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subordonnée à l'entendement, et l'unité n'est pas altérée.

Les facultés de l'entendement une fois connues, la méthode se montre aussitôt dans leur emploi régulier; et si elle est ignorée, c'est que les facultés sont ellesmêmes ignorées.

Des êtres dont l'entendement aurait une faculté de moins, ou comprendrait une faculté de plus, seraient assujettis à une méthode différente: ils concevraient les choses autrement que nous.

Privés du raisonnement, conduiraient-ils leur esprit comme nous conduisons le nôtre? Y aurait-il pour eux des principes et des conséquences?

Enrichis d'une faculté nouvelle, qu'à la vérité nous ne saurions imaginer, mais qu'il nous est permis de supposer, n'est-il pas certain qu'ils feraient subir à leurs idées et à toutes leurs connaissances, des combinaisons auxquelles nos forces ne peuvent atteindre, et que leur intelligence s'élèverait au-dessus de l'intelligence de l'homme, autant que celle de l'homme s'élève au-dessus de celle des animaux ?

La méthode que nous devons suivre n'est donc pas arbitraire; elle est fondée sur les lois de notre existence. Recueillir des idées exactes par l'attention, les rapprocher par la comparaison, les enchaîner par le raisonnement voilà tout ce que nous pouvons faire, et ce que nous sommes obligés de faire, sciemment ou à notre insu, toutes les fois que nous voulons acquérir la connaissance d'un objet.

Enfin, de l'analyse des facultés de l'âme et des règles

sur la méthode, on a vu sortir des réflexions propres à nous aider de plus en plus dans nos études; et peutêtre n'aurez-vous pas trouvé tout à fait inutiles celles qui ont pour objet les définitions, leur usage, et surtout leur abus.

T'elles sont les questions principales qui, tour à tour, nous ont occupés jusqu'à ce moment.

Il serait moins aisé de faire une exposition aussi rapide, et en même temps intelligible, des autres parties de la philosophie.

Vous connaissiez les facultés de l'âme. Vous les aviez observées dans leur origine et dans leur génération'. Vous aviez été frappés du rapport qui existe entre ces facultés et la méthode qui peut le mieux soulager notre faiblesse. Il a donc suffi de quelques mots pour vous rappeler ce que vous saviez déjà. Mais ici, vous êtes censés ignorer ce qui ne doit être exposé que dans la suite de nos discours. Puis-je me flatter que des énoncés sommaires, des énoncés qui résument, vous donneront des idées que vous n'avez pas, comme ils ont réveillé des idées qui vous étaient devenues familières?

Je ne vous présenterai donc pas à l'avance une table des matières, propre, si l'on veut, à réfléchir une lumière empruntée, mais incapable d'éclairer par ellemême. J'indiquerai seulement les principales divisions; et je dirai ce que je me suis proposé d'offrir à votre étude, ou de livrer à votre examen.

L'âme unie au corps éprouve des affections qui se

4. Part. I, leç. IV.

succèdent, en se variant, tout le temps que cette union persiste. Or, l'âme ne peut pas être affectée, elle ne peut pas sentir, et être indifférente à ce qui l'affecte, à ce qu'elle sent. Le plaisir et la douleur la forcent d'abord à sortir du repos, elle ne peut pas sentir et ne pas agir.

Exister, pour l'âme, c'est donc agir, puisque exister c'est sentir. Exister, sentir, agir ces trois mots expriment trois choses qui ne sont point séparées, ou qui du moins sont rarement séparées.

Elles pourraient l'être sans doute. Une âme réduite à la pure sensibilité et à la simple activité n'en existerait pas moins pour n'avoir jamais produit aucun acte, et quoique privée de tout sentiment. L'œil n'est pas anéanti lorsqu'il cesse de voir ou de regarder.

Mais cette supposition n'est pas la nôtre. Nous sommes sensibles, et nous sentons. Nous sommes actifs, et nous agissons. Nous agissons parce que nous sentons. Nous agissons sur ce que nous sentons. L'entendement et la volonté, excités par les sensations les plus diverses, et par une multitude infiniment plus variée d'autres sentimens, s'appliquent à ces sentimens et à ces sensations: la volonté, pour écarter ce qui nuit, ce qui déplaît, pour ne pas laisser échapper ce qui peut faire notre bien; l'entendement, pour étudier, démêler, distinguer des manières d'être qui nous intéressent si vivement, pour les connaître enfin, soit en elles-mêmes, soit dans leurs causes.

Le tableau des facultés de l'âme serait donc à peine ébauché, s'il ne montrait ces facultés que dans le calme et le repos. C'est dans leur action, c'est dans les effets

qu'elles produisent, que nous devons surtout les observer; car notre sort en dépend, les vraies ou les fausses lumières, le bonheur ou le malheur.

Ainsi, l'étude des facultés de l'âme, considérées dans leur nature, commande l'étude de ces mêmes facultés considérées dans leurs effets, Ce nouveau travail, on le voit, comprend ce que nous devons à l'action de l'entendement, et ce que nous devons à l'action de la volonté. Il se divise en deux sections qui, par l'étendue et par la diversité de leur objet, constituent deux parties de la philosophie.

Celle qui nous fait connaître les effets de l'entendement appliqué à nos différentes manières de sentir, qui nous montre comment se forment les idées, c'est la métaphysique, la science des principes.

Celle qui a pour objet les actes de la volonté, qui les étudie et qui les règle, c'est la morale, la science des mœurs, la science du juste et de l'honnête.

La métaphysique et la morale seraient des sciences mortes, ou tout à fait stériles, si un art, qui est le privilége de l'homme, ne venait les vivifier et les féconder.

Comme la main seule ne peut mouvoir les grands corps, et qu'elle est inhabile à donner à ses dessins l'exactitude des contours géométriques, tandis qu'à l'aide d'un instrument elle soulève les masses les plus énormes, ou trace des courbes parfaites: ainsi, l'entendement, livré à lui-même, ne sentira que sa faiblesse, et chacun de ses efforts attestera son impuissance. Donnez-lui des secours; à ses moyens naturels,

ajoutez des moyens artificiels : ses ouvrages porteront l'empreinte de la force et de la régularité.

Quel est donc l'artifice qui opère de tels prodiges, qui change, pour ainsi dire, la nature de l'esprit, qui lui donne tant de rectitude, tant de puissance?

C'est ici qu'il importe de ne pas abandonner les inspirations du bon sens pour les prestiges d'un art trompeur. Tout ce que nous aurions appelé à notre aide se tournerait contre nous; et, loin de nous sentir plus forts, à peine serions-nous capables d'agir.

Que l'expérience des autres, que notre propre expérience ne soient pas inutilement perdues. Nous nous sommes mépris sur le choix des moyens qui nous sont nécessaires, et nous nous sommes égarés, parce que des observations mal faites ne pouvaient que nous mal diriger. Observons mieux, et nous les découvrirons, ces moyens. La nature, il est vrai, ne les donne pas immédiatement, elle ne les montre pas d'abord; mais elle les indique assez pour que nous puissions nous en rendre les maîtres. Dès qu'ils seront à notre disposition, on verra de nouveaux effets se produire, se multiplier; et l'esprit s'étonnera de faire aisément ce qui semblait excéder ses facultés.

La science qui nous apprend ainsi le secret de notre force, c'est la logique.

Un traité complet de philosophie se divise donc en quatre parties:

1o Des facultés de l'âme considérées en elles-mêmes, ou « de la nature de l'entendement et de la nature de la volonté. »

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