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Quoiqu'il contînt les leçons les plus sages.
L'enfance y vit des mots, et rien de plus;
La jeunesse, beaucoup d'abus;
L'âge suivant, des regrets superflus;
Et la vieillesse en déchira les pages.

L'ENFANT ET LE PETIT ÉCU.

Possesseur d'un petit écu

Un enfant se croyait le plus riche du monde.
Le voilà qui fait voir son trésor à la ronde
En criant gaîment : « J'ai bien lu!

- A merveille, lui dit un sage,

C'est le prix du savoir que vous avez reçu,
Du savoir tel qu'on peut le montrer à votre âge.
Mais voulez-vous encore être heureux davantage?
Aspirez, mon enfant, au prix de la vertu;

Vous l'aurez, quand des biens vous saurez faire usage. >

L'enfant entendit ce langage.

L'écu, d'après son cœur et sensible et bien né,
A rapporter le double est soudain destiné :
Avec le pauvre il le partage.

LE MIROIR.

Un miroir merveilleux, et d'utile fabrique,
Où se peignait par art le naturel des gens,
Attirait, au milieu d'une place publique,
Les regards de tous les passants;

J'ignore chez quel peuple; il n'importe en quel temps.
Chacun glose à l'envi sur ce tableau fidèle.
Arrive une coquette : elle y voit traits pour traits
Ses petits soins jaloux et ses penchants secrets :
< Sans mentir, voilà bien le portrait d'Isabelle!
Présomption, désirs, mépris d'autrui : c'est elle,
C'est son esprit tout pur, je la reconnais là,
Le joli miroir que voilà!

Et combien je m'en vais humilier la belle! >>
Un petit-maître succéda,

Et la glace aussitôt présente pour image
Beaucoup d'orgueil et fort peu de raison.

<< Parbleu! je suis ravi que l'on ait peint Damon,
S'écrie, en se mirant, l'important personnage;
Et je voudrais que, pour devenir sage,
De ce miroir malin il prît quelque leçon. >>
Après ce fat, vient un vieil Harpagon
D'une espèce tout à fait rare.

Il tire une lunette, et se regarde bien;
Puis ricanant d'un air bizarre :

« C'est Ariste, dit-il, ce vieux fou, cet avare,
Qui se ferait fouetter pour accroître son bien;
J'aurais un vrai plaisir à montrer sa lésine,
Et payerais de bon cœur cette glace divine
Si l'on me la donnait pour rien. »

Mille gens vicieux, sur les pas de cet homme
Tour à tour firent voir la même bonne foi;

Chacun d'eux reconnut, dans le brillant fantôme,
Qui l'un, qui l'autre, et jamais soi.

Tout homme est vain, tout homme aime à médire :
On rirait moins des traits de la satire,

Si la présomption, dont naquit le dédain,
Entre eux et nous ne mettait le prochain.

UN

L'ANE ET SON MAITRE.

N âne des plus sots prétendait faire accroire Que sa cervelle était un trésor de bon sens. On en parlerait dans l'histoire ;

Les dieux avaient sué vingt ans

Pour former les ressorts qui jouaient là-dedans. Raison, sagesse, esprit, mémoire,

Il avait tout en un degré parfait.

Si l'avenir regrette un Socrate baudet,

La race des baudets lui devra cette gloire.
Le galant enivré de cet orgueil si vain,
Résistant un jour à son maître,
Refusa d'aller au moulin.

Cet emploi dégradait son être :
Le beau métier pour un Caton!
<< Ha! je trouve celui-là bon,

Dit Gros-Jean le meunier. Et que prétends-tu faire? - Penser, reprit l'aliboron :

Je ne veux plus désormais d'autre affaire. Faites porter vos sacs à quelque âne vulgaire ; Et respectez un sage comme moi. »

Le bonhomme se tut. « Quelle mouche le pique? Disait-il en lui-même. Il est fou, sur ma foi : Gros-Jean, la tête tourne à ta pauvre bourrique. Ce mal lui vient je ne sais d'où.

Laissons-la penser tout son soû;

Et cependant retranchons sa pitance. »
Ce parti n'était pas trop sot pour un meunier.
L'âne bientôt se lassa d'un métier
Qui ne remplissait point sa panse.
Il se plaignit. Gros-Jean, tout aussitôt,
Lui dit : « Impertinente bête,

Me prends-tu pour un idiot?

Quel fruit me revient-il des rêves de ta tête?
Porte ton bât, travaille, et l'on te nourrira. >>

Tout en irait mieux sur la terre

Si chacun se bornait à faire

Le métier pour lequel Jupiter l'appela.

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CRIVAIN pompeux, l'abbé de Reyrac, curé prieur de St-Maclou d'Orléans, se vit comparer à Fénelon et à Montesquieu. C'était plus d'honneur que n'en méritait sa prose d'ailleurs élégante. Outre des poésies sacrées, il a rimé quelques fables.

L'ABEILLE ET SA FILLE.

U

NE abeille, jeune étourdie,

Pour composer un miel parfait,

Se réglait sur sa fantaisie,

Et croyait chaque fleur utile à cet effet.

< Modérez-vous, disait sa mère;
Pourquoi tant de vivacité ?

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Vous verrez ma capacité, >>

Lui répliquait la jeune abeille.

Notre indocile, au milieu de l'été,

Fut à sa mère et dit : « Enfin, j'ai fait merveille;
Venez, voyez, goûtez mon miel;

Il est comme on n'en trouve guère. »
Elle le goûte. « Hélas! ma chère,
Vous n'avez produit que du fiel. »

Il est beau d'aimer la lecture,
C'est prendre un honnête plaisir ;
De l'âme elle est la nourriture:
Mais on ne peut trop la choisir.

L'abbé Reyre. (1735-1812.)

'ABBÉ Reyre, prédicateur, en son temps si célèbre qu'on l'appelait « le petit Massillon », est aujourd'hui plus connu par ses écrits pour la jeunesse que par ses sermons, souvent réimprimés cependant. L'école des jeunes demoiselles, le Mentor des enfants, le Fabuliste des adolescents sont encore, dans bien des familles, mis aux mains des enfants.

LA VIGNE ET LE VIGNERON.

L

A Vigne se plaignait un jour au Vigneron
De ce qu'il lui coupait maint et main rejeton,
Dont le feuillage épais et le bois inutile

Loin de la rendre plus fertile,
Épuisaient en vain sa vigueur.

« Eh! pourquoi donc, lui disait-elle,
Me traitez-vous avec tant de rigueur?
Pour mon bien vous montrez du zèle ;
Je suis l'objet de vos sueurs ;

Vous m'aimez; cependant vous m'arrachez des pleurs :
L'amour est-il donc si sévère ?

- Que vous pénétrez peu dans mon intention!
Lui répondit le prudent vigneron.

Vous croyez que ces coups partent de ma colère;
Ah! connaissez mieux mon dessein

Dans le mal que j'ai pu vous faire,

Votre intérêt a seul conduit ma main.
Si je ne coupais point tout ce bois inutile,

:

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