Page images
PDF
EPUB

archéologues doit désormais se modifier et reconnaître. que, dans les Gaules, la basilique de Saint-Martin a joué un rôle assez prépondérant pour avoir été le point de départ d'une architecture nouvelle. En présence d'un fait matériel nouveau, il faut donc suspendre les hypothèses, et chercher, s'il est possible, la critique de notre thèse dans des documents authentiques. Or, saint Grégoire ayant sous les yeux la basilique de saint Perpet, ses récits sont décisifs dans l'examen que nous avons à faire. M. de Lasteyrie l'a bien compris, et il s'est tourné de ce côté. Mais il n'a trouvé malheureusement que confusion dans les expressions d'absides et atrium, dont saint Grégoire se sert sans cesse dans l'Histoire des Francs et le Livre des Miracles. Nous croyons, au contraire, que là est le noeud de la question, et, dans un savant mémoire publié, en 1892, par la Revue des monuments et des arts1, Ms Chevalier a répondu victorieusement à toutes les objections de M. de Lasteyrie sur les absidioles, le déambulatoire et l'atrium. Nous adhérons pleinement à cette réplique, mais nous allons ajouter quelques éclaircissements qui donneront encore plus de force à l'argumentation de Ms Chevalier.

Nous sommes d'accord avec Ms Chevalier pour donner un sens absolu aux différentes qualifications que saint Grégoire affecte au mot absida, mais nous allons plus loin que lui, et nous distinguons, dans le langage de saint Grégoire, trois sortes d'absides : Absida basilicæ, Absida sepulcri, - Absida corporis, tumuli. D'abord l'absida basilicæ désigne, selon nous, l'abside. principal de la basilique, y compris les absidioles, qu'il désigne sous le nom d'ascellæ dans l'église de SaintNamatius, à Clermont.

L'absida sepulcri désigne, encore selon nous, l'absidiole dans laquelle avait été déposé le sarcophage,

Le plan primitif de Saint-Martin de Tours d'après les fouilles et les textes, par Me Chevalier, publié dans le tome VI, 1892, no 31 et 32 de la Revue des monuments et des arts, rue Miromesnil, 98, Paris.

lorsque saint Perpet en eut extrait les ossements, qui furent alors renfermés dans un récipient dit electrum, placé lui-même dans une châsse qui varia plusieurs fois de forme. C'est la cérémonie qui donna lieuà al fête de la Translation, que l'on célèbre encore le 4 juillet, en même temps que l'ordination de saint Martin. (Voir l'appendice de nos Basiliques de Saint-Martin de Tours, page XLVI de la note 1.) Nous y disons qu'à partir de ce moment il y eut dans la basilique deux reliques insignes le corps d'une part, et de l'autre le sarcophage vide qui l'avait primitivement renfermé et désigné sous le nom de sepulcrum. M. Quicherat, dans sa remarquable Restitution de la basilique de Saint-Martin, admet, comme nous, l'existence de ce sarcophage vide dans la basilique, mais il en ignore la place et s'exprime ainsi: <«< Outre le monument qui vient d'être décrit (absida corporis), il y avait encore le sarcophage dans lequel avait été enfermé d'abord le corps de saint Martin, et que l'évêque Perpetuus retira de terre lors de la levée du corps (Miracula sancti Martini, 1. 1, c. vi). Il fut décoré par saint Eloi, preuve qu'il était en vue dans l'Eglise, mais nous ignorons absolument la place qu'il occupait. » (Restitution de la basilique de Saint-Martin de Tours, 1869, page 27.)

L'absidiole du fond de la basilique nous paraît naturellement indiquée, et c'est pourquoi saint Grégoire la désigne par absida sepulcri.

L'absida corporis, tumuli, au contraire, désigne, selon nous, le podium circulaire contre lequel s'appuyait l'autel quadrangulaire (tumulum), qui conservait intérieurement les ossements du saint, renfermés dans l'electrum, lequel lui-même était contenu dans une châsse. Si on donne à ces absides le sens que j'indique, les textes, cités par Ms Chevalier, s'éclairent encore mieux. Ainsi le texte de saint Grégoire relatif aux voleurs qui s'introduisirent dans la basilique (Hist. Franc., 1. VI, c. x) s'explique parfaitement. En effet, si le sarcophage vide

avait été déposé, comme nous le pensons, dans l'absidiole du fond de la basilique, on comprend comment, pour se sauver par l'ouverture faite dans le vitrail, ils durent mettre le pied sur le saint tombeau (sarcophage), autrement cela ne s'explique pas1. C'est ainsi encore que le texte du prêtre de campagne, cité par Mr Chevalier, s'explique complètement dans cette hypothèse, car ce prêtre, s'appuyant extérieurement contre cette absidiole, n'était séparé du sépulcre que par l'épaisseur du mur de l'absidiole 2.

Les nombreux récits de saint Grégoire sur les miracles opérés devant le sépulcre, le tombeau ou le corps de saint Martin, trouvent une explication naturelle en admettant la présence du sarcophage, ou sépulcre, dans l'absidiole du fond de la basilique (absida sepulcri), qui s'ouvrait intérieurement sur un déambulatoire ou atrium, en admettant en même temps la présence du corps ou des ossements du saint dans l'abside centrale du choeur désignée sous le nom d'absida corporis.

