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une grande indolence sur cet article, comme sur tout le reste, se laissant guider par une simple lumière, qui ne lui découvrait que la loi naturelle. Il n'était ni incrédule ni impie, et jamais il ne chercha dans des paradoxes philosophiques, des principes suspects pour justifier son irréligion ou son indifférence. Le Père Pouget réussit à le convaincre des preuves du christianisme. Il fit une confession générale de toute sa vie; et prêt à recevoir le viatique, il détesta la source de sa gloire et de son immortalité, et demanda pardon à Dieu, en présence de messieurs de l'académie française, qu'il avait priés de se rendre chez lui par députés, protestant que s'il recouvrait la santé, il n'emploîrait son talent qu'à écrire sur des matières de morale ou de piété.

Il vécut encore deux ans après sa conversion, et entreprit de traduire les hymnes de l'église. Mais il n'alla pas loin; et quand même le cours de sa vie eût été prolongé, il est probable qu'il n'y aurait pas beaucoup réussi. Outre la difficulté d'exceller en ce genre, son feu poétique était éteint par l'âge, par le régime, et plus encore par la vie austère et pénitente qu'il s'était imposée à luimême. Si, dans la vigueur de son âge et de son génie, il s'était appliqué aux choses sacrées, il s'y serait sans doute distingué, comme notre illustre Rousseau, qui n'a pas attendu ses dernières années pour chanter les louanges divines. La Fontaine mourut à Paris, rue Plâtrière, le

13 de mars 1695, âgé de soixante-quatorze ans. Il a été enterré dans le cimetière de Saint-Joseph, à l'endroit même où son ami Molière avait été inhumé vingt-deux ans auparavant. On le trouva couvert d'un cilice lorsqu'on le déshabilla; ce qui a fait dire à l'illustre fils du grand Racine :

La Fontaine en gémit: à ses remords rebelle,

Sa main sert malgré lui sa plume criminelle.
Vrai dans tous ses écrits, vrai dans tous ses discours,
Vrai dans sa pénitence à la fin de ses jours,

Du maître qui s'approche il prévient la justice,
Et l'auteur de Joconde est armé d'un cilice.

Il me reste à caractériser le style de La Fontaine, et à dire un mot de ses compositions. Jamais homme n'écrivit avec plus de grâce, plus de douceur, plus de naturel, plus de finesse, et plus de facilité. C'est véritablement le poëte de la nature. Vous ne sentez nulle part le travail ni la gêne : il voyait éclore sous sa main ces fleurs qui coûtaient des veilles aux Boileaux et aux Racines. La Fontaine, plongé dans les douceurs d'un tranquille délire, n'éprouva certainement jamais ni fureur, ni transports, ni fougueux enthousiasme. On dirait que ses Fables sont tombées de sa plume. Il a surpassé l'ingénieux inventeur de l'apologue et son admirable copiste. Aussi élégant, aussi naturel, moins pur à la vérité, mais aussi moins froid et moins nu que Phèdre, il a attrapé le point de perfection dans ce genre;

et ceux qui ont couru la même carrière, quoique avec beaucoup de mérite, sont restés bien loin derrière lui. Ses Contes sont un parfait modèle du style historique dans le genre familier. Quelle exactitude! quelle aisance ! quelle vivacité dans la narration! On est cependant obligé de dire qu'il ne met pas toujours la dernière main à un ouvrage, qu'il est quelquefois négligé, et qu'il se trouve dans cet excellent auteur des vices de construction et quelques défauts de langage. Il faut que ceux qui le lisent sachent discerner ces petites fautes et ne les prennent pas pour des autorités. Mais sa poésie serait peutêtre moins admirable, si elle était plus travaillée, et cette molle négligence décèle le grand maître et l'écrivain original. C'est le caractère des esprits faciles d'être aussi peu châtiés et comme indépendants des règles, à l'exemple de plusieurs grands peintres, dont nous n'avons aucun tableau où il n'y ait quelque petite partie négligée. Chapelle et Chaulieu ne sont pas, sur la langue, plus exacts et plus scrupuleux que La Fontaine. Peut-être aussi que si ce dernier n'avait pas essayé trop de genres différents, il aurait mis plus de correction dans ses écrits: c'est lui-même qui nous le dit; et voici comme il peint

son inconstance :

Je m'avoue, il est vrai, s'il faut parler ainsi,
Papillon du Parnasse et semblable aux abeilles,
A qui le bon Platon compare nos merveilles.

Je suis chose légère, et vole a tout sujet;
Je vais de fleur en fleur et d'objet en objet.

A beaucoup de plaisir je mêle un peu de gloire.
J'irais plus haut peut-être au temple de mémoire,
Si dans un genre seul j'avais usé mes jours;

Mais quoi? je suis volage en vers comme en amours.

Madame de Sévigné était fort courroucée de cette légèreté de La Fontaine. « Je voudrais, dit-elle dans » une de ses lettres, faire une fable qui lui fît entendre >> combien cela est misérable de forcer son esprit à sortir » de son genre, et combien la folie de vouloir chanter » sur tous les tons fait une mauvaise musique. » Quelle vivacité cette dame n'eût-elle donc pas montrée, si, de son temps, il y avait eu un poëte assez téméraire pour essayer, non-seulement tous les genres de poésie, mais tous les genres de littérature! La Fontaine du moins n'a écrit ni sur la physique, ni sur l'histoire. Son ambition se bornait à exceller dans son art, se mettant peu en peine de tous les progrès qu'on pouvait faire dans les

autres.

Le fils que La Fontaine avait eu de Marie Héricard, en 1660, est mort en 1722, et a laissé un fils et trois filles. La famille jouissait d'un privilège bien honorable pour la mémoire du poëte et pour celle du magistrat qui l'accorda. La femme de La Fontaine ayant été inquiétée après la mort de son mari, pour le paiement de quelques charges

b

xiv

VIE DE LA FONTAINE.

publiques, M. d'Armenonville, alors intendant de Soissons, écrivit à son subdélégué qu'il voulait que la famille de La Fontaine fût exempte à l'avenir de toute taxe et de toute imposition. Tous les intendants de Soissons se sont fait depuis un honneur de confirmer cette grâce.

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