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- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor (5).

LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS,
EN SOCIÉTÉ AVEC LE LION.

L

A génisse, la chèvre et leur sœur la brebis,
Avec un fier lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,

Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la chèvre un cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.

Eux venus, le lion par ses ongles compta;

Et dit : « Nous sommes quatre à partager la proie. »
Puis en autant de parts le cerf il dépeça ;
Prit pour lui la première en qualité de sire.
« Elle doit être à moi, dit-il ; et la raison,
C'est que je m'appelle lion :

A cela l'on n'a rien à dire.

La seconde, par droit, me doit échoir encor :
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord. >>

LA BESACE.

UPITER dit un jour: « Que tout ce qui respire
S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur:
Si dans son composé quelqu'un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur;

Je mettrai remède à la chose.
Venez, singe; parlez le premier, et pour cause:
Voyez ces animaux, faites comparaison

De leurs beautés avec les vôtres.

1. Hyperbole plaisante, qui a fait proverbe. (LEMAITRE.)

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Êtes-vous satisfait? - Moi, dit-il ; pourquoi non?
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché :
Mais pour mon frère l'ours, on ne l'a qu'ébauché;
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre. »
L'ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre.
Tant s'en faut : de sa forme il se loua très fort,
Glosa sur l'éléphant, dit qu'on pourrait encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;

Que c'était une masse informe et sans beauté.
L'éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il était, dit des choses parcilles
Il jugea qu'à son appétit

Dame baleine était trop grosse.
Dame fourmi trouva le ciron trop petit,
Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin les renvoya, s'étant censurés tous,

Du reste contents d'eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes:
On se voit d'un autre ceil qu'on ne voit son prochain.
Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers (1) tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui:
Il fit pour nos défauts la poche de derrière, .

Et celle de devant pour les défauts d'autrui (2).

L'HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX.

UNE hirondelle en ses voyages

Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.
Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages,
Et, devant qu'ils fussent éclos,

1. Porteurs de besaces. 2. La Fontaine, dit Chamfort, aurait mieux fait d'imiter Ésope, qui n'attribue pas au «fabricateur souverain », mais à l'homme, la responsabilité de ce travers.

Les annonçait aux matelots.

Il arriva qu'au temps que la chanvre se sème,
Elle vit un manant (1) en couvrir maints sillons.
«Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons:

Je vous plains; car, pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine?
Un jour viendra, qui n'est pas loin,

Que ce qu'elle répand sera votre ruine.
De là naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper,
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison:
Gare la cage ou le chaudron!
C'est pourquoi, leur dit l'hirondelle,
Mangez ce grain; et croyez-moi. »
Les oiseaux se moquèrent d'elle:
Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
Quand la chènevière (2) fut verte,
L'hirondelle leur dit: « Arrachez brin à brin
Ce qu'a produit ce maudit grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.

-Prophète de malheur ! babillarde! dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes;
Il nous faudrait mille personnes

Pour éplucher tout ce canton. >>
La chanvre (3) étant tout à fait crue,
L'hirondelle ajouta : « Ceci ne va pas bien;
Mauvaise graine est tôt venue.

Mais, puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,

Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu'à leurs blés
Les gens n'étant plus occupés

Feront aux oisillons la guerre ;

1. Un habitant de la campagne. 2. Terrain semé de chanvre. 3. Chanvre s'employait autrefois au féminin comme au masculin. (WALCKENAER.)

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Quand reginglettes (1) et réseaux
Attraperont petits oiseaux,

Ne volez plus de place en place,
Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le canard, la grue et la bécasse.

Mais vous n'êtes pas en état

De passer, comme nous, les déserts et les ondes,
Ni d'aller chercher d'autres mondes:

C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr;
C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur. »
Les oisillons, las de l'entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre (2) Ouvrait la bouche seulement.

Il en prit aux uns comme aux autres: Maint oisillon se vit esclave retenu.

Nous n'écoutons d'instinct que ceux qui sont les nôtres, Et ne croyons le mal que quand il est venu.

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.

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1. Pièges à prendre les oiseaux. 2. Cassandre, fille de Priam, avait prédit les malheurs de Troie, mais ne fut pas écoutée.

L

A la porte de la salle

Ils entendirent du bruit :
Le rat de ville détale;
Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire:
Rats en campagne aussitôt;
Et le citadin de dire :

« Achevons tout notre rôt.

C'est assez, dit le rustique :
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de roi :

Mais rien ne vient m'interrompre,
Je mange tout à loisir.

Adieu donc. Fi du plaisir

Que la crainte peut corrompre ! >>

LE LOUP ET L'AGNEAU.

A raison du plus fort est toujours la meilleure(1),
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.

<< Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage:

Tu seras châtié de ta témérité.

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Sire, répond' l'agneau, que Votre Majesté

Ne se mette pas en colère ;

Mais plutôt qu'elle considère

1. « Cela veut-il dire que le plus fort a toujours raison? Non certes. Il est bon, en lisant La Fontaine, de ne pas toujours s'arrêter à la lettre de ses moralités : il a pensé que personne ne traduirait jamais ce vers autrement que ne l'a fait Boursault: Le plus cruel des droits est le droit du plus fort. » (SAINT-MARC-GIRARDIN.)

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