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REMARQUES

SUR QUELQUES MONNAIES ARMORICAINES

(Fin) 1

III

Il nous reste maintenant à parler de quelques monnaies des Aulerkes Diablintes, peuplade voisine de celle des Aulerkes Cénomans. Ces monnaies qui, au point de vue typique, sont très remarquables, présentent, avec la tête de Belen ayant tous les caractères de celle de l'Apollon macédonien, un androcéphale conduit par un aurige portant le Torquès, marque distinctive chez les Gaulois de personnages constitués en dignité; sous le ventre de cet androcéphale est un autre personnage aptère tenant en main un vase ansé, dont les deux parties constitutives, de forme ovoïde, sont séparées l'une de l'autre par un gros globule, ce qui lui donne l'aspect d'un sablier, forme un peu étrange, sans doute, mais en rapport étroit avec celle du personnage lui-même dont les deux parties du corps sont également séparées par un globule de même genre mais plus volumineux. Hâtons-nous de dire que cette singularité, qui n'est peutêtre qu'une altération de style, disparaît complètement sur un beau statère d'or vert, ou ce même vase prend la forme conique et est muni d'un petit pied qui permet de le maintenir debout. Cette pièce pèse 725, ce qui reporte son émission à une époque peu éloignée de la conquête romaine.

D'après E. Hucher, cet ustensile serait le même que celui des monnaies de Vercingétorix ; à notre avis c'est une erreur: un simple rapprochement des deux objets. suffit en effet pour montrer que le dernier est une Diota

Voir le Bulletin du 2' trimestre 1897.

de forme grecque ou une amphore munie d'anses latérales se rattachant au sommet de la panse, ce qui ne se retrouve pas sur notre monnaie de billon et moins encore sur le statère.

Ce numismatiste fait en outre observer que le vase à fond ovoïde et à anse circulaire rappelle en tous points les anciens vases danois de l'âge de bronze du catalogue dressé par M. Worsaee. Sans trop nous appesantir sur ce que l'on est convenu d'appeler l'âge de bronze, nous nous bornerons à redire ce que d'ailleurs personne n'ignore, à savoir que, dans l'antiquité, le Danemark porta le nom de Chersonnèse Cimbrique: que son territoire fut occupé environ 600 ans avant notre ère par des Kimris, c'est-à-dire par des hommes de la race de ceux qui, si l'on en croit les Triades, conquirent un peu plus tard l'île de Bretagne, l'Irlande et l'Armorique, et que, par suite, il n'y aurait rien de surprenant à ce qu'on ait retrouvé dans la terre danoise des vases de formes analogues à ceux qui figurent sur nos pièces.

Quant aux anses suivant lui reproduites sur la monnaie de billon, il en trouve les identiques sur certaines pièces du Nord-Ouest de la Gaule, celles de Suticcos et de Pixtilos. Nous avons rapproché les unes des autres et, ici encore, nous sommes contraint d'avouer que cette identité nous échappe.

Au reste tout ceci importe peu, car la question n'est pas de savoir d'où vient ce vase ni à quoi il ressemble, mais quelle peut en être la signification. Or, en partant de cette hypothèse qu'il est une Diota, É. Hucher, s'appuyant sur l'autorité de Duchalais, l'a pris pour un Athlon, c'est-à-dire pour un de ces prix que l'on décernait aux vainqueurs dans les jeux publics et plus particulièrement aux athlètes: seulement, et à moins que le vase inscrit sur la monnaie des Diablintes ne se rapporte au soleil, le héros fort et victorieux, nous ne voyons guère ce qu'il peut bien venir faire dans la composition de notre type. En effet, et avant de rien décider, n'aurait-il

pas été nécessaire d'établir d'abord que les jeux publics étaient en usage chez les Gaulois; ensuite de connaître la nature de ces jeux et des prix que l'on y accordait aux vainqueurs? Or de tout cela on ne sait rien ou presque rien, puisque les écrivains de l'antiquité sont restés muets à cet égard.

La vérité est que le sens de ce vase, qui est ici le point essentiel, paraît avoir échappé à E. Hucher.

