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sauraient s'écarter de cette voie. Descartes vint, qui prouva ce théorème aujourd'hui incontesté, que le mouvement rectiligne est seul primordial et simple. La pierre de la fronde décrit une ligne courbe, mais sitôt que le lien est rompu, elle fuit par la tangente.

Enfin Descartes détermina une troisième loi qui également a obtenu droit de cité dans la science moderne: elle concerne la communication du mouvement. Par elle le fleuve coule là où la pente est plus grande et où les obstacles sont moins nombreux; elle est devenue célèbre sous le nom de loi de la moindre action, de l'économie de la nature.

De ces grandes lois générales du mouvement, de cette mécanique universelle que Bossuet a appelée « la mécanique supérieure de l'œuvre divine», notre illustre compatriote a déduit, bien avant l'astronome Laplace, la Mécanique céleste. Avant tout autre, il a pensé à expliquer, par un seul et même mécanisme, la pesanteur à la surface de la terre et les révolutions des planètes autour du soleil.

Son génie, d'une merveilleuse puissance synthétique, a vu tous les corps de l'Univers obéissant aux mêmes lois d'un mouvement rotatoire ou tourbillonnaire: ceux des espaces célestes, maintenus dans leurs orbites par le voisinage d'autres corps animés d'une force centrifuge plus grande, et ceux qu'attire la terre, comme soumis au jeu de l'eau et du liège qui remonte à la surface. Dès lors il conçut la gravitation, la pesanteur universelle, et la ramena, du premier coup, à un simple mécanisme.

Lorsque Newton eut conçu l'idée de rapprocher la tendance de la lune vers la terre, de la tendance analogue des corps pesants situés sur notre globe; quand il eut fait de l'astronomie l'une des sciences les plus exactes, en suivant pas à pas les planètes dans le ciel, en expliquant les particularités les plus minutieuses de leurs mouvements qu'il soumettait à la précision de

son calcul et à la rigueur de son raisonnement, le système trop vague des tourbillons de Descartes fut éclipsé par la splendeur de cette majestueuse ordon

nance.

Néammoins, sans prétendre à diminuer en rien la gloire de Newton, il importe de faire remarquer que le savant anglais, comme tout le monde, a d'abord été un partisan de Descartes, et qu'il a puisé dans les écrits de son devancier le principe de ses méditations. Je n'oserais pas suivre Fontenelle lorsque, dans l'éloge de Newton qu'il prononça devant l'Académie des sciences de Paris, il chercha à tenir la balance égale entre les Cartésiens et les Newtoniens, et voulut grandir l'auteur du livre des Principes, en faisant de lui, comme astronome, le rival de Newton. Mais il m'est bien permis de rappeler que les partisans de Newton ont admis, dans les espaces interplanétaires, l'existence du vide, le rayonnement d'une vertu attractive, l'omniprésence d'une molécule inerte. Or, cette théorie implique une contradiction. Pour mettre en communication les corps éloignés, il faut un milieu matériel qui, par vibration, pression ou impulsion, agisse sur eux en vertu de mouvements antérieurs. Cette théorie est aujourd'hui en voie de triompher et, sur ce point, nous ramène en plein cartésianisme, en donnant raison à Descartes contre les disciples de Newton.

Dailleurs, bien que le système universel des tourbillons soit faux, il n'en est pas moins vrai que, dans les tempêtes et dans les cours d'eau, ces tourbillons jouent un rôle important. Sur le soleil ils produisent la circulation de l'hydrogène incandescent et les taches aux aspects si divers. C'est pour les avoir repoussés absolument que Newton ne sut expliquer la constitution gyratoire du système solaire et,. contre toute évidence, nia qu'elle fût due à un mouvement primordial mécanique. Peut-être par eux, s'il ne les eût pas condamnés aussi absolument, Euler, Lagrange et Laplace eussent expliqué plus d'un phénomène.

Quoi qu'il en soit, il demeure acquis que Descartes a conçu la première cosmogonie vraiment scientifique dont l'histoire fasse mention. Il a reconnu ce fait, aujourd'hui démontré par l'analyse spectrale, qu'une même malière a servi à la formation de la Terre et des Cieux. Il a compris, avant Kant et Laplace, que tous les mondes ont la même origine, et qu'ils sont passés de l'état gazeux primitif à la solidité superficielle par refroidissement, que les étoiles varient d'éclat, sans doute par le changement des croûtes qui se développent à leur surface. Il a assimilé le soleil à une flamme dont une nourriture constante doit réparer les forces, et a prévenu ainsi les observations de la thermodynamique. Ses idées sur la pesanteur ont inspiré à Huyghens les déductions relatives à la figure de la terre et à son aplatissement. Enfin il a devancé les conclusions de la géologie sur le feu central, l'émersion et les inégalités des continents, l'origine interne par «<exhalaison » des filons métalliques, attribués autrefois à l'influence sidérale. Aussi ne sommes-nous pas étonnés d'avoir entendu naguère M. Daubrée, l'un des premiers géologues de notre époque, signaler la haute valeur des données fournies par Descartes à cette science encore en formation. Nous résumerons notre pensée en proclamant que c'est grâce à notre éminent compatriote que les idées scientifiques du monde et de l'univers se sont dégagées ; par lui a commencé pour la cosmogonie, ainsi que pour les mathématiques, l'ère scientifique moderne qui met la terre à sa véritable place, distingue notre monde solaire et démontre que tous les corps célestes obéissent aux mêmes lois mécaniques que les corps qui nous environnent.

