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férés à Saint-Florentin-en-Grève où ils restèrent jusqu'en 1864.

« C'est de cette statue, Monseigneur, que la municipalité d'Amboise demande à la haute bienveillance et à la justice de Votre Altesse Royale de vouloir bien autoriser la restitution; elle croit qu'il est de son devoir de conserver à sa ville cette œuvre d'un des sculpteurs Tourangeaux de la Renaissance, elle pense, en outre, que ce serait honorer son passage à la tête de l'administration de la ville, que de reconstituer à Saint-Denis le monument si remarquable de la famille Babou et sollicite de Votre Altesse le moyen de mettre ce projet à exécution. Elle lui en aura une grande reconnaissance.

<< Pleins de confiance dans la décision qu'elle voudra bien prendre, nous avons l'honneur d'être, Monseigneur, de Votre Altesse Royale les respectueux serviteurs. »

La veille du départ, M. le maire nous informa qu'il lui était impossible de nous accompagner à Chantilly et nous donna pleins pouvoirs pour régulariser la question pendante au mieux des intérêts de la ville. Au jour dit (dimanche soir 5 juillet), messieurs Helle, Chauvin et moi nous retrouvâmes à l'hôtel à Paris et, tous ensemble, partimes pour Chantilly le lendemain matin à 10 heures 11 minutes, heure indiquée par l'invitation du Prince. Une voiture du château nous attendait à la gare et une quatrième personne, venant de Paris, prit place à côté de nous dans la voiture. Le voyage fut presque muet jusqu'au château, quelques banalités seulement furent échangées.

A notre arrivée, Mr le duc d'Aumale étant à faire sa promenade du matin, on nous conduisit à un de ses secrétaires, qui avait été chargé de nous recevoir et, en attendant le déjeuner, de nous faire commencer la visite du château. On nous fit parcourir ainsi la bibliothèque, et quelle bibliothèque! plusieurs appartements de réception et le petit salon, pur Louis XV, avec ses panneaux

décorés de chinoiseries, enfin la chapelle. Tout cela avait bien pris trois quarts d'heure, lorsqu'on vint nous dire que Son Altesse était arrivée et nous attendait à la salle à manger. Un familier du château était venu nous rejoindre, et aidait le secrétaire à nous initier aux merveilles d'art qui y sont répandues à profusion.

Nous nous rendimes donc à la grande salle à manger aux tapisseries. Là, Monseigneur s'avança vers nous, nous tendit la main et nous dit : « Vous venez pour votre statue, n'est-ce pas ? mais mettons-nous à table. »> Le déjeuner fut assez silencieux de la part des invités; le prince seul tint presque toute la conversation et nous raconta longuement sa dernière compagne d'Algérie et la prise d'Abd-el-Kader; c'était de circonstance avec des Amboisiens dont l'Einir avait habité le château à titre de prisonnier, il est vrai. -Son Altesse, qui ne se souvenait que de son ancien ennemi et de la cruelle mesure que l'Emir avait prise envers nos malheureux soldats, ses prisonniers, - obligé peut-être par les dures nécessités de la guerre, - a été sévère dans son appréciation sur le caractère d'Abd-el-Kader; cela m'a été pénible, car, à tort ou à raison, je professe pour cet enfant du désert, qui a défendu son pays jusqu'à la dernière extrémité et qui, interné en Syrie, a su rester fidèle à la parole donnée et protéger au péril de sa vie les ennemis de sa foi que massacraient ses fanatiques coreligionnaires, je professe, dis-je, pour lui une espèce de culte, je ne puis m'empêcher de le considérer comme une des figures les plus chevaleresques de notre siècle et de penser que vainqueur et vaincu étaient dignes l'un de l'autre.

Le déjeuner terminé, on passa dans la grande galerie où le café était servi. A partir de ce moment, la glace s'est fondue et c'est alors que Son Altesse, auprès de laquelle j'étais, aborda la question de la statue et me demanda des explications. J'avoue que jusque-là j'avais craint de ne pouvoir placer ma requête, je saisis donc

l'occasion et, après quelques minutes de conversation, je sollicitai de Monseigneur la permission de la lui lire. Cette lecture terminée, M. Ravaisson-Mollien, sans le vouloir, sans doute, me tendit une perche secourable en me demandant s'il n'y avait pas une légende sur la Femme noyée? En effet, répondis-je, et, sur l'invitation qui m'en fut faite, je lus les premières pages de la brochure que j'avais écrite à ce sujet. Madame de Clinchamps qui, jusque-là, avait été assez silencieuse, ayant bien voulu trouver cette légende intéressante, Monseigneur et elle me prièrent d'achever ma lecture, ce que je m'empressai de faire; c'était tout notre plaidoyer.

