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A peine est-il nanti de sa pitance,
Qu'il s'en va sans dire merci.

Voulez-vous donner? Donnez vite.

Tout retard d'un bienfait amoindrit le mérite. Pour maint obligé, même, un service rendu Est payé par l'ennui de l'avoir attendu.

Tachambaudie. (1807-1872.)

U milieu d'une vie difficile et troublée par

sa participation aux agitations de la politique, Pierre Lachambaudie trouva le temps de

composer un recueil de fables qui eut grand succès dans le monde démocratique, fut couronné par l'Académie, et lui valut le nom de Fabuliste populaire. Béranger loue « son style, qui porte l'empreinte de l'étude des grands maîtres» ; Sainte-Beuve le reconnaît << poète, homme de talent, doué de facilité, et sachant trouver des moralités heureuses quand il ne les assujettit pas à des systèmes ». Ses fables, dit M. Godefroy, ressentent des préoccupations ordinaires de son esprit il s'attache à combattre les préjugés sociaux plutôt que les vices individuels : et il y réussit plus d'une fois. » La fable suivante, qui fait songer à Lamartine, à Victor Hugo et à tant d'autres poètes fourvoyés dans la politique, montre qu'il savait dire la vérité au peuple.

« se

LES SAUVAGES ET LE VIOLON.

PORTE

ORTÉ par l'océan vers un peuple sauvage,
Un virtuose allait sur le rivage,

Son violon en main, pour calmer ses ennuis.
On l'entendait, toutes les nuits,

Faire éclater son âme en notes gémissantes,
En accents belliqueux: sous ses doigts, tour à tour,
Retentissaient la guerre, et la paix, et l'amour ;
Sa pensée inspirait les cordes frémissantes.

Pour la première fois, les échos d'alentour
Redisaient de tels sons. La peuplade attentive
Se tenait en extase et l'oreille captive.
Un soir que, sur la rive, il s'était endormi
Près de son instrument, son trésor, son ami,
Les sauvages lui dérobèrent

Son confident si précieux,

Et, triomphalement, sur un trône portèrent
Ce fétiche de bois, ce roi mélodieux,

Pour leur bonheur, sans doute, envoyé par les dieux. << Il sait certainement les choses qu'il imite

Avec tant d'harmonie et tant de vérité :
Donnons-lui, disaient-ils, un pouvoir sans limite :
Il réalisera tout ce qu'il a chanté... >>

Ils comprirent bientôt leur méprise grossière
Et, tout confus, dans la poussière

Ils lancèrent Sa Majesté.

L'un d'eux, de la connaître avide,
L'examinant à fond la trouva creuse et vide.

De tout être il ne faut exiger, croyez-moi,
Que ce qui sied à sa nature:

Du violon chez nous, trop souvent, sur ma foi,
Se renouvelle l'aventure:

Parce qu'un homme chante ou fait de beaux discours,
On le croit profond politique.

Êtes-vous orateur, ou poète, ou critique,

Vous deviendrez, un de ces jours,

Ministre, ambassadeur, agent diplomatique...
Peuple dans cette erreur tomberas-tu toujours ?

LA LOCOMOTIVE ET LE CHEVAL.

-*

N cheval vit un jour sur un chemin de fer

UN

Une machine énorme, à la gueule enflammée, Aux mobiles ressorts, aux longs flots de fumée. «En vain, s'écria-t-il, ô fille de l'Enfer,

En vain, tu voudrais nuire à notre renommée,

Une palme immortelle est promise à nos fronts,
Et toi, sous le hangar, honteuse et délaissée,
Tu pleureras ta gloire en naissant éclipsée,
De vitesse avec moi veux-tu lutter? Luttons!
Dit la machine; enfin ta vanité me lasse. >>
Elle roule, elle roule et dévore l'espace;
Il galope, il galope, et, d'un sabot léger,
Il soulève le sable et vole dans la plaine;
Mais il se berce, hélas ! d'un espoir mensonger.
Inondé de sueur, épuisé, hors d'haleine,
Bientôt l'imprudent tombe, et termine ses jours.
Et que fait sa rivale? Elle roule toujours.

La routine au progrès veut disputer l'empire;
Le progrès toujours marche, et la routine expire.

LES DEUX MOINEAUX.

VER

VERS la fin du printemps, saison des pâquerettes,
Saison riche pour les poètes,

Mais bien pauvre pour les oiseaux,

Aux champs habitaient deux moineaux.

Bientôt, n'ayant plus de quoi vivre,

Au désespoir le plus jeune se livre.
L'autre lui dit : « Je vais au loin
Pourvoir à ce pressant besoin ;
Sans doute le ciel aura soin

De veiller à notre existence.

Que des grains ou des fruits tombent en ma puissance,
Je les cueille et viens sans retard
T'apporter la meilleure part. >>

Longtemps il vole en vain ; rien ne s'offre à sa vue.

Sur le soir cependant il trouve un cerisier :

Or, les fruits étaient mûrs, il mange à plein gosier;

Il mange, le glouton, jusqu'à la nuit venue,

Et, trop vite oubliant que son frère avait faim
Il s'endort jusqu'au lendemain.

Au lever du soleil, vers le nid il se hâte,

Portant des fruits au bec, des fruits à chaque patte;
Il vole, vole, arrive: hélas ! il n'est plus temps;
Car son frère était mort depuis quelques instants.
Tel, issu des rangs populaires,

Au pain des grandeurs s'engraissa,
Qui laisse dans l'oubli le nid qui le berça,
Et dans leur infortune abandonne ses frères.

LE MARTEAU.

D

'UNE barre de fer un fragment retiré,

Et tout rouge sortant de la fournaise ardente, Sur l'enclume à grands coups est battu, torturé. En vain le malheureux gémit et se lamente. << Quand de ce dur marteau serai-je délivré ? » Dit-il. Mais, ô prodige! aux tourments il échappe. En marteau se transfigurant,

L'esclave qui se fait tyran

Aujourd'hui sur l'enclume à coups redoublés frappe.

Ce valet qui, lassé d'un joug injurieux,

A son tour devient maître, et maître impérieux;
L'indomptable tribun, farouche patriote,

Qui saisit le pouvoir et commande en despote;
La victime d'hier transformée en bourreau,
Ne sont-ils pas ce fer qu'on façonne en marteau ?

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