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Le Créateur ayant fait l'homme perfectible, celui-ci, au fur et à mesure de son développement intellectuel, façonna ses œuvres avec plus de soin, leur donna une forme élégante et exécuta des gravures, des sculptures sur pierre, sur os et sur ivoire. On en retrouve de beaux fragments en Dordogne, à la Madeleine, aux Eyzies, à la Laugerie-Basse, et dans nombre d'autres stations de la France, de la Belgique et de la Suisse. Pour ce travail délicat, les artistes primitifs devaient avoir sous la main deux outils : le grattoir et le burin. Or l'atelier préhistorique de Touraine nous a fourni, outre des grattoirs et des burins séparés, des grattoirsburins, pièces qui portent, à la fois, un grattoir à une extrémité, et un burin, à l'autre. Lorsque l'artiste utilisait des os longs de mammifères, des fémurs, des tibias, des cubitus, des radius, pour faire des bâtons de commandement et des manches d'armes, puis lorsqu'il ornait ses ouvrages de dessins, le grattoir concave et le burin lui étaient nécessaires. Il lui fallait en outre le grattoir convexe pour pratiquer l'ouverture où il fixait solidement la hache.

Je suis heureux de pouvoir rappeler que j'ai rencontré, dans l'atelier du Grand-Pressigny, des pièces répondant à la fois à ces trois besoins: grattoir convexe, grattoir concave et burin. Le burin de cet outil forme un bec d'oiseau. Soit que cet instrument porte des retouches sur le pourtour de tous ses bords, ou sur une partie seulement, c'est un genre intéressant que le savant archéologue, M. Salmon, a signalé à l'époque magdalénienne et qu'il appelle le bec de perroquet. Cet outil est tellement rare que l'infatigable chercheur, M. le docteur Capitan, l'un des professeurs les plus distingués de l'Ecole d'Anthropologie de Paris, à qui j'ai montré ces échantillons, n'a trouvé qu'un seul exemplaire en Dordogne qui puisse en ètre nettement rapproché parmi les nombreuses séries de sa collection.

Il est à présumer qu'il en existe dans d'autres sta

tions, et nous tenons à faire connaître sa forme si particulière pour attirer l'attention des collectionneurs. Dans les quatre spécimens que j'ai trouvés sur les plateaux des environs de Chaumussay, et qui suffisent pour constituer un type, la partie utilisable de l'instrument, le bec, se trouve, sur deux, à l'extrémité droite du grattoir, et sur les deux autres, à l'extrémité gauche, ainsi que le représentent les dessins ci-dessous 1:

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Sur l'un (fig. 1) on constate, sur le pourtour, une taille soigneuse qui a ménagé un véritable bec à la partie droite; sur l'autre (fig. 2), c'est sur la partie gauche du grattoir que, par un seul coup donné à la base de l'instrument, un long éclat a été enlevé, formant ainsi un burin, latéralement au grattoir. Le nom de grattoir-bec convient donc à cet instrument pour déterminer la différence qui le distingue du grattoirburin.

Cette simple étude sur l'évolution du grattoir au sein de l'atelier préhistorique de Touraine nous permet de constater, une fois de plus, que les besoins matériels, la lutte continuelle pour l'existence et le sentiment du

Ces clichés sont tirés du Bulletin de la Société d'Anthropologie qui nous les a gracieusement procurés.

beau, ont provoqué la marche ascendante de nos aïeux. dans la voie du progrès industriel et artistique.

Abbé BRUNG,

Curé à Chaumussay.

REMARQUES

SUR QUELQUES MONNAIES ARMORICAINES

Dans une précédente étude 1, nous avons parlé du feu considéré comme facteur cosmique, ou, ce qui revient au même, comme artisan du monde. Dans celle-ci nous chercherons à approfondir cette doctrine qui, nous le pensons, devra nous donner la clef de certains symboles propres à la numismatique armoricaine.

1

Chez les peuples primitifs de race Japhétique, le feu était considéré comme une puissance divine et adoré comme une Divinité. Ce qui frappait surtout leur imagination, dit Bergmann, à la vue du feu brûlant, c'est qu'il semble affecter de s'élever en pointe et de présenter comme des dards mordants ou piquants. Aussi lui donnait-on les noms de Mordant et de Dévorant, parce qu'il consumait les objets qu'il atteignait. On l'appelait encore le Purifiant, parce qu'il semblait être avant tout l'élément pur qui ne souffre aucune souillure. Le ciel passait pour être le générateur primitif du feu, et le feu céleste se montrait surtout dans le Soleil et dans la Foudre. Quant au feu terrestre, on y voyait une parcelle détachée du feu céleste, du soleil ou de la foudre; aussi, dans toutes les mythologies, ce feu a-t-il toujours été mis en rapport soit avec le soleil-dieu, soit avec celui de la foudre, soit avec l'un et l'autre.

