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CRYPTE PRÉHISTORIQUE DE MANTHELAN

I

Dans le courant du mois de mars 1898, un carrier, nommé Daveau-Dupont, était occupé, près le village du Vigneau, à Manthelan, à rompre des roches pour l'empierrement des routes, quand la mine lui révéla la présence d'un ossuaire assez considérable. La pioche lui fit découvrir, parmi les ossements, plusieurs objets en silex et en os. Sa curiosité fut vivement éveillée par cette trouvaille et, afin d'éclaircir nettement la découverte, MM. Sibilleau, Rousseau et Brault, de Manthelan, s'empressèrent d'en faire part à la Société archéologique. Aussitôt prévenu, je me rendis sur les lieux, le 22 mars, en compagnie de notre confrère M. le capitaine Bonnery, trésorier de la Société archéologique. On ne nous saura pas mauvais gré sans doute de rendre compte de notre visite à Manthelan et des réflexions qu'elle nous a suggérées. Mais, au lieu de commencer par ce qui regarde les temps les plus reculés, nous esquisserons l'histoire de la localité en remontant de l'époque moderne à la période préhistorique ou protohistorique.

Au milieu du bourg assez coquet, sur le côté occidental d'une place rectangulaire, s'élève l'église, qui a été refaite il y a quelque vingt ans, et dont l'orientation a été retournée lors de cette réfection. Le dernier édifice remontait au xi" et au XI° siècle, et de cette construction il demeure le clocher, dont la tour quadrangulaire a souffert et garde la trace de l'appui du toit de l'église antérieure. Dans la suite, le monument reçut les embellissements que l'on avait coutume d'apporter, et de cette décoration il reste une curieuse Pietà en bois du xv° siècle et un remarquable Christ, en terre cuite, du xvII° siècle; ces deux objets, dont nous avons pris la photographie,

sont actuellement déposés au presbytère. Quant à la cloche, elle porte, nous a-t-on dit, la date de 1565.

Des documents nous permettent de traverser le moyen âge et de remonter plus haut dans le passé. A l'occasion de travaux exécutés il y a plusieurs années, les ouvriers mirent, au jour, dans le voisinage de l'église, un caveau, voùté en ciment très dur et rougeâtre, et qui renfermait des cercueils que des témoins compétents attribuaient à une époque très reculée. En réalité, on est fixé sur le fait de la fondation de Manthelan à l'ère mérovingienne. Saint Grégoire de Tours, le précieux conservateur de nos origines nationales - et plus encore du berceau de nos annales provinciales écrit que le bourg de Mantolomagus a été fondé sous l'épiscopat de saint Volusien, qui fut évêque de Tours de 494 à 498 (Histor. Franc., X, 31).

Cette localité prit une rapide extension et, au vi° siècle, grâce au pinceau fidèle de Grégoire de Tours, qui a été mêlé à l'événement comme pacificateur, nous assistons à une scène tumultueuse, qui est la peinture exacte des mœurs domestiques, religieuses, civiles et judiciaires de ce temps. Ce n'est pas le lieu d'entrer dans le détail des différents actes de pillage et de meurtre, qu'on peut lire dans cet historien (Hist. Franc., VII, 475); nous ferons seulement ressortir les circonstances qui touchent à la géographie historique.

A la Noël, une révolte, suivie d'attentats, surgit entre Sichaire, fils de Jean, et Austregisile qui, tous deux possesseurs de domaine dans la localité, célébraient la solennité avec le « prêtre du lieu ». Au début de la lutte, causée par le meurtre d'un serviteur, Sichaire, retiré dans sa « villa », perd « argent et vêtements ». Austregisile dépose son butin aux mains d'Aunon, de son fils et de son frère Ebérulfe. Des représailles s'en suivirent et l'intervention de Grégoire de Tours contribua, non sans peine, à procurer une « composition >> et une entente pacifique. Nous pourrions être tentés

de rechercher l'emplacement des villa, mais nous ne voulons pas sortir de notre cadre, et nous nous bornerons à faire remarquer que ce pourrait bien être dans le village qui a conservé le nom absolument caractéristique de L'Aleu.

L'époque romaine a laissé à Manthelan des témoins dans les monnaies qui ont été découvertes à plusieurs reprises, en même temps que des pièces du moyen âge. On a trouvé notamment des monnaies romaines au village de Vigneau, en faisant les fondations du petit pont sur le Quincampoix; à cet endroit passait une voie romaine secondaire, venant de Reignac et se dirigeant. vers l'ouest pour se relier à la voie consulaire. Auprès des rochers, l'on a découvert des monnaies de bronze du Bas-Empire à l'effigie de Constantin Ir, et d'autres portant, à l'avers, la tête de Rome casquée et, au revers, Romulus et Rémus avec la louve. Tout naturellement, ici comme ailleurs, les Romains furent précédés par les Gaulois, dont les devanciers se perdent dans la nuit des temps. Du moins, les obscurités de ces âges primitifs viennent de s'éclairer soudain d'un rayon de lumière, grâce à l'importante trouvaille qu'un ouvrier a faite. La période préhistorique a bien laissé çà et là quelques instruments de silex taillé ou poli; en outre, des restes de monument mégalithique paraissent sur le bord du Quincampoix, et l'on sait qu'un lieu dit « la Haute-Borne » rappelle vraisemblablement un menhir, comme auprès de l'Echandon, de grandes dalles bouleversées conservent le souvenir d'un dolmen; mais la crypte qui vient d'être mise au jour présente un intérêt tout particulier.

