Page images
PDF
EPUB

trouve actuellement au château d'Amboise et qui s'y trouvait depuis longtemps, lorsqu'en 1873 l'État a restitué à ses propriétaires le château « avec tout ce qu'il contenait », a dû faire autrefois partie, ainsi que le groupe du Christ au tombeau, du monument funéraire de la famille Babou de la Bourdaisière; vous ajoutez que l'administration municipale d'Amboise désire reconstituer ce monument dans l'église paroissiale de SaintDenis et «< conserver à la ville cette œuvre d'un des sculpteurs tourangeaux de la Renaissance », et vous sollicitez de moi, par l'abandon à la ville de cette statue, le moyen de mettre votre projet à exécution.

« Quelque désireux que je fusse moi-même de garder dans la chapelle du château d'Amboise cet intéressant spécimen du vieil art français, je tiens à accueillir favorablement la première demande que m'adresse la ville d'Amboise; je donnerai, en conséquence, les ordres nécessaires pour que la Femme noyée vous soit remise, dès que les travaux de reconstitution dans lesquels elle doit prendre place seront parvenus à un degré d'achèvement convenable; j'y mets pour seule condition qu'effectivement la statue restera toujours à Amboise; nous nous accorderons facilement sur ce point, puisque c'est ce qu'annonce expressément votre demande.

<< Croyez, etc.

(( Signé: H. d'ORLÉANS. »

Immédiatement, M. Chauvin et moi, sommes allés chez M. le curé d'Amboise pour lui faire part des conditions imposées par le Prince, le prier de ne pas mettre d'opposition à la reconstitution du tombeau, tel qu'il était à Bon Désir, et d'accueillir la Femme noyée à SaintDenis; nous avons même recherché ensemble la place qu'il serait le plus convenable de lui assigner. M. le curé a bien voulu nous dire qu'il n'y ferait personnellement aucune opposition, mais qu'il ne pouvait nous répondre sans avoir pris l'avis de l'autorité diocésaine, et il a été

convenu qu'il écrirait à ce sujet à Msr Renou et que, de notre côté, nous lui écririons également.

En quittant M. le curé, nous nous rendîmes chez M. le maire, et le soir même j'adressai à Mgr le duc d'Aumale, une lettre de remerciements; M. Chauvin, de son côté, écrivit à Msr Renou en lui faisant connaître la réponse de Chantilly.

Voici la lettre adressée au Prince :

<< Monseigneur.

<< Amboise 15 juillet 1896

« Le maire et la Commission municipale d'Amboise viennent exprimer à votre Altesse Royale tous leurs remerciements pour la haute faveur qu'elle a bien voulu leur faire en accueillant leur demande avec autant de bienveillance et de générosité.

« Dès aujourd'hui, des démarches sont faites auprès de l'autorité diocésaine pour obtenir son agrément, qui ne se fera pas attendre, nous en avons l'intime conviction; puis le nécessaire sera fait pour rendre à l'ancien monument des Babou son aspect primitif, peu de chose, du reste, puisque le sépuclre a été, en 1864, l'objet d'une restauration à laquelle il ne manque, pour le compléter, que l'adjonction de ce dernier tombeau.

«La lettre si bienveillante de Votre Altesse ne nous laisserait, Monseigneur, qu'impression reconnaissante et joyeuse, si elle ne contenait l'expression d'un regret de voir « ce spécimen du vieil art français » quitter le château. Ce regret fait naître en nous presqu'un remords auquel, toutefois, notre devoir est de résister, obligés que nous sommes d'écarter toute question de sentiment, pour ne considérer que la mission qui nous a été confiée et le but artistique poursuivi par la ville.

« Nous ne pouvons, Monseigneur, qu'affirmer de nouveau et plus fortement encore, si c'est possible, les sentiments que nous avons eu déjà l'honneur d'exprimer, et prier Votre Altesse Royale de daigner nous permettre

de nous dire ses reconnaissants et respectueux serviteurs. >>

La vacance du siège archiépiscopal, qui ne prit fin que le 21 septembre, nous fit attendre pendant plus de deux mois l'autorisation que nous sollicitions; mais cinq jours après l'installation du nouvel archevêque (le 26 septembre), M. le curé d'Amboise nous écrivit que ni Ms Renou, ni lui, ne voyaient d'inconvénient à ce que notre statue fut placée à Saint-Denis à côté du Christ au tombeau. Immédiatemment, M. le maire donna à M. Gallard, architecte de la ville, l'ordre de préparer la place pour recevoir la statue et, dès que le travail fut assez avancé pour qu'on pût considérer comme accomplie la condition mise par le Prince à la restitution, il fut adressé à Mer le duc d'Aumale la prière de vouloir bien ordonner la remise de la statue.

