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L'impitoyable Tisiphone

Ajoute un peu de bois, voilà l'eau qui bouillonne,

Le fond du pot devient brûlant.

L'auteur soulève un pied, puis l'autre au même instant; Vaincu par la douleur extrême,

Veut-il se plaindre, à chaque mot,

La furie ajoute un fagot;

Tant qu'à la fin il s'emporte, il blasphème,
Et voit d'un œil plein de fureur

Le feu depuis longtemps éteint sous le voleur.
Et quoi! je subirai cet horrible supplice!
Dit-il, je brûlerai pendant l'éternité,

Tandis que ce fripon prend un bain de santé!

Des dieux, puis qu'il en est, où donc est la justice? >>
Ainsi le ciel est gourmandé,
Par le philosophe échaudé;

Lorsque Alecton, pour venger cette injure,
Sort tout à coup de l'abîme profond.
Mille serpents composent de son front
L'épouvantable chevelure,

Elle parle, et l'auteur, muet à son aspect,
Reconnaissant sa muse, écoute avec respect.
<< Misérable, peux-tu blâmer la Providence,
Dont la juste vengeance

Pour tes crimes passés te punit aujourd'hui?
Ceux de cet assassin ont fini comme lui,
Lorsqu'il a terminé sa vie.

Mais le nombre des tiens croit et se multiplie
Avec tes coupables écrits

Qui vont, de siècle en siècle, égarer les esprits.
Tes os depuis longtemps sont réduits en poussière,

Et le soleil jamais ne rouvre sa carrière

Sans éclairer encor mille crimes nouveaux,

Fruits tardifs, mais constants, de tes affreux travaux.

A tes contemporains trop dangereux exemple,

Le fauteur tour à tour et l'ennemi des dieux,

On te vit au théâtre être religieux,

Et profanateur dans le temple,

Tu remplis l'univers du germe des forfaits
Qui, dans mille ans, doivent éclore;
Et lorsqu'ils auront vu leurs funestes effets,
On les verra renaître encore.

Souffre donc, malheureux, les tourments des enfers!
Souffre jusques au temps où, dans tout l'univers,
Tes livres corrupteurs auront cessé de nuire,
Et lorsque les humains cesseront de les lire (1). »
A ces mots, Alecton plonge le mécréant

Au fond de l'eau bouillante, et de son bras puissant
Referme pour toujours, frémissant de colère,
Le couvercle de la chaudière.

L'AMITIÉ DES CHIENS.

AUX rayons du soleil, deux chiens de bonne mine.
Couchés tout près de la cuisine,

Reposaient amicalement

Et discouraient, au lieu d'aboyer au passant.
Un chien bien élevé n'est méchant qu'à la brune;
De là vient le proverbe: Aboyer à la lune.

Nos compagnons médisaient des humains

A qui mieux mieux ; parlaient du sort des chiens,
Du cuisinier et de son avarice,

De certains maîtres sans pitié,

Du bien, du mal, enfin de l'amitié;

<< Il n'est point, disait l'un, de mal que n'adoucisse
Le tendre sentiment de deux cœurs bien unis;
Tout est plaisir pour des amis;

Le bonheur est doublé, la peine est partagée;
Sans rien dire on jouit, rien qu'à se regarder.
Mon âme serait soulagée,

Et mon emploi me semblerait léger,
Si, par exemple, ici nous vivions de la sorte;
Destinés à garder tous deux la même porte,

I. On reconnaît à ce juste jugement porté sur Voltaire, le frère de l'immortel auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg.

Affables l'un pour l'autre, empressés, généreux,
Nous pourrions dans la paix couler des jours heureux;
Ils le sont tous, lorsque l'on s'aime!

