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Des auteurs, s'inspirant de je ne sais quel esprit de clocher, ont prétendu que Descartes était né à La Haye comme par hasard, par suite de la présence dé sa mère au moment des couches. C'est là une assertion dénuée de tout fondement. En effet, Jeanne Brochard a mis au monde trois autres enfants, et tous sont nés à La Haye. C'est d'abord une fille nommée Jeanne, et un autre garçon, nommé Pierre. L'acte de baptême de ce dernier, conservé dans les mêmes registres de la paroisse SaintGeorges, nous apprend que l'enfant a été baptisé le samedi 19 octobre 1591. En outre, la mère de René mourut à La Haye en donnant le jour à un autre enfant et fut enterrée dans l'église Notre-Dame. Qu'on lise plutôt les deux actes, extraits des registres paroissiaux: « Le XIII jour de may 1597 sur les sept heures du soir est deceddée Damoiselle Jehanne Brochard, femme et épouse de noble homme Me Joachim des Cartes, conseiller du roy à Rennes, le corps de laquelle a esté enterré en l'église Notre-Dame de ceste ville de La Haye Le XVI jour de may 1597, est décédé ung petit enffant, fils de Mons des Cartes, enterré en l'église. »

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La famille de Descartes avait donc bien à La Haye un domicile véritable dans lequel tous les enfants de Joachim et de Jeanne sont venus au monde. D'ailleurs, en examinant de près la question de généalogie, qui est trop aride pour que nous entreprenions de l'exposer ici, on remarque que si certains ancêtres paternels et maternels de Descartes se rattachent au Poitou, d'autres, et vraisemblablement des plus reculés, avaient leur racine en Touraine où ils détenaient des propriétés et des charges.

Du reste, ce n'est pas seulement certains biographes que ces actes authentiques nous permettent de rectifier, mais c'est encore Descartes lui-même. Il dit bien dans ses lettres «< qu'il est né dans le jardin de la Touraine1 »,

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et les graveurs de ses portraits ont tous écrit qu'il a vu le jour à La Haye; mais le philosophe s'est trompé au sujet du décès de sa mère. Induit en erreur par le rapprochement des dates que son bas âge ne lui avait pas permis de retenir exactement, il écrivit à Me Elisabeth, princesse Palatine, qui montra un vif attachement pour le philosophe et pour sa doctrine: « Estant né d'une mère qui mourut peu de jours après ma naissance d'un mal de poumons causé par quelques déplaisirs, j'avais hérité d'elle une toux seiche et une couleur pasle, que j'ai gardée jusques à l'âge de plus de vingt ans !. » Désormais nous sommes bien fixés au sujet des diverses circonstances de la naissance de René Descartes à La Haye, et le doute à cet égard n'est plus permis.

III. Au centre de la ville, s'élève une maison d'apparence asscz commune dont les remaniements successifs ont altéré la physionomie. D'elle nous pouvons dire au passant: Sta, viator, et cogita. D'ailleurs l'œil quelque peu exercé ne tarde pas à reconnaître dans l'allure des fenêtres, dans les pignons et dans la distribution intérieure, une habitation du xve siècle.

Nous franchissons le seuil avec le respect religieux dont on est saisi à l'entrée d'un sanctuaire. Le propriétaire, M. Gourdain, qui a le culte des nobles souvenirs, veille à entretenir, j'allais dire le feu sacré en l'honneur des mânes du grand philosophe. Au-dessus du rez-dechaussée qui a deux pièces de grande dimension, se trouvent deux autres chambres. Celle de l'extrémité du bâtiment, avec ses poutres apparentes et sa cheminée ancienne, est considérée comme la chambre même qui entendit les premiers vagissements de René. On y a placé un buste en terre cuite destiné à rappeler la mémoire de la naissance de Descartes. En chroniqueur fidèle nous devons ajouter que ce buste n'a de Descartes que le

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nom. Les traits sont ceux d'un personnage qui ne ressemble en rien au philosophe et qui a certainement vécu à une date postérieure. Est-ce bien là la figure que le ministre de l'Intérieur envoya en 1802 sur la demande. de Thierry, alors propriétaire, et qui fut placée dans la maison au milieu d'une solennité populaire (10 vendémiaire an XI), présidée par le général Pommereul, préfet d'Indre-et-Loire, et dont le Journal des Communes d'alors nous a conservé le détail? S'il en est ainsi, il faut avouer que le « buste bien conservé du philosophe », que le Ministre fit parvenir de Paris, était la figure d'un personnage qui n'avait rien de commun avec Descartes.

Si nous nous rendons à la mairie pour y voir les actes qui se rapportent à Descartes et à sa famille, nous trouvons dans l'hôtel de ville un autre buste du philosophe. Bien qu'un peu fantaisiste, et recouvert d'une désagréable couche de peinture verte destinée à imiter le bronze, celui-là du moins garde en partie l'empreinte des traits que la peinture de Franz Hals a popularisés.

