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l'infini, se sacrifier aux intérêts des autres, à sa famille, à sa patrie. « On ne saurait, écrit-il à la reine Elisabeth, subsister seul, et l'on est, en effet, une des parties de cette terre, l'une des parties de cet état, de cette société, de cette famille à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance, et il faut toujours préférer les intérêts du tout dont on est une partie. »> Enfin on doit, d'après les mêmes principes moraux, travailler pour le bien de l'humanité. « Chaque homme, dit-il, est obligé de procurer, autant qu'il est en lui, le bien de tous les autres, et c'est proprement ne valoir rien que de n'être utile à personne. »

Telles furent la vie, la philosophie et la morale de notre immortel compatriote. Sa doctrine subit le sort de toutes les doctrines. Tour à tour méconnue, décriée, exaltée, elle fut l'objet d'engouements extrêmes et de suspicions illégitimes.

Mais le temps a fait justice de tous les préjugés, et la méthode de Descartes a triomphé. Il est le fondateur et le père de la philosophie moderne.

Sa méthode claire, lucide, a substitué la raison aux arguties de la scolastique et placé l'homme en présence de la vérité découverte par la raison pure.

Descartes a ouvert devant l'esprit humain les plus vastes, les plus lumineux horizons. Il a agrandi le champ de la science, et reculé les bornes de son domaine illimité.

Il a donc bien mérité de ses semblables. Saluons en lui le penseur immortel, le grand Français, l'honneur de notre province, et l'une des gloires les plus pures de la France et de l'humanité.

H. FAYE.

DESCARTES ET SON EUVRE SCIENTIFIQUE

CONFÉRENCE PAR M. L'ABBÉ F. BOSSEBOEUF

(21 décembre 1896)

MESDAMES, MESSIEURS,

Etudier Descartes sous le rapport scientifique, tel est le rôle qui m'incombe. Pour le remplir, il sera nécessaire que je passe en revue, par de rapides aperçus, les diverses branches des sciences. La tâche est difficile, et je crains de m'en acquitter trop imparfaitement, en ne célébrant pas comme il le mérite le génie du grand homme. Du moins, je l'accomplirai avec une vive satisfaction, et je ne saurais dissimuler qu'il me plaît d'avoir à offrir le tribut public de mon admiration à l'un des maîtres les plus illustres, et de saluer en lui l'une des gloires les plus pures de mon pays natal.

J'ai cherché une expression qui fût propre à caractériser d'une façon à la fois concise, juste et complète, l'œuvre et le mérite de Descartes en tant que savant. Il m'a semblé que nulle autre ne répondait plus parfaitement à la vérité que cette pensée: Descartes est le fondateur de la science moderne. De fait, il en a fixé luimême les grandes lignes ; il lui a imprimé ce mouvement qui aujourd'hui nous emporte et que son influence dominera longtemps encore; il lui a insufflé, par son enthousiasme et par l'énergie de sa confiance dans l'avenir, une vie assez puissante pour atteindre les plus magnifiques développements.

Avant de vous montrer quel admirable savant a été

Descartes, je voudrais avoir le loisir de rechercher les sources de la merveilleuse fécondité de son savoir. Cet examen nous amènerait à les découvrir dans l'union intime que son intelligence sut établir entre la science positive et la philosophie. Suivant la réflexion de Biot, il fut beaucoup servi par la métaphysique de son esprit.

Aussi bien, la vraie science n'a pas d'autre idéal, et seule la philosophie, qui voit les êtres dans leur unité, peut lui fournir les principes dominateurs d'où naissent les grandes inventions. C'est parce que l'on a trop oublié cette maxime chez nous depuis un siècle, que les grandes théories et les généralisations scientifiques ont vu le jour en d'autres pays. A vouloir trop écouter les inspirations du positivisme, nous avons voué à la stérilité les vérités entrevues par nos devanciers. Ne seraitce pas avec un certain fondement qu'on aurait dit: L'esprit français a manqué les plus importantes découvertes de notre siècle, faute d'idées philosophiques?

Mais le temps nous manque pour traiter cette grave question, et nous devons, sans plus de retard, examiner quelle place Descartes occupe dans le monde des

savants.