Qu'en penses-tu, Barbet? — Mais j'y songe moi-même,
Reprit le camarade; au lieu de grommeler,

Soyons amis, Briffaut, c'est moi qui t'en convie;
Nous vivrons sans aigreur comme sans jalousie,
Et nous ne verrons pas comment passe le temps;
Nous irons côte à côte attaquer les manants;
Ensemble on nous verra dormir et nous repaître,
Jouer innocemment, carresser notre maître
Je me sens tout ému quand je pense à cela,
Donne la patte, allons. J'y consens, la voilà;
Je suis tout prêt moi-même à pleurer de tendresse. »
Et nos amis de s'embrasser,

De battre de la queue et de se caresser.
Mais comme ils en étaient à hurler d'allégresse,
. Le marmiton leur jette un os:

La trêve est expirée; adieu les bons propos,
Oreste furieux s'élance sur Pylade;

Il ne s'agit plus d'embrassade;

Nos deux amis jouent des dents.

Avec peine un sceau d'eau calme les combattants.

D'une telle amitié l'exemple, chez les hommes,
Se rencontre souvent dans le siècle où nous sommes,
Et cette fable au vrai nous peint beaucoup de gens,

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Leur amitié sincère en proverbe est passée;

Mais jetez-leur un os, vous verrez leur pensée;
Tous leurs bons sentiments feront place aussitôt
A la tendresse de Briffaut.

...

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Es fables de M. Arnault ne ressemblent pas à d'autres; il les conçoit à sa manière et en invente les sujets; il ne songe point à imi

ter La Fontaine, il songe à se satisfaire et à rendre d'une manière vive un résultat de son observation propre; il obéit à son tour d'esprit, à son jet d'expression, et on ne peut s'étonner si, comme luimême l'avoue, l'apologue a pris peut-être, sous sa plume, un caractère épigrammatique......

<< Nommé à l'Académie française en 1829, il y fut reçu par M. Villemain. Cet ingénieux panégyriste loua M. Arnault de tout ce qui était à louer en lui et, jouant avec les mêmes armes, lui fit sentir la pointe de l'épigramme même en le châtouillant. Parlant de ses fables et rappelant le nom inévitable de La Fontaine: «Vous avez trouvé à cueillir, lui disait-il, dans un champ moissonné. Là où nulle comparaison n'est possible, une part d'originalité vous est acquise. Vos fables ont un caractère à vous. Elles sont, j'en conviens, quelque peu satiriques; en les lisant, on ne s'écriera pas à chaque page: Le bonhomme!» et ici une suspension avec sourire, une pause malicieuse. laissa place aux applaudissements. «Mais on dira, reprit M. Villemain d'un ton sérieux et convaincu, on dira toujours L'honnête homme, dont l'âme est généreuse et droite, lors même que son esprit se blesse et s'irrite.» SAINTE-BEUVE.

L

SA

LE COLIMAÇON.

*

ANS ami, comme sans famille,
Ici-bas vivre en étranger;

Se retirer dans sa coquille

Au signal du moindre danger;
S'aimer d'une amitié sans bornes,
De soi seul emplir sa maison;
En sortir, suivant la saison,
Pour faire à son prochain les cornes;
Signaler ses pas destructeurs
Par les traces les plus impures;
Outrager les plus tendres fleurs
Par ses baisers ou ses morsures;
Enfin chez soi, comme en prison,
Vieillir de jour en jour plus triste,
C'est l'histoire de l'égoïste

Et celle du colimaçon.

LE CHÊNE ET LE BUISSON.

E vent s'élève, un gland tombe dans la poussière,
Un chêne en sort. Un chêne, osez-vous appeler

Chêne, cet avorton qu'un souffle fait trembler,

Ce fêtu près de qui la plus humble bruyère
Serait un arbre? - Et pourquoi non?

Je ne m'en dédis pas, docteur; cet avorton,

Ce fêtu, c'est un chêne, un vrai chêne, tout comme
Cet enfant qu'on berce est un homme:

Quoi de plus naturel, d'ailleurs, que vos propos?
Vous n'avez rien dit là, docteur, qu'en leur langage
Tous les buissons du voisinage

Sur mon chêne, avant vous, n'aient dit en d'autres mots:
« Quel brin d'herbe, en rampant, sous notre abri se range?
Quel germe inutile, égaré,

A nos pieds végète, enterré

Dans la poussière et dans la fange?

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