Entre l'absida sepulcri du fond de la basilique et l'absida corporis existait ce déambulatoire que saint Grégoire désigne par le mot atrium. M. de Lasteyrie s'est appliqué particulièrement à écarter l'idée d'un déambulatoire autour de l'absida corporis; il refuse d'accorder au mot atrium le sens de déambulatoire, que, Ms Chevalier et moi, nous lui avons donné, parce que ce sens paraît s'imposer. C'est, d'ailleurs, de la part de M. de Lasteyrie, une opinion toute personnelle, à laquelle nous opposons celle de M. Quicherat, qui a occupé, avant lui, la chaire d'archéologie à l'Ecole des Chartes. La Restitution de la basilique de Saint-Martin de Tours

1 Qui ponentes ad fenestram absida cancellum, qui super tumulum cujusdam defuncti erat, ascendentes per eum, effracta vitrea, sunt ingressi; auferentes multum auri argentique et palliorum holosericorum, abierunt, non metuentes super sanctum sepulcrum pedem ponere, ubi vix vel os applicare præsumimus.

2 Cumque basilicam sanctam ingredi non valeret coram absida sepulcri fudit orationem (Mirac. S. Martin.). L IV, c. XXI.

de M. Quicherat est entièrement basée sur l'hypothèse de ce déambulatoire, qu'il trouve révélée et définie par ces textes de saint Grégoire : in atrio quod ante beati sepulcrum habetur (Mirac. S. Martin., 1. II, c. XLII). Atrium quod ad pedes Beati existit (Hist. Franc.)

Le sens du mot atrium est donc au moins discutable. Nous avons préféré, Mr Chevalier et moi, suivre l'opinion de M. Quicherat. Pour ma part, je crois que le mot atrium, atria, s'applique aussi bien, comme le veut M. de Lasteyrie, à la cour entourée de portiques qui précède la basilique antique, qu'aux parvis qui entourent un lieu saint, un tabernacle, un tombeau, comme nous le proposons. Les deux textes ci-dessus nous disent que l'atrium de saint Grégoire était entre le sépulcre et les pieds du bienheureux.

Nous avons montré que le sépulcre était dans l'absidiole au fond de la basilique. Mais, où étaient les pieds du bienheureux. Nous savons, par d'autres textes, qu'une inscription: Pedes Sancti Martini, était derrière le tombeau, c'est-à-dire l'absida corporis ou le podium circulaire qui portait l'autel de la confession (tumulum). Or, dans l'axe de la basilique, précisément derrière le podium, nous avons trouvé les restes d'un enduit portant des peintures à fresques que nous décrivons comme il suit à la page 41 de notre mémoire sur les basiliques de SaintMartin: « Ce fragment d'enduit correspond d'abord exactement par sa position au tombeau de saint Martin retrouvé en 1860, dont il n'est séparé que par l'épaisseur du podium. Cette position est significative, et il y a tout lieu de penser que la peinture devait se rapporter à ce tombeau. Ne peut-on pas supposer que l'encadrement constaté par nous entourait l'inscription: Pedes SCI Martini, derrière le tombeau. Nous avons déposé à la Société archéologique (fonds de saint Martin) un morceau de cet enduit recueilli lors de sa destruction. On y découvre très nettement deux couches de peinture superposées, et sur la plus antique on pourrait peut

être pressentir, dans un enroulement multicolore, la boucle de lettre P du mot Pedes1. »

Mais M. de Lasteyrie, après avoir cherché à démontrer: 1° Que la basilique de saint Perpet avait été détruite plusieurs fois par les Normands, comme le prouverait historiquement M. Emile Mabille, opinion qui n'est établie, au moins selon nous, que sur de simples hypothèses; 2° que des absidioles ne pouvaient exister au ve siècle, affirmation qui semble trop absolue; 3° qu'un déambulatoire autour du tombeau de saint Martin n'existait pas dans la basilique de saint Perpet, parce que le mot atrium employé par saint Grégoire désigne non un déambulatoire, mais une cour entourée de portiques, ce qui est généralement vrai, mais ne l'est pas dans l'espèce, comme nous l'avons démontré, M. de Lasteyrie, dis-je, écartant alors les interprétations de Ms Chevalier et les miennes, fondées cependant sur des faits et sur l'opinion de M. Quicherat, son maître, fait table rase des opinions émises à cette occasion et, pour arriver à une conclusion, propose une explication des textes de saint Grégoire toute différente des nôtres, et une restitution purement hypothétique de la basilique construite. par saint Perpet.

Mr Chevalier, dans son dernier mémoire intitulé: le Plan primitif de Saint-Martin de Tours, a compris, après avoir réfuté une à une toutes les objections de M. de Lasteyrie, qu'il fallait encore le suivre sur ce terrain, et s'est appliqué lui-même à faire une restitution de la basilique de saint Perpet, qui diffère peu de celle que nous avions nous-même essayée dans notre première notice (les Basiliques de Saint-Martin) publiée en 1886, avant les dernières fouilles et sur le vu des

1 Sur la photographie jointe à ce mémoire, pl. III, cet enduit est désigné par la lettre B'.

L'atrium circulaire, tel que nous le comprenons, se développait donc entre l'absidiole du fond de la basilique et le point déterminé par notre enduit contre le podium.

« PreviousContinue »