Avant de quitter ce domaine, je tiens à rappeler que, portant son regard vers l'origine des êtres et rencontrant un effet, le chaos primitif, que nulle cause naturelle ne suffit à expliquer, Descartes a reconnu et salué avec une conviction profonde l'existence du Dieu créa

teur. De fait, tous les savants qui tentent d'expliquer la formation de l'univers, explicitement ou implicitement sont obligés de recourir à l'intervention d'un Etre. suprême. Cette notion s'impose à l'esprit à un tel degré que comme l'a écrit Pope et comme me le répétait naguère l'illustre académicien, M. Faye,-un astronome est religieux ou fou ». Il nous plaît de le proclamer ici, la science moderne, dont notre compatriote a été le fondateur, affirme l'existence d'un premier Etre souverain, initiateur de la vie et des énergies répandues dans les mondes.

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Nous arrivons aux sciences physiques. La physique, avons-nous dit, tend à se réduire de plus en plus à la mécanique, aux mathématiques; et, dès maintenant, l'on ne saurait en faire une étude tant soit peu complète, sans posséder d'avance la notion du calcul intégral et du calcul différentiel.

A Descartes revient la gloire d'avoir établi la physique sur cette base qui est le vrai et solide fondement sur lequel elle doit reposer. Du principe de la permanence du mouvement, il a déduit celui de l'unité des forces physiques désormais universellement admis.

« C'est, dit-il, le mouvement seul qui, selon les différents effets qu'il produit, s'appelle tantôt chaleur, tantôt Jumière...; qu'un autre imagine dans le corps qui brûle la forme du feu, la qualité de la chaleur et l'action qui le brûle, comme des choses diverses; pour moi, je me contente d'y concevoir le mouvement de ses parties; et cela seul pourra produire en lui tous les changements qu'on expérimente quand il brûle. » Voilà bien formulée pour la première fois cette loi importante et si féconde en applications.

Poursuivant sa marche triomphale à travers toutes les régions de la physique, et jetant comme à pleines mains

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les vérités, Descartes a préparé la théorie mécanique de la chaleur, en expliquant celle-ci par un mouvement des « particules corporelles »; en montrant que tout mouvement violent produit le feu, et que la chaleur, à son tour, se transforme en effets mécaniques très divers.

De même il a expliqué les phénomènes lumineux, non par l'émission de particules à travers l'espace, suivant la théorie inexacte que Newton viendra proposer plus tard; mais, par la transmission d'une pression dans le fluide éthéré tel, dit-il, « le choc se transmet à travers une série de billes qui se touchent». Il pose de la sorte les bases du système des « ondes » ou ondulations, que le savant cartésien Huyghens opposera un jour victorieusement à la théorie newtonienne de l'émission. Nous devons ajouter que dans la pensée de Descartes, cette transmission se produisait instantanément jusqu'aux distances les plus éloignées, par exemple du soleil à la terre, à l'instar des mouvements d'un bâton dont tous les points se déplacent dans le même temps d'une même quantité. En cela, il se trompait les ondulations lumineuses progressent à la façon des tourbillons; du moins, doit-on reconnaître qu'il a découvert le point capital, celui de l'existence des ondulations.

Le premier, en outre, dans son traité de Dioptrique, notre compatriote a démontré, par une décomposition de mouvements, la loi de la réfraction de la lumière dont, par une étrange injustice, on a voulu attribuer la découverte à l'allemand Snellius. Il en a donné la remarquable et élégante formule trigonométrique qui porte son nom, et en a déduit la théorie des principaux instruments d'optique.

Enfin, nous lui devons l'explication de l'arc-en-ciel qu'il a trouvée en comparant l'action de la goutte d'eau sur le rayon lumineux à celle du prisme lui-même. D'autre part, les lois du mouvement lui ont fourni une juste interprétation des phénomènes du magnétisme, et il a su reconnaître dans le globe terrestre toutes les pro

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