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priétés d'un aimant ; on sait comment cette théorie est généralement admise aujourd'hui.

Nous considérons comme un devoir, en cette solennelle circonstance, de revendiquer hautement pour Descartes la gloire des découvertes qui lui appartiennent. Ce n'est point Torricelli, comme certains l'ont prétendu à tort, qui a eu la première idée de la pesanteur de l'air et de son influence sur l'ascension des liquides. Entendez plutôt notre savant compatriote : « Imaginez, écrivait-il, l'air comme de la laine, et l'éther qui est dans ses pores comme des tourbillons de vent qui se meuvent ça et là dans cette laine: le vif-argent qui est dans le tube du baromètre ne peut commencer à descendre qu'il n'enlève toute cette laine, laquelle, prise ensemble, est fort pesante. » En s'exprimant ainsi, Descartes devançait d'une douzaine d'années le physicien italien, qui ne formula son système qu'en 1643.

A notre grand compatriote revient également l'honneur des expériences du Puy-de-Dôme sur la hausse et la baisse du baromètre aux diverses altitudes. Descartes écrivait en 1638 au P. Mersenne : « L'observation que les pompes ne tirent point l'eau à plus de 18 brasses de hauteur, ne se doit point rapporter au vide, mais à la pesanteur de l'eau qui contrebalance celle de l'air. » Durant deux séjours qu'il fit à Paris, Descartes s'entretint, à plusieurs reprises et longuement, avec Pascal au sujet de cette question. Le problème du vide, que Pascal avait toujours défendu, et celui de la cause de l'ascension des liquides étaient le sujet habituel de leurs conversations. Après l'expérience du Puy-de-Dôme (17 août 1619), Descartes écrivit à Carcavi « C'est moi qui avais prié M. Pascal, il y a deux ans, de la vouloir faire; et je l'avais assuré du succès, comme étant entièrement conforme à mes principes, sans quoi il n'aurait eu garde d'y penser à cause qu'il était d'opinion contraire1. »

1 Lettres de Descartes,

Je n'ignore pas que Pascal, de son côté, a réclamé pour lui seul le mérite de la fameuse expérience; mais il importe de remarquer que c'est uniquement après la mort de Descartes et en contradiction avec les affirmations préalables et absolument désintéressées du philosophe. Dans ce débat, les uns, comme M. Nourrisson, se sont prononcés en faveur de notre compatriote ; d'autres, tels que MM. J. Bertrand et Havet, se montrent plus favorables à son rival. Quant à nous, s'il faut choisir entre la sincérité de l'auteur de la Méthode et celle de l'écrivain des Provinciales, nous n'hésitons pas un instant. A cet égard nous sommes heureux de rappeler que le Président actuel de notre Société archéologique, M. l'abbé L. Bosseboeuf, il y a plus de vingt ans, a traité cette question à fond, et appuyé sur des arguments irréfutables son jugement en faveur de Descartes 1. On sait comment la théorie du plein et du vide est résolue, de nos jours, suivant les idées de Descartes et comment l'on admet que partout se trouve répandue la substance à peine pondérable, à laquelle nous donnons le nom d'éther.

De ce que nous venons de dire, il ressort que l'éminent tourangeau a donné le premier exemple de ce que doit être la physique théorique; il a montré le parti que cette science peut tirer des mathématiques; il a inspiré l'une des plus grandes découvertes expérimentales du xvII° siècle; il a ouvert la voie aux Huyghens et aux Newton; en un mot, il a jeté les fondements de la physique moderne.

Le rôle de Descartes a été identique par rapport à la physiologie moderne, celle qui se glorifie d'avoir pour maîtres les Claude Bernard et les Pasteur. Il en a posé le principe en affirmant que l'organisme vivant, au point

1 L'Union de l'Ouest, numéros du mois d'août 1876.

de vue des fonctions végétatives, est un mécanisme compliqué, sans doute, mais qui cependant relève des lois de la physique et de la chimie.

Longtemps avant les découvertes modernes, Descartes a entrevu les caractères essentiels de la chimie organique. Il a compris, bien avant Lavoisier, la place qu'occupent, dans les fonctions physiologiques, la respiration et la chaleur animale. « La respiration, dit-il, est nécessaire à l'entretien de ce feu qui est le principe corporel de tous les mouvements de nos membres. L'air sert à nourrir la flamme; de même, l'air de la respiration se mêlant en quelque façon avec le sang, avant qu'il entre dans la concavité gauche du cœur, fait qu'il s'y échauffe encore davantage... Le sang, à son tour, porte par sa circulation incessante la chaleur qu'il acquiert à toutes les parties du corps et leur sert de nourriture. »

Pour ce qui est de la manière dont chaque molécule alimentaire se rend là où l'organisme la demande, c'està-dire ce qui concerne la circulation capillaire et l'assimilation, Descartes l'explique par des causes mécaniques. Il n'admet point qu'on suppose, entre les différentes particules constitutives du corps, des affinités attractives et électives qui dépassent les facultés. même de notre âme; il ne voit là, et avec raison, qu'une question de situation relative des organes, de grandeur et de figure des éléments.