Bulletin de la Société archéologique de Touraine du 4o trimestre de 1896.

Sans parler de l'Égypte, où l'élément igné apparaît comme le générateur universel, le soleil fécondant la terre et les eaux, le feu matériel se distinguait chez les Perses du feu élémentaire ou primitif, dont il n'était qu'une simple image et duquel il provient. Dans leur doctrine religieuse, le feu primitif est le lien qui unit Ormuzd avec la durée illimitée (l'Éternel) et la semence dont ce Dieu a créé tous les êtres. C'est lui qui suscite tout ce qu'il y a de grand et de beau en ce monde. Toutes les productions de la nature sont le fruit de l'union de l'eau et du feu celui-ci est mâle, celle-là est femelle, et des deux naquit la lumière. Aussi le feu matériel brûlait-il partout dans les maisons comme sur les montagnes en l'honneur du feu primitif, émanation. d'Ormuzd et son symbole. Comme on le voit, le sens supérieur de ce culte du feu était strictement symbolique ce n'était pas, dit Creuzer, le feu matériel que l'on adorait, mais son principe, le feu immatériel, intellectuel, primitif, Ormuzd lui-même, dans son énergie divine.

Chez les Scythes, le feu se personnifiait en une déesse du nom de Taviti, laquelle se confondait avec l'Hestia des Hellènes, la Vesta des Romains, dont le culte. était originaire de la Perse; et en effet qu'était Hestia ou Vesta dans la philosophie mystique, sinon le foyer du monde, le feu central de la terre et du ciel? C'est pour cette raison que nous voyons Cyrus rapprocher dans sa prière un autel du feu personnifié, un foyer divin, une Hestia du Jupiter de sa patrie. Ceci nous explique la présence, sur une monnaie des Namnètes dont nous avons essayé l'interprétation, d'un objet ayant toutes les apparences d'un autel posé devant ce petit personnage armé du marteau symbolique dans lequel nous avons cru reconnaître un dieu du feu, un Demiurge, et probablement encore du même objet sur une médaille des Redons où il apparaît allumé. Nous avons dit «< probablement » parce que, au rapport de M. H. de la Tour,

ce symbole n'est pas suffisamment distinct pour qu'il soit possible de le déterminer d'une manière définitive. En tout cas, ceci tiendrait à confirmer ce qu'ont avencé certains historiens, à savoir que les Kimris, comme les Perses et maints autres peuples, devaient être eux aussi des adorateurs du feu. Ce qu'il faut remarquer, c'est que sur le statère Redon, cet autel est accompagné d'une roue, emblème du soleil or nous venons de voir que dans presque tous les systèmes religieux de l'antiquité le feu terrestre, pris comme objet ou comme divinité, était en rapport constant avec le grand astre.

Dans les idées cosmogoniques des Gètes, des Germains et des Scandinaves, le feu est également l'être primitif de la création, d'où, chez ce dernier peuple, la locution proverbiale de « plus ancien que le feu ». Elles nous le montrent comme étant le principe de toutes choses en effet, c'est du monde igné, c'est-à-dire du monde primitif que sont sortis les germes de la vie, producteurs des différents êtres de la création. Il est le principe de tout ce qui existe, il en sera le destructeur à la fin du monde. Ce dernier trait est d'autant plus remarquable qu'il se retrouve exactement le même dans les croyances des Indous et des Perses relatives à la ruine de l'univers. Enfin, chez les vieux Irlandais, le premier anneau de la chaîne divine était, au rapport d'A. Pictet, OEsar, c'est-à-dire le feu intelligible, le feu idéal, le feu principe. De plus, et à côté d'OEsar, le feu mâle, ils reconnaissaient le feu femelle Edh, le soleil et la lune, Mithras et Mitra, doctrine purement Perse, comme d'ailleurs celle du dieu Dagh-Dae, nom qui rappelle si bien les Dag-Dag de l'Iran, de la Cappadoce, et le Deus maximus des Irlandais. Or, ce dieu est le distributeur de la chaleur vitale, la source de la fécondité et de la prospérité il est le Dieu des éléments et de la génération; le Dieu fort sage et bon, toutes qualifications qui sont également appliquées au soleil, centre et foyer principal du feu. En effet, Dagh-Dae, identifié à

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