La Touraine, justement fière du plus illustre de ses enfants, n'a pas manqué de lui payer, dans la ville natale de René Descartes, le tribut de son admiration. Une statue en bronze, d'après la maquette de M. le comte de Niewerkerke, sculpteur distingué et directeur des Musées nationaux, fut érigée en 1849 sur la principale place de La Haye, qui d'ailleurs, depuis le début du siècle, avait pris le nom de La Haye-Descartes. En outre, en 1872, la Société archéologique de Touraine, qui a compté dans ses rangs les Bourassé, les Salmon, les Mabille, les Chevalier et les Palustre, apposa sur la maison une plaque de marbre. On lit sur cette plaque, incrustée dans la façade : RENÉ DESCARTES, NÉ DANS CETTE MAISON LE 30 MARS 1596, A ÉTÉ BAPTISÉ LE 3 AVRIL DANS L'ÉGLISE SAINT-GEORGES DE LA HAYE (Société archéologique de Touraine, 1872).

IV.

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On prétend qu'Apelles et Zeuxis peignaient

des tableaux si vivants que l'on n'était pas éloigné de les confondre avec la réalité. S'il en est ainsi, que le temps n'a-t-il épargné leurs œuvres pour nous permettre de contempler le portrait des personnages illustres qui vivaient alors! Du moins, les hommes célèbres de ces derniers siècles jouissent du privilège de se survivre. dans la reproduction de leurs traits, et Descartes est du nombre de ces privilégiés.

Ce n'est pas à dire que tous les portraits que nous possédons soient absolument fidèles. Il y a entre eux des différences de détails, mais du moins ils s'accordent pour les traits généraux de la physionomie. Le principal et le plus connu est celui qui a été peint par Frans Hals et qui compte parmi les meilleures toiles de la galerie du Louvre. On sait que l'habile peintre, né à Malines en 1584 et mort en 1666, excellait dans le portrait où il se distingua par l'art de reproduire la ressemblance et de saisir l'expression caractéristique du visage; son coloris n'avait pas moins de virtuosité que son dessin.

Le tableau de Hals a servi de point de départ pour la plupart des portraits de Descartes qui ont été exécutés dans la suite. Nous en citerons quelques-uns, qui appartiennent au XVIIe siècle. Un bon portrait de «< René Descartes », avec ses armoiries au dessous, a été gravé par Lubin et porte la signature Jac. Lubin, sculp'. — Un autre se voit dans un charmant frontispice dessiné pour les œuvres de Descartes. Le buste, d'après Hals, se détache dans un médaillon surmonté de l'épée et d'une couronne. Au dessous, est un livre ouvert sur lequel on lit. d'un côté RENÉ DESCARTES, et de l'autre ESSAIS DE PHILOSOPHIE. A droite et à gauche sont des volumes avec les titres: PRINCIPES, MÉDITATIONS, DE L'HOMME, et aussi des signes algébriques et des instruments de physique. Il porte la date MDCXXXIII, et les signatures Frans Hals pinx, E. Ficquet, sculp'. Un autre, aussi d'après Hals, a été gravé après le transfert des restes du philo

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sophe à Sainte-Geneviève en 1666, transfert dont la mention se trouve dans la légende placée au dessous. On lit René Descartes, seigneur du Perron et,« à Paris, chez Crépy, rue Saint-Jacques, au Lion d'argent ».

Mais un des meilleurs portraits du philosophe, d'après Hals, est incontestablement celui qui a été gravé par Gérard Edelinck. Le célèbre graveur né à Anvers en 1640, auquel Louis XIV accorda ses faveurs, par le moëlleux, la touche large et neuve de son burin parvint à donner, pour ainsi dire, la couleur aux objets, et contribua à renouveler la gravure. Le portrait de Descartes est l'une de ses meilleures œuvres d'ailleurs également remarquables par le mérite de la facture et par l'inépuisable fécondité. Autour du médaillon on lit: RENÉ DESCARTES, CHEVALIER SEIGNEUR DU PERRON. Au bas de l'ovale sont ses armes, et sur un socle sa devise: BENE QUI LATUIT, BENE VIXIT. Comme signature, il y a Frans Hals pinxit à gauche, et, à droite, Edelinck sculp. C.P.R.

Avec la gravure d'Edelinck, le plus intéressant des portraits de Descartes faits d'après Hals est la reproduction de Jonas Suyderhoef. Ce remarquable artiste hollandais naquit à Leyde au commencement du XVII° siècle; il fut élève de Soutman et mourut après l'année 1668. Son œuvre, antérieure à celle d'Edelinck, se distingue par une grande douceur d'expression. Descartes figuré dans un cadre rectangulaire, vu de trois quarts, tient son chapeau de la main gauche ; à la partie supérieure on lit: NATUS HAGE TURONUM PRIDIE CAL. APR. 1596. DENATUS HOLMIE CAL. FEB. 1650. Au bas: RENATUS DESCARTES, NOBILIS GALLUS, PERRONI DOMINUS, SUMMUS MATHEMATICUS ET PHILOSOPHUS. Au dessus se déroule ce quatrain:

Talis erat vultu NATURE FILIUS: Unus
Qui mente in matris viscera pandit iter.
Assignansque suis quævis miracula causis
Miraclum reliquum solus in orbe fuit.

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