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Descartes a deviné la cellule qui est le point initial de toutes les théories physiologiques. Et si j'ajoute à cela qu'il a eu le mérite de découvrir les actions réflexes », je serai, il me semble, autorisé à dire que notre illustre compatriote a été l'un des fondateurs de la physiologie moderne. Ainsi que le proclame Huxley lui-même, il occupe une place distinguée parmi les physiologistes, à côté du savant qui s'est immortalisé en démontrant la circulation du sang chez l'homme et chez les animaux.

Nous venons de parcourir ensemble, d'un pas rapide, les divers domaines de la science, et, presque partout, nous avons trouvé les doctrines de Descartes triomphantes à l'heure actuelle.

Aussi bien, alors que son génie inspiré a illuminé l'horizon scientifique d'incomparables clartés, il serait injuste de s'attarder à lui reprocher quelques erreurs qu'il lui était difficile d'éviter. En face de ses immenses et grandioses conceptions, quelle importance présentent quelques points de détail où le secours de l'expérience lui a fait défaut ? On n'a été tenté de les lui objecter aussi souvent que parce qu'il a constitué un système scientifique complet. Il convient du reste de se rappeler que l'erreur elle-même est parfois l'occasion et la condition de nouveaux progrès : l'esprit ne s'achemine vers la vérité que par des tentatives répétées et par des approximations successives. Nous fermerons donc les yeux sur les quelques erreurs qui sont échappées à Descartes, pour nous souvenir uniquement, ainsi que l'équité le réclame, des trésors merveilleux dont la science. lui est redevable.

Pourtant je tiens à répondre à l'un de ces reproches, qui touche à la grave question de la méthode générale et, par conséquent, offre le plus haut intérêt. Les sciences. mathématiques et les sciences physiques suivent deux lignes un peu différentes. Les sciences mathématiques procèdent par voie purement démonstrative et déductive. Les sciences physiques font, de plus, appel à l'observation et à l'expérimentation; elles constituent ce qu'on appelle aujourd'hui plus spécialement la Science, qui s'élève graduellement de l'étude attentive des phénomènes du monde matériel à la connaissance des lois qui régissent sa marche, son développement et ses énergies. Or, dit-on, la méthode cartésienne est absolument déductive; elle ne s'appuie que sur un petit nombre de

faits, et convient beaucoup mieux aux sciences de raisonnement qu'aux sciences expérimentales.

Cette objection, si elle était fondée, infirmerait une partie de ma thèse et prouverait que si Descartes a été le fondateur des sciences mathématiques et mécaniques, on ne saurait lui attribuer le même rôle pour ce qui est de la physique moderne. Aussi avons-nous le devoir de dissiper toute équivoque.

I importe d'abord d'observer que cette dualité de méthodes et de recherches n'exclut point l'unité scientifique. La science expérimentale, celle des phénomènes et des observations, ne s'achève vraiment et n'atteint sa perfection que dans la mathématique, où elle trouve la dernière explication de son objet. Il n'est pas moins manifeste que Descartes a parfaitement compris l'importance primordiale de l'expérience dans l'étude de la nature. S'il n'a pas invoqué plus souvent le témoignage des faits, c'est qu'à son époque l'on n'en avait encore observé qu'un nombre bien restreint. J'en trouve une preuve évidente dans ce que je vous rapportais tout à l'heure au sujet de la célèbre expérience du Puy-deDôme, de ses travaux sur les instruments d'optique, pour la construction desquels il a dû procéder à des recherches méthodiques. Nous savons du reste que l'illustre savant passa une grande partie de sa vie à épier les phénomènes curieux de la nature; il s'enfermait volontiers en tête-tête avec les cornues et les alambics; il s'attachait à disséquer et «< anatomiser » des animaux, dont il montrait à ses amis les cadavres et les squelettes en leur disant : « Voilà ma bibliothèque. » Ces preuves démontrent jusqu'à l'évidence qu'il eût, comme dit M. P. Tannery, dirigé un laboratoire de recherches physiques, avec autant de supériorité qu'il en a fait paraître dans l'étude de la géométrie.

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