Quelques jours après, M. Gabriel Ruprich-Robert, chargé de la restauration du château, vint à Amboise avec mission de remettre ce beau marbre entre les mains de M. le maire et des trois membres de la Commission; rendez-vous fut donc pris pour le 23 octobre. Au jour fixé, à trois heures du soir, M. le maire et MM. Helle, Chauvin et moi, accompagnés de M. Gallard, nous nous rendîmes au château, où nous attendait M. Ruprich-Robert, assisté de M. Choisnard, architecte; de M. Boureau, régisseur; un procès-verbal de l'abandon de la statue par Mgr le duc d'Aumale fut accepté et signé par toutes les parties. Voici cette pièce:

<< Le vingt-trois octobre mil-huit-cent-quatre-vingt<< scize, en vertu d'un don fait à la ville d'Amboise, par << son Altesse Royale Monseigneur le duc d'Aumale, de «la statue dite la Femme noyée, sise dans la crypte de <«< la chapelle du château;

<< Les soussignés M. Ernest Mabille, chevalier de la (< Légion d'honneur, conseiller d'arrondissement, maire

« de la ville d'Amboise, et MM. Gabeau, Chauvin et <«< Helle, membres de la Commission déléguée à cet « effet par le Conseil municipal, ont reçu ladite statue « des mains de M. Ruprich-Robert, architecte du châ«teau, pour la transporter à l'église de Saint-Denis << d'Amboise.

« A cette occasion, il demeure stipulé que, conformé<«<ment à la volonté du donateur, la statue de la Femme « noyée ne devra, sous aucun prétexte, aussi bien dans le «présent que dans l'avenir, être transportée hors de << la ville.

[ocr errors]

<< Après la lecture, les soussignés ont approuvé le présent procès-verbal et se sont engagés, au nom de « la ville d'Amboise, à faire respecter les conditions << qui s'y trouvent rappelées.

<< Sigué: E. Mabille; A. Gabeau ; G. Chauvin ; A. Helle; « A. Gallard (architecte de la ville); Boureau, régisseur <«< du château; G. Ruprich-Robert; A. Choisnard, ins<<< pecteur des travaux. >>

La délivrance nons en fut faite immédiatement, et le soir même, la Femme noyée fut transportée à SaintDenis. Quelques jours plus tard, sa place étant prête, la statue y fut déposée pour ne plus la quitter, j'espère. Dans l'intervalle, M. Varenne, sculpteur à Tours, en avait pris le moulage entier.

Le 13 novembre, le Conseil se réunit et je fus invité à assister à la séance et à lire le rapport que j'avais été chargé de faire sur notre mission. Cette pièce, qui relate les faits que je viens de raconter, se terminait en ces termes:

« Vos délégués, Messieurs, ne sauraient terminer leur rapport sans adresser ici, publiquement, à Ms le duc d'Aumale l'expression de leur respectueuse reconnaissance pour la bienveillance qu'il leur a témoignée et l'accueil favorable qu'il a bien voulu faire à leur demande, sans se préoccuper de ce qu'elle pouvait avoir de plus

ou de moins fondé; ils ne se font personnellement aucune illusion à ce sujet, ils savent bien qu'au-dessus d'eux toutes les sympathies du Prince s'adressaient à votre ville, aussi espèrent-ils que vous voudrez bien, par la délibération que vous ne pouvez manquer de prendre, vous associer à toute leur gratitude et lui adresser vos remerciements. Ils remercient également Mr Renou et M. le curé d'Amboise qui, sans tenir compte d'influences, bien sincères sans doute, mais que nous croyons avoir été inspirées par des scrupules exagérés ou mal entendus, n'ont point hésité à donner leur autorisation et à s'associer ainsi à une œuvre d'une grande importance, tant au point de vue artistique que de l'intérêt matériel de la ville; merci enfin à tous. ceux qui ont bien voulu nous aider dans l'œuvre que nous avons entreprise.

Quant à vos délégués, Messieurs, ils considèrent, dès aujourd'hui, leur mission comme terminée, ils espèrent l'avoir accomplie au gré de vos désirs et que vous voudrez bien leur donner votre approbation.

<< Fait à Amboise, le 13 novembre 1896. »

La lecture du rapport terminée, M. le maire, après quelques mots aimables à l'adresse des délégués, invita le Conseil à s'unir à lui pour nous remercier et envoyer à Ma le duc d'Aumale tous les remerciements de la ville d'Amboise, ce qui fut accepté à mains levées et à l'unanimité; il fut en outre décidé qu'un extrait de la délibération que le Conseil venait de prendre serait, par les soins de la Commission, adressé à Mer le duc d'Aumale avec la copie du rapport que je venais de lire ce qui eut lieu.

Nous avons eu la bonne fortune de mener à bien notre mission, et de conserver à la ville d'Amboise cette œuvre d'art de la Renaissance, qui, malgré ses mutilations, n'en reste pas moins une des plus belles sculptures de cette époque que possède notre Touraine.

« PreviousContinue »