Auprès de l'ancienne voie, dont nous venons de parler et qui est devenue la route actuelle, sur la rive droite du ruisseau le Quincampoix, qui arrose un étroit vallon, s'étend un plateau pierreux, appartenant en partie à M. Jean Bienvault, et dont l'escarpement dénudé se prolonge parallèlement au cours d'eau, ainsi

qu'on le remarque dans la reproduction photographique que nous avons faite. C'était là le but de notre excursion, et notre attention se porta sur la partie orientale de la roche que l'ouvrier a transformée en carrière. Nous regrettames tout d'abord que la mine, clef de la découverte, eût jeté le désordre dans les rochers que la massue a fini de briser. Des réflexions du carrier sur l'état antérieur à l'explosion et de nos propres observations, il ressort que nous sommes en présence d'une crypte funéraire, installée sous une roche dans son état naturel du moins à l'origine. Le dessous du rocher avait été évidé; la table supérieure, brisée par la mine, avait environ 3 mètres de diamètre. Au dire du carrier, elle s'appuyait, de chaque côté, sur une sorte de pierrepilier, séparée du banc et qui paraissait disposée intentionnellement. De cette disposition nous n'avons pu voir que les débris.

Cette crypte funéraire renfermait huit ou neuf squelettes dont les ossements étaient mêlés à la terre glaise, qui s'était infiltrée à travers les anfractuosités des roches. Nous constatâmes leur état bouleversé et empâté et, sous nos yeux, l'ouvrier se mit à extraire des os au milieu desquels apparurent des fragments de poterie grossière et de silex taillés. M. le capitaine Bonnery mit de côté une série d'ossements pour être soumis à l'examen d'un spécialiste. Puis, sur notre demande, le carrier se rendit à sa demeure et nous montra les objets qu'il avait rencontrés parmi les ossements et qui consistent en instruments de silex et objets en os. Il nous les remit, en vue de procéder à un examen d'ensemble qui permit d'aboutir à des conclusions plus précises. En partant, nous lui fimes nos recommandations au sujet du soin qu'il convenait d'apporter dans le déblaiement et de l'attention scrupuleuse avec laquelle il aurait à séparer tous les objets portant la trace d'un travail humain; enfin nous chargeâmes M. Sibilleau, qui avait déployé dans toute cette

affaire une intelligente activité, de surveiller les fouilles au nom de la Société archéologique. Nous sommes heureux de reconnaître que M. Sibilleau nous a tenu, avec une exactitude parfaite, au courant des découvertes successives qui ont eu lieu.

Sur notre indication, M. le capitaine Bonnery remit les ossements rapportés à M. le D' Chaumier, membre de la Société archéologique, que recommandent tout spécialement son goût et sa connaissance des questions préhistoriques, goût et connaissances qui prennent corps dans une remarquable collection d'objets de toutes sortes se rapportant à cette époque. De son côté, notre confrère, afin de mieux asseoir son opinion, se rendit sur place, interrogea l'ouvrier, rapporta une cargaison d'ossements, ainsi que plusieurs des objets trouvés par le carrier Daveau.

Nous venons de faire l'exposé des diverses circonstances de la découverte du Vigneau. Nous laisserons à M. le D' Chaumier le soin de traiter des objets qui ont été extraits de la crypte funéraire et qui accusent les origines de l'industrie. Nous nous bornerons à faire remarquer que ces restes se rapportent tous exclusivement à l'ère préhistorique. Outre les ossements humains et les os d'animaux, ce sont des instruments de silex, des fragments de poterie et des. objets en os, et un polissoir à trois cuvettes.

Les instruments de silex taillé et poli ne laissent pas de doute sur l'époque, les mœurs et les usages des humains qui ont vécu dans cette région et ont été enterrés sous cette roche. Ils comprennent une hache polie en silex jaune du Grand-Pressigny, de 100 millimètres de longueur et 50 millimètres de largeur, du côté du tranchant; une seconde hache en silex blanc laiteux, taillée pour le polissage, présentant à peu près les mêmes dimensions; une pointe de flèche en silex jaune, de 45 millimètres de longueur, et de plus une certaine quantité d'outils en silex d'un travail plus rudi

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