Au lieu de consulter les coutumes de la Grèce, peutêtre eût-il mieux fait de se retourner du côté de l'Asie Mineure, vers la Cappadoce infestée par le magisme; en Orient du côté de l'Arménie, de la Judée, et mieux encore vers la Perse. Là il eût pu voir, entre autres choses fort intéressantes, que le feu sacré, le feu éternel, expression la plus pure de la Divinité dans son action continuelle sur tous les êtres, avait son sanctuaire particulier au milieu duquel était l'Adoscht pierre qui supportait un Vase d'airain dans lequel brûlait la flamme; que dans les grandes solennités le feu était porté sur des autels mobiles, faits parfois d'un métal précieux, dans des Pyrethès, vases à fond plat ou arrondis et à anses circulaires si souvent représentés sur les monuments; que ces mêmes Pyrèthès étaient, suivant Hesychius, fabriqués avec de l'argile; qu'ils figuraient entre les mains des grandes divinités; enfin que dans les pompes solennelles on les portait devant le roi; tous faits qui nous amènent à conclure: 1° en ce qui regarde le type inscrit sur la monnaie des Diablintes ; que le curieux ustensile tenu par le personnage couché sous l'androcéphale n'est point un Athlon, mais un vase destiné à contenir le feu ou à désigner le culte du feu, probablement considéré comme mâle.

Il existe en effet, dans le type qui nous occupe, une particularité fort singulière et sur laquelle, cependant, E. Hucher n'a pas cru devoir s'expliquer. Cette particularité consiste en une sorte de cône allongé qui se rattache au personnage vers la partie inguinale de son

corps. Or, ce cône n'est pas plus un glaive que l'objet suspendu à son bras n'est un bouclier, une telle supposition étant d'ailleurs interdite sinon par la forme, du moins par la position qu'il occupe. Ajoutons que les deux mains étant embarrassées on ne voit pas trop comment il pourrait se maintenir. Dès lors, rien n'empêche de penser à un Phallus, de dimensions extraordinaires sans doute, mais non pas insolites. Pour s'en convaincre, il suffit, en effet, de se rappeler certains types comme ceux de Nicopolis sur l'Ister, de Lampsaque, de Massalie et surtout ces Neuropastes, dont il est question dans Hérodote et dans Suidas. En admettant la vérité de cette conjecture, l'interprétation de notre symbole devient plus facile dans le petit personnage qui le constitue, il faudrait voir le feu personnifié ou mieux le génie mâle du feu, du feu créateur, principe de tout ce qui existe; le dieu des éléments et de la génération, laquelle, comme nous aurons l'occasion de le montrer, fut toujours symbolisée par l'organe viril en état d'érection.

2o En ce qui concerne les monnaies issues de sa trouvaille de Jersey, que le type de leur revers n'est autre que l'image représentative de la fécondation de la Terre. ou de la Nature par ce même élément émanant du soleil, son céleste foyer.

IV

Pour compléter l'étude que nous venons de faire, il nous faut maintenant dire un mot sur le feu d'origine fulgurique. Par son vif éclat, par le bruit qui l'accompagne, ce feu, dès les premiers âges, dut fortement frapper l'imagination des hommes; et comme il prenait sa source dans le ciel même, ils ne durent pas tarder à le considérer comme une manifestation de la Divinité. Or, de là à le diviniser il n'y avait qu'un pas, et ce pas fut franchi.

En effet, le culte du feu envisagé sous ce point de vue particulier rentre dans presque tous les systèmes religieux de l'antiquité. En Orient comme en Occident, chez les peuples de l'Asie comme chez les Etrusques et les Scandinaves, où, pareil à Indra, au Zeus des Hellènes, au Jupiter des Latins, Thôr nous est présenté comme un détenteur du tonnerre, partout on rencontre un dieu de la foudre ou du moins un être divin possesseur de ce feu qu'il lance et dirige à son gré.

Sans être aussi bien constatée, l'existence d'une pareille divinité chez les peuples de la Gaule n'en est pas moins probable, sinon certaine. En effet, et sans parler de ces pièces au revers desquelles on voit un aigle tenant un foudre dans ses serres, type dont la provenance nous paraît être étrangère, on possède des monnaies que les numismatistes ont attribuées aux Silvanectes; or, ces monnaies portent au droit une tête à la chevelure formée d'anneaux en guise de boucles devant laquelle est une ligne en zig-zag qu'il est impossible de confondre avec aucunes de celles que la numismatique gauloise nous fournit et, plus spécialement, avec ces lignes ondulées auxquelles, sur les pièces armoricaines, est suspendu le carré symbolique. Cette ligne brisée et formée d'une série d'angles semble partir du front, c'est là une particularité qu'il ne faut pas négliger, car tel est le cas du rayon solaire sur certaines médailles de même origine. Il n'y aurait done pas témérité à voir ici non plus un rayon, puisque celui-ci apparaît toujours droit, mais bien le feu de l'éclair, et dans la tête divine d'où il jaillit celle d'un dieu de la foudre qu'il soit Taranus ou un autre, ce qui d'ailleurs importe peu.

De cette monnaie, on peut en rapporcher deux autres qui, par le style, appartiennent l'une au Nord-Ouest de la Gaule l'autre au Aulerkes Eburovices. Au revers de ces médailles apparaît un cheval en course au-dessus duquel, partant du sommet de la pièce, est un trait également

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