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Formage. (1749-1808.)

OANS le recueil de Fables mises en vers publié par Formage, il y a peu de chose à glaner. Voici cependant une excellente petite fable vivement contée, et qui eût pu se passer de morale tant le trait final est épigrammatique.

S0

L'AIGLE ET LE LIMAÇON.

UR la cime d'un arbre un limaçon grimpé
Fut par un aigle aperçu d'aventure.

<< Comment à ce haut poste, oubliant ta nature,
As-tu pu t'élever ?» dit l'oiseau. - «J'ai rampé. »

Combien, dans le siècle où nous sommes,

De limaçons parmi les hommes !

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E comte de Ségur parle, mais pas assez; pense, mais beaucoup trop; marche, mais pour aller s'asseoir de travers sur une chaise; il y entortille ses jambes, les décroise pour faire à quelqu'un, qui est dans la chambre depuis une heure, une petite révérence de la tête, la porte sur l'épaule gauche, pour sourire à une aventure bien triste qu'on lui raconte, se met à écouter ce qu'un autre ne dit point, et n'entend pas ce qu'un troisième lui dit. Voyez-le se promener en redingote à petits collets, tête baissée et le corps en avant, un gros livre sous le bras gauche, et un petit à la main droite qui tient aussi sa canne à pomme rouge, qu'il n'appuie jamais à terre. Il s'enfonce dans les bois, gravit des montagnes. Ne le croyez pas pour cela pastoral ou champêtre. Point du tout, il quitte un ruisseau pour un torrent qu'il entend sans pouvoir le trouver. Il foule aux pieds un tapis de violettes pour chercher des précipices, et ne regarde les moutons que lorsqu'ils sont mis en fuite par l'orage. Il a deviné tout ce qu'il n'a pas eu le temps d'apprendre; il sait ce qu'il ne peut pas savoir. L'harmonie, les images, viennent se placer dans ses vers sans qu'il s'en doute. A-t-il une description à faire? La nature n'a rien de caché pour lui: la physique, l'astronomie, lui ouvrent leurs trésors; la mécanique ses ateliers. Ses fables sont, depuis La Fontaine,

les plus charmantes qu'on ait écrites en français... Le comte de Ségur est véritablement un homme de lettres. Son espèce d'histoire de Frédéric-Guillaume est excellente, à la Pologne près, sur laquelle il a mal vu. Par trop d'amour pour le bien imaginaire dont son cœur ardent lui fit embrasser l'ombre, il a vu mal aussi un peu sur son pays. Son Coriolan vaut mieux que tous les autres; plus de vingt de ses chansons sont de petits chefs-d'œuvre; ses pièces de théâtre, quoique faites plutôt pour rire que pour vivre, sont de jolies bluettes. Ses rapports comme ministre en Russie, et toutes ses dépêches, étaient supérieurs en politique, diplomatie et presque en littérature. C'est le premier Français qui ait connu ce pays-là. Il est bon, simple, naïf, insouciant sur son compte, et n'a pas le sot orgueil de la modestie, car il ne sait pas ce qu'il vaut (1). Prince DE LIGNE.

LE PÊCHER ET LE PEUPLIER.

Un jeune peuplier, tout fier de sa verdure,
Portait jusques aux cieux, l'orgueil de ses rameaux.
Un pêcher, qu'élevaient et l'art et la nature,
Produisait près de lui mille fruits les plus beaux.
« Oh! que je plains ton esclavage,
Lui dit un jour le peuplier;

Toujours sous le ciseau d'un cruel jardinier,
A peine on te permet d'étendre ton feuillage;
Sans cesse on te contraint; la douce liberté

Pour toi n'est plus qu'un nom. Moi j'en connais l'usage.

I. Il y a bien en tout cela quelque exagération, mais le morceau est si joli que nous n'avons pas voulu y toucher. Ajoutons cependant que Philippe de Ségur fut un peu trop de son temps pour être tout à fait irréprochable en ses écrits. Le prince de Ligne, qui en était plus encore, n'avait garde de le quereller sur ce point.

Tantôt j'élève avec fierté

Mon feuillage ondoyant qui se perd dans la nue;
D'autres fois, pour montrer ma flexibilité,

Je m'agite en ployant mes rameaux à ta vue. »
A tout ce beau discours, le pêcher, tout honteux,
Ne répondait que par ses plaintes.

Pour la première fois, il se croit malheureux;
De ces mauvais conseils il sentait les atteintes.
Tout à coup un nuage obscurcit le soleil;

Le vent souffle et mugit, un éclair fend le ciel;

La foudre qui le suit gronde sur les montagnes ;
L'on voit le pâtre errant s'enfuir dans les campagnes.
Le jardinier soigneux

Accourt de sa chaumière

Et donne à son pêcher le secours nécessaire.
Il le couvre, il l'étaye avec de forts pieux,

Et sait le préserver du vent et de l'orage.

Le peuplier gémit en perdant son feuillage;
Ses rameaux, en débris, tombent à chaque instant
Nul n'a pitié de lui dans ce danger pressant.
Le destin du pêcher alors lui fait envie;

Il paierait de sa liberté

Des soins qui sauveraient sa vie.
Le vent redouble sa furie

L'abat, le déracine; il l'avait mérité.

L'entière indépendance est folie et chimère.
A tout âge, dans tout pays,

Pour les grands et pour les petits,

L'avis est sage et salutaire.

Nous avons tous besoin de secours et d'amis.

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E tous les fabulistes qui ont suivi La Fontaine, Florian est le plus connu et celui qui mérite le mieux de n'être pas oublié. Très

apprécié de son vivant, il a pu entendre La Harpe lui rendre cet hommage dans la chaire du Lycée : « Le bon en tous les genres domine dans le recueil du chevalier de Florian. On y trouve des fables d'un intérêt attendrissant, d'autres, d'une gaîté douce et badine, d'autres d'un ton plus élevé sans dépasser le ton de la fable. Le poète sait varier ses couleurs et ses sujets, il sait décrire et converser, raconter et moraliser. Sur une centaine de fables, il y en a les trois quarts de très jolies et plusieurs sont de petits chefs-d'œuvre. >

La postérité a confirmé ce jugement des contemporains : « Les fables de Florian, dit l'abbé de Feletz, sont sans comparaison les meilleures qui aient paru depuis celles de l'inimitable auteur; quelques-unes même ne seraient pas indignes de La Fontaine. >

Sainte-Beuve leur trouve « du naturel, une diction facile et spirituelle avec une morale aimable et bienveillante, mais qui n'exclut ni la raillerie ni la malice... le sujet y est presque partout dans un parfait rapport, dans une proportion exacte avec la moralité. » Enfin nous lisons dans Saint-Marc Girardin, qui lui consacre tout un chapitre : « Florian est le fabuliste qui, avec

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