Quand j'eus terminé, Son Altesse me pria de lui remettre la brochure ainsi que notre requête, j'y joignis les deux photographies du Christ au tombeau et de la Femme noyée; puis la statue et les faits que je venais de lire devinrent l'objet d'une conversation générale, au cours de laquelle le prince s'exprima ainsi au sujet de M. Rabion qui avait cru devoir répudier ce beau marbre «Il a été bien mal..... votre ancien curé, car cette statue serait à vous sans conteste et vous n'auriez pas la peine de me la demander aujourd'hui. » Et il ajouta « Messieurs, je comprends votre demande et le désir que vous avez de compléter le tombeau des Babou de la Bourdaisière; j'ignorais l'existence de cette statue lorsque nous avons acheté le château; mais, d'un autre côté, en nous rendant nos biens avec tout ce qu'ils contenaient, en compensation de ce qui nous avait appartenu et ne s'y trouvait plus, je crois que les décrets de 1872 ont dû comprendre cette statue en faveur de laquelle aucune réserve n'a été faite et qu'elle nous appartient. Si j'étais l'unique propriétaire du château, je serais disposé à vous en faire de suite l'abandon, mais je ne suis pas seul, je consulterai mes conseils; je ne vous dis donc ni oui ni non; je vous répondrai. »

Cela dit, il se leva, et, avec une complaisance, une bienveillance dont nous ne saurions trop lui être recon

naissants, il nous guida au milieu de ses collections, nous faisant remarquer ce qui pouvait nous intéresser le plus, nous Tourangeaux, entre autres, un dessin du XVIe siècle, portrait de Jean Babou, puis, sans rien dire, nous conduisit dans une salle intérieure, éclairée par en haut, sorte de sanctuaire où il n'y avait, accrochés aux murs, sur une seule ligne, à hauteur de l'œil, qu'une série de miniatures format in-8 et, aux deux extrémités de la ligne, deux peintures de dimensions moyennes.

En entrant dans cette salle, j'eus une exclamation peut-être trop familière, mais partie du cœur : « Ah ! les Jehan Fouquet ». Le prince, alors, se retournant vers moi « Je savais bien, dit-il, que j'allais vous intéresser. Et, avec une bonté extrême, pendant un quart d'heure, il m'a promené de l'une à l'autre des miniatures, me faisant remarquer les beautés et les sujets de chacune d'elles; arrivé à la fin : « Quant à ces deux tableaux, ajouta-t-il, ce sont deux Raphaël, ils sont beaux, n'est-ce pas? Et ce fut tout pour eux. Avec une délicatesse infinie, ce vieillard, ce grand de ce monde passait, paraissant presque indifférent devant ces deux tableaux, deux chefs-d'œuvre, deux des merveilles qu'il possède, pour nous vanter surtout le mérite de ces miniatures d'un enfant de la Touraine, à nous qui venions le solliciter de nous rendre l'œuvre d'un autre artiste de notre pays. Quant un homme a éprouvé toutes les tortures du cœur qu'a subies Monseigneur le duc d'Aumale, il devient très mauvais ou très bienveillant; il est devenu très bon.

L'heure du départ était arrivée. Son Altesse a bien voulu nous rappeler que si nous tardions nous serions exposés à manquer le train; nous avons pris congé et la même voiture qui nous avait amenés au château nous reconduisit à la gare, ainsi que M. Ravaisson-Mollien. Tous les quatre nous sommes repartis pour Paris et, chemin faisant, nous avons continué de faire valoir

auprès de M. le conservateur-adjoint du Louvre ce que nous croyions être nos droits. C'est seulement à ce moment que nous apprimes quel était notre compagnon de voyage je le priai de plaider en faveur de notre cause. Il voulut bien nous approuver dans notre revendication et dans notre projet de compléter le Tombeau, et fut assez aimable pour me promettre d'intercéder pour nous. Je me figure qu'il n'était point là par hasard, car il n'a cu aucun entretien particulier avec qui que ce soit, ne nous a pas quittés; je pense qu'il ne sera pas étranger à la décision qui sera prise par le Prince.

Il ne nous restait qu'à attendre et à espérer une réponse favorable; elle n'a pas été longue à venir. Le 15 juillet, le courrier apportait, en effet, adressée à M. Chauvin, l'un de nous, une lettre du Prince, à laquelle était jointe la copie de celle que M. le maire recevait le même jour. Voici ces deux pièces :

<< Chantilly, 13 juillet 1896.

« Monsieur, Très touché des sentiments que vous et vos honorables collègues, messieurs Helle et Gabeau, m'avez exprimés, tant dans votre entretien du 6 juillet que dans votre lettre du 9, je m'empresse de vous communiquer la réponse que je viens d'adresser à monsieur le maire d'Amboise.

<< Croyez à mes meilleurs sentiments.

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Soyez mon interprète auprès de vos collègues. « Signé : H. d'O. »

<< Chantilly, 13 juillet 1896.

<< Monsieur le Maire, Dans la lettre que messieurs les membres de la Commission du Conseil municipal m'ont remise, le 6 juillet, à Chantilly, vous exposez que la statue, connue sous le nom de la Femme noyée, laquelle se

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