Descartes a été un mathématicien de premier ordre; mieux encore, il a été, dans ce domaine, un réformateur profond. De ces hauts problèmes qui tentent l'esprit humain et déconcertent ses efforts, ainsi que l'a écrit excellemment M. Sully Prudhomme en son poème des Sciences :

Combien sont des jeux aujourd'hui !
Grâce à Descartes, dont la ruse
Oblige, en cette étude abstruse,
L'algèbre à raisonner pour lui.

La géométrie et l'algèbre sont un sujet bien aride, et vous me sauriez mauvais gré de vous en entretenir longuement. Souffrez du moins que je m'y arrête un instant nous sommes, en effet, en face du monument

le plus mémorable que nous ait légué notre compatriote, et sa géométrie restera comme l'une des plus belles œuvres de l'esprit humain.

Ce que nous devons à Descartes, ce n'est point l'application de l'algèbre à la géométrie, quoi qu'on l'ait prétendu maintes fois. Son mérite de hardi et fécond initiateur a consisté à éclaircir par la géométrie les obscurités de l'algèbre, et à rendre à celle-ci son vrai caractère en la rétablissant dans son rôle de simple écriture des propriétés de la grandeur. Il est vrai qu'il a découvert, chemin faisant, une merveilleuse méthode géométrique qui semble surpasser tout le reste; mais le but dernier de cette méthode et de sa géométrie est la résolution des équations algébriques par une voie nouvelle; aussi pour bien caractériser l'œuvre du grand novateur, son ouvrage devrait-il être intitulé: L'Algèbre par la Géométrie.

Descartes est parti des plus simples données expérimentales. A l'aide d'une méthode bien personnelle il a retrouvé les résultats connus de son temps, il en a multiplié le nombre et a montré la voie à suivre pour faire de nouvelles découvertes. Grâce à la possibilité de résoudre graphiquement les équations d'un degré quelconque, de surmonter par conséquent l'une des plus grandes difficultés de l'algèbre, il a rendu facile la solution d'une infinité de problèmes qui jusqu'à lui paraissaient insolubles.

Dois-je vous dire que sa Théorie des fonctions variables a préparé le calcul différentiel, et que l'analyse infinitésimale n'est qu'une heureuse application de l'admirable méthode cartésienne des indéterminées? Mieux vaut peut-être condenser en une brève formule le mérite incomparable de l'heureuse tentative. En effet, elle n'est rien moins que la reconstruction, pièce à pièce, de l'édifice des mathématiques pures, de cette science transcendante dans laquelle, depuis Descartes, toutes les autres tendent à s'unifier par la raison qu'elle semble Bulletin archéologique, t. XI.

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posséder, par devers elle, le mot de l'énigme du Monde dont nous poursuivons l'explication avec tant d'ardeur.

Nous voici tout naturellement conduit à parler de la Mécanique universelle, comme Descartes lui-même y fut amené par la force de la logique. Sans doute, en s'appliquant toute sa vie aux mathématiques, il eut réalisé dans cette sphère supérieure d'incroyables progrès, mais il préféra suivre la pente de son esprit qui s'ouvrait aux connaissances les plus variées.

Le savant chercha à expliquer l'Univers, et il n'y trouva partout que nombre, poids et mesure. Cette fois encore, il avait vu juste les nombres régissent le monde. La nature se présente à nous comme un livre absolument un, j'allais dire écrit en caractères géométriques. Les relations et les propriétés des phénomènes peuvent être soumises au calcul et exprimées par des rapports rigoureux de la quantité numérique.

Descartes s'est appliqué à construire cette géométrie de la nature, que Kant devait compléter plus tard dans sa Critique. A notre compatriote revient l'honneur d'avoir eu l'idée du mécanisme universel, d'avoir le premier formulé exactement et coordonné rigoureusement les grandes lois générales du mouvement, et par là posé le vrai point de vue sous lequel il convient d'envisager les sciences qui ont la nature pour objet.

Nous ne nous attarderons point à développer les lois du mouvement spécial à la matière. Il nous suffira de les rappeler, et, en premier lieu, ce grand principe de la permanence et de la continuité du mouvement qui, depuis Descartes, s'arroge le privilège de dominer la science.

Chez les Anciens et aussi chez nous, jusqu'à Képler on pensait que le cercle est la plus parfaite des figures, que les mouvements curvilignes sont simples et primitifs, et qu'en conséquence les planètes ne

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