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En ta marche, seule guidée
Par ton œil d'aigle ardent et sûr,
Tu montes du doute à l'Idée,
Vers la lumière et vers l'azur.

Et bientôt la philosophie,
Sous le souffle de ton esprit
Qui la réveille et fortifie,
Sort des ténèbres et fleurit.

Poussant de robustes ramures
Sur les vieux systèmes détruits,
Partout, comme des moissons mûres,
Elle porte et répand ses fruits.

Ton œuvre géniale, immense,
Ouvre, pour les futurs penseurs,
Des champs nouveaux à la science:
C'est le signe des précurseurs!

Paraissez, Pascal, Malebranche,

Bossuet, Leibnitz; l'humanité

Vers vous inquiète se penche:
La terre a soif de vérité.

Déjà, comme un fleuve superbe
Bordé de cités et de tours,
Où se mire l'azur, le verbe
Prend de virils et fiers contours.

Dans les profondeurs infinies
Du nombre et de l'immensité,
L'esprit perçoit des harmonies
L'ordre et l'éternelle beauté.

Sur les sommets la nuit recule,
L'ombre fuit devant la raison,
Le ciel perce le crépuscule,
L'homme élargit son horizon.

Trois siècles ont lui sur ta tombe....
Ainsi que les feuilles au vent,
Tout ici-bas se fane ou tombe;
Mais tu restes toujours vivant.

Repose-toi donc en la gloire,
Que ta pensée en traits de feu
Inscrit au fronton de l'histoire,
Comme un géant et comme un dieu.

LOUIS CHOLLET.

L'ICONOGRAPHIE DE DESCARTES

1.

René Descartes a vu le jour à La Haye, en Touraine, au printemps de l'année 1596.

La Haye est une agréable petite ville, d'environ 2.000 habitants, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Loches. Elle est assise sur la rive droite de la Creuse, rivière aux eaux profondes et aux bords profondément encaissés. La ville était défendue jadis par une forteresse avec « grands fossés et douves ». Mais le château a été démoli et on ne reconnaît le plan qu'à des restes de vieux murs et à l'inégalité du sol. Le châteaufort développait son front de tours garnies de créneaux auprès de la rivière. Depuis le Ix siècle, époque à laquelle nous y voyons des seigneurs pour la première fois, la forteresse de La Haye fut possédée successivement par les comtes d'Anjou, par les familles de La Haye, de Normandie, de Beaumont, de Maillé et de Laval.

La Haye comprenait autrefois deux paroisses: NotreDame et Saint-Georges. A l'époque de la Révolution, elles ont été confondues en une seule dont le siège est l'église Saint-Georges. Cette dernière, mentionnée dès le x siècle dans une bulle du pape Urbain II, conserve des portions intéressantes, particulièrement au chevet. Elle a été, à une époque récente, l'objet d'une importante restauration. Grâce aux registres d'état-civil, qui remontent à l'année 1570, on sait que c'est dans cette église que René Descartes fut baptisé. Quant à l'église Notre-Dame, bien que transformée en bâtiment agri

cole, elle continue de montrer aux visiteurs des parties curieuses se rapportant au xu° siècle. On voit encore la trace des douves dont elle était entourée primitivement, et l'intérieur conserve des restes de peinture et de sculpture. On ignore ce qu'est devenu le remarquable rétable en pierre sculptée, représentant une Descente de Croix, qui décorait l'autel de Notre-Dame-de-Pitié.

La localité emprunte un aspect particulièrement pittoresque au pont ancien qui est jeté sur la Creuse. Ses piles triangulaires, ses arcades ogivales, sa forme en dos d'âne et divers détails de construction lui donnent une allure qui accuse bien son xve siècle. Cette époque avait doté La Haye, à l'instar de la plupart des villes, petites ou grandes, de ces maisons à pignons élancés, surplombant des murailles soit en brique et pierre, soit en colombage, soit en «< parpain», dont la physionomie, tour à tour grave et souriante, toujours exemple de banalité, repose le regard de l'uniformité de nos modernes constructions. C'est dans une de ces maisons de style xv siècle que René Descartes vint au monde.

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II C'est le sort des grands hommes de voir leur berceau disputé par plusieurs villes. Il en a été ainsi pour Homère, Platon et quelques autres personnages célèbres de l'antiquité. Descartes ne devait pas échapper à cette fortune. On l'a fait tour à tour Breton, Poitevin et Tourangeau. Son père, Joachim Descartes, était conseiller au parlement de Bretagne, et sa fonction l'obligeait à résider à Rennes durant six mois de l'année de là à prétendre que René est né à Rennes, il n'y avait qu'un pas et on l'a franchi. C'est ce qui explique que sur son tombeau, à Sainte-Geneviève, on ait gravé jadis les mots Armoricus gente. D'autre part, les ancêtres de Descartes possédaient des propriétés et des charges dans le Châtelleraudais et lui-même jouit de la propriété du Perron, sur la paroisse d'Availles, d'où lui est venu son titre de Seigneur du Perron qu'on voit sur quel

ques-uns de ses portraits: il était dés lors tout naturel de le transformer en Poitevin.

C'est là une erreur René Descartes est bel et bien Tourangeau. Voici son acte de baptême, copié littéralement sur les Registres de la paroisse Saint-Georges de La Haye, aujourd'hui déposés à la Mairie : « Le mesme jour (3 avril) a esté baptise René, fils de noble homme Joachyn Descartes, conseller du roy en son parlement de Bretagne, et de damoyselle Jeanne Brochard. Ses parrins, noble Michel Ferrand conselleller du roy et lieutenant général à Chastellerault, et noble René Brochard conseller du roy juge magistrat à Potyer, et dame Jeanne Prout, femme de Monss Sain controlleur des tailles pour le roy à Chastellerault. » (signé) « Ferrand, Jehanne Proust, René Brochard1. »

Nous donnerons quelques explications au sujet de cet acte, qui ne laisse aucun doute sur l'origine de René Descartes. On sait que c'était alors l'usage de réserver la qualité de Dame aux femmes de chevalier et de donner celle de Damoyselle aux femmes d'écuyers ou de bourgeois; c'était aussi l'habitude de fournir deux parrains et une marraine aux garçons et deux marraines et un parrain aux enfants du sexe féminin. A titre de renseignements domestiques, nous ferons remarquer que Michel Ferrand était grand-oncle paternel de René, comme frère de Claude épouse de Pierre Descartes, aïeul du philosophe, et que René Brochard était oncle maternel de René, comme frère de Jeanne; quant à Jeanne Proust, elle était l'aïeul maternelle de Jeanne, mére du nouveau-né 2.

1 Cet acte a été publié par M. l'abbé C. Chevalier dans le Bulletin de la Société archéologique, t. II p. 200

2 René Brochard suivit les cours du collège de Clermont à Paris on a de lui un volume contenant plusieurs ouvrages d'auteurs classiques avec les nombreuses notes ajoutées par René Brochard, d'après les cours des professeurs du collège en 1570. Sur les plats de la reliure on lit gravé: Renatus Brochard. Ce volume a été gracieusement offert à la Société archéologique par M. le colonel Couturier, résidant à La Haye.

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