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J'ai donné à notre grand compatriote le titre magnifique de « Fondateur de la science moderne » ; et je viens de vous montrer comment sa carrière le justifie pleinement, puisqu'il est entré le premier dans cette terre promise et y a fait les plus admirables découvertes.

Le rôle d'initiateur de Descartes s'étend plus loin: il a su joindre l'exemple et les préceptes. Il a enseigné aux autres la vraie méthode et la véritable direction à suivre, et n'a pas manqué d'encourager les découvertes de ses émules. Personne ne contribua autant que lui à faire triompher la doctrine de Copernic. A son tour,

Harvey découvre et fait la preuve
Que par de sûrs canaux conduit,
Le sang voyage, double fleuve

Dont le parcours est un circuit 1.

Ce savant rencontre une opposition générale; mais l'adhésion et l'appui de Descartes exercent une influence décisive en faveur de la découverte nouvelle et triomphent même des hésitations de l'Université de Paris.

Il n'en pouvait être autrement. Descartes a pressenti et annoncé les progrès réalisés par la science. Il avait en elle une absolue confiance poussée jusqu'à l'enthousiasme, dont les esprits médiocres, disait-il, sont seuls incapables. Ce qu'il n'a pas deviné, c'est que l'on pût parler, un jour, de banqueroute, de faillite, parce qu'il connaissait trop bien les énergies intimes de la science et savait que l'erreur ne prouve que contre celui qui l'a commise. Sa conviction, en parfaite harmonie avec sa carrière, était que par la patience et la persévérance on contraindrait progressivement la nature à nous livrer au moins une partie de ses secrets les plus intimes, parce

I SULLY PRUDHOMME, Poème des Sciences.

que, suivant la pensée biblique, le Créateur a livré cette mine inépuisable à la libre exploitation de l'homme.

Un autre trait caractéristique du génie de Descartes consiste à n'avoir jamais séparé la pratique de la spéculation noble et généreuse préoccupation qu'on aime à saluer chez le savant, toujours enclin à se laisser absorber par le seul souci du vrai. Il considérait la médecine comme le complément indispensable de la physiologie. Descartes a écrit sur la médecine légale ; sur la thérapeutique, qu'il résumait en cet axiome. « des soins et peu de remèdes; >> sur l'hygiène, qu'il fait consister principalement dans la sobriété, l'activité et la recherche des pensées agréables. On sait que nombre de médecins se sont proclamés ses disciples et que des chaires de médecine cartésienne s'installèrent en France, en Italie et en Hollande. De même que les notions physiologiques conduisaient le savant vers l'art de guérir, de même il considérait dans la «< mécanique » l'utilité dont elle est susceptible « pour la diminution ou le soulagement des travaux des hommes ».

C'est ainsi que Descartes a entrevu dans les lointains de l'avenir, pour le bonheur terrestre de l'humanité, comme un âge d'or que prépareront ses progrès incessants dans les théories et dans les applications scientifiques. Verrons-nous l'aurore de cette période? - Du moins, chaque génération, héritière de celles qui l'ont devancée, a pour tâche d'ajouter sa part au patrimoine commun. L'homme continuera ainsi, durant de long siècles, à grossir le trésor de ses découvertes et à élargir, jusqu'au jour où il disparaîtra du globe terrestre, sa puissance sur les éléments.

Je termine. Je m'étais proposé d'étudier rapidement devant vous l'oeuvre scientifique de notre éminent compatriote. Je crois avoir justifié à vos yeux l'exactitude de ces paroles dans lesquelles j'ai résumé toute ma pensée :

Descartes est l'initiateur, le fondateur de la science. moderne.

De ces considérations, que je regrette de ne pouvoir développer davantage, il apparaît nettement que Descartes est, j'allais dire le Père spirituel de tous les savants dans le présent et dans l'avenir. On est en droit, j'en conviens, de placer auprès de son nom ceux de Pascal, de Newton et de Leibnitz, et ce n'est pas le lieu d'établir entre eux et lui un parallèle, surtout un ordre de mérite, ce qui serait une tâche longue et difficile. Du moins, ce qui paraît hors de conteste, c'est que si René Descartes ne peut-être mis au-dessus d'eux, ce que je serais pourtant tenté de faire, et vous me le pardonneriez bien sûr - il n'est inférieur à aucun de ses rivaux. C'en est assez pour que nous répétions, avec une noble fierté, à l'honneur du Maître, les vers que Constantin Huyghens, le père du grand mathématicien, composa pour un portrait de Descartes:

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Primus inaccessum qui, per tot secula, verum
Eruit e tetris longæ caliginis umbris,
Mysta sagax, Natura, tuus sic cernitur orbi
Cartesius.

A DESCARTES

En ta majesté souveraine,
Debout, Descartes, sur le seuil.
Du grand siècle, notre Touraine
Te glorifie avec orgueil.

Les philosophes, les poètes,
Que la terre obscure produit,
Sont les flambeaux et les prophètes
Qui viennent éclairer sa nuit.

Comme de divins météores,
Ils illuminent les chemins
Où vers de trompeuses aurores
Se précipitent les humains.

Avec tes semences d'idées,
Qui par-dessus les conquérants
Haussent ton front de cent coudées,
Tu fus l'un d'eux, et des plus grands.

Gloire à toi! Les faveurs des foules
Vont aux forts, aux audacieux,
Qui, brisant les antiques moules,
Arrachent leurs secrets aux cieux.

Ta tâche énorme fut féconde;

Et demandant la vérité
A l'âme, à la matière, au monde,
Tu conquis l'immortalité.

Tous les Césars et pasteurs d'hommes,
Les fondateurs et les guerriers

Des Babylones et des Romes

Cachent du sang sous leurs lauriers.

Tu préféras au bruit des armes
Les triomphes nobles et beaux
Qui n'ont jamais coûté de larmes,
Ni jamais creusé de tombeaux ;

Qui consolent des vilenies,
Et dans les esprits tourmentés,
Ainsi que des aubes bénies,
Jettent de sereines clartés.

Tu te battis pourtant: ta plume,
Sous ta main de réformateur,
Broya, comme sur une enclume,
Le froid et subtil abstracteur.

Ta langue fortement trempée,
Et sonore comme un cristal,
A des fulgurances d'épée
Et l'éclat du plus pur métal.

Avant toi tout n'est que problèmes,
Incertitudes et chaos,

Où les docteurs graves et blêmes
Brouillent la raison et les mots.

Mais tu parais, et la pensée,
Franchissant le gouffre béant
Où l'école l'avait laissée
Soudain fait un pas de géant.

L'envie et la haine sans trêve
Se dressent en vain devant toi;
Tu vas, confiant en ton rêve,
Portant haut tes yeux et ta foi.
Bulletin archéologique, t. XI.

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