vue, elles affectent l'âme en bien et en mal; elles l'avertissent de son existence; l'âme prend connaissance de ses affections et d'elle-même.

Or, ce n'est pas du premier point de vue que des philosophes tels que Locke ou Condillac et leurs vrais disciples, ont pu vouloir faire naître les idées morales; c'est du second.

Ils ont cru trouver les premières notions du juste et de l'injuste dans le sentiment, dans la conscience, du plaisir ou de la douleur, du bien-être ou du mal-être, qui nous viennent de nos semblables; et ils ont identifié cette conscience avec la sensation, ils l'ont appelée sensation.

4. Part. II, leç. 111,

Voilà ce qu'on pouvait, ce qu'il fallait attaquer, non pas le rouge ou le bleu, le grave ou l'aigu, qui sont étrangers à la question, et qui n'y fussent jamais entrés, si elle avait été posée par une raison plus éclairée.

Je ne continuerai pas l'examen de ce qu'on a pensé pour résoudre le problème de l'origine de nos connaissances. Nous trouverions toujours ou erreurs, ou inexactitudes : les uns, sous le vain prétexte d'une perfection chimérique, ont voulu soustraire l'intelligence de l'homme à toute influence de la sensibilité; les autres, n'ayant pas aperçu tous les modes de la sensibilité, et trompés par le mot sensibilité même, ont demandé aux sensations plus qu'elles ne pouvaient donner ils ont cru tenir d'elles ce qui leur venait de quelque autre manière de sentir, et cette méprise les a trop souvent égarés; quant aux premiers, ils n'ont jamais été sur la bonne route.

:

Les philosophes, en traitant la question de l'origine des idées, ont donc mal raisonné. Voyons s'ils ont mieux parlé qu'ils n'ont raisonné. Je serai sévère jusqu'à la minutie; mais les vices de langage que je relèverai ont fait et font encore tant de mal, qu'on devra me trouver trop indulgent.

On dit « Les idées viennent des sens. » J'observe, d'abord, que cette proposition est fausse dans sa généralité. On attribue à toutes les idées ce qui pourrait convenir tout au plus aux idées sensibles; on suppose qu'il n'existe qu'une seule origine d'idées, quand il est démontré qu'il y en a plusieurs.

2o En restreignant la proposition aux idées sensibles,

et en supposant que des sens il pût venir quelque chose à l'âme, ce seraient de simples sensations, et non des idées sensibles: l'âme reçoit les sensations; elle ne reçoit pas les idées sensibles; elle les fait elle-même, en agissant sur les sensations.

5o Les idées sensibles, alors même qu'on les confondrait avec les sensations, ne peuvent venir ou être venues des sens qu'autant qu'elles seraient ou qu'elles auraient été dans les sens. Comme cette absurdité qu'on dit n'est pas ce qu'on veut dire (car nous parlons ici des philosophes qui refusent l'intelligence et le sentiment à la matière), il s'ensuit qu'on s'est mal exprimé.

« Les idées viennent par le sens. » 1° Cette proposition, comme la précédente, va beaucoup trop loin; 2o elle confond les idées, ou du moins les idées sensibles, avec les sensations; 3° on donne à entendre que les idées sont primitivement dans les objets extérieurs, et que, pour arriver jusqu'à l'âme, elles passent à travers les sens: certainement ce n'est pas cela qu'on veut dire.

Mais qui peut ainsi prendre ces propositions à la lettre, et ne pas voir qu'elles signifient : « Les idées ont leur origine dans la sensation, » dans la modification que l'âme reçoit à l'occasion des mouvemens du corps?

Qui? lisez ce que tous les jours on publie : vous verrez qu'aujourd'hui encore on demande à ceux qui font venir les idées par les sens, si elles sont blanches ou noires, rondes ou carrées, pour être entrées par la vue ou par le toucher; vous verrez qu'on se porte, envers ceux qui font venir les idées des sens, comme

envers ceux qui les font venir par les sens, jusqu'à les accuser de professer le matérialisme et d'être les corrupteurs de la morale. Il est vrai que c'est par une déplorable confusion d'idées qu'on fait ces ridicules questions et qu'on se livre à de pareils excès. On confond d'abord les idées sensibles avec les sensations; ensuite, les sensations avec les impressions faites sur les organes; après quoi il n'est plus étonnant qu'on ne voie dans les idées qu'un simple mouvement de la matière, et dans l'homme qu'une machine soumise aux lois de la nécessité'.

Un langage plus exact, une précision plus grande dans les énoncés, auraient prévenu ces imputations absurdes; mais continuons.

« Les idées ont leur source dans la sensation ou dans la réflexion. » Ceci laisse à désirer, sans doute; cependant on aperçoit une grande amélioration : 4° les sensations ont pris la place des sens; 2° dans la réflexion, on voit indiquée une seconde source d'idées ; et, quoique la réflexion ne soit pas une source d'idées, on n'a pu l'ajouter aux sensations sans avoir reconnu l'insuffisance d'une source unique.

3

« Les idées ont deux sources, dit Locke, les sens et la réflexion de l'esprit sur ses propres opérations 3. >> Cet énoncé, quoique inexact encore, approche de la vérité plus que le précédent. Ce n'est pas ici la réflexion prise d'une manière vague; c'est la réflexion

4. Part. I, leç. Ix et x.

2. Part. II, leç. v.

3. Essai sur l'Entendement.

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