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DE

LA FONTAINE.

Cette courte vie de La Fontaine sera dégagée des contes populaires, sinon faux, du moins insipides, et même indécents, dont l'histoire des hommes célèbres n'est que trop souvent défigurée. Ne peut-on pas les caractériser, sans entrer dans des détails puérils, qui déshonorent également et le pinceau et le portrait? On ne dira donc ici de la personne de La Fontaine, que ce qu'on a cru vrai et digne d'être rapporté. L'éloge singulier, ou plutôt la satire en forme d'éloge, qu'on en trouve dans la continuation de l'Histoire de l'académie française, par M. l'abbé d'Olivet, n'est ni l'unique, ni même la principale source où l'on a puisé ce qu'on en va lire. On s'est plutôt fié à un mémoire fourni par le petit -fils de La Fontaine même, où l'on a trouvé des particularités qui ne se rencontrent point ailleurs, et qui font moins de

a

tort à l'esprit et au bon sens de ce poëte respectable, que certains petits faits qu'on a inconsidérément racontés.

Jean de La Fontaine naquit à Château-Thierry, le 8 juillet 1621 (c'est-à-dire un an après Molière), de Jean de La Fontaine, maître des eaux et forêts; et de Françoise Pidoux, fille du bailli de Coulommiers. On croit qu'il fit ses premières études à Reims, ville qu'il a toujours extrêmement chérie. A l'âge de dix-neuf ans, il entra chez les Pères de l'Oratoire, qu'il quitta dix-huit mois après. Cette congrégation, rivale d'une société fé¬ conde de gens d'esprit et de goût, a été l'école de plusieurs écrivains célèbres, et elle a donné, comme l'autre, des membres à l'académie française.

La Fontaine ignorait encore à vingt-deux ans ses talents singuliers pour la poésie, lorsqu'on lut devant lui une ode de Malherbe. Il l'écouta avec une surprise et une admiration égale à celle d'un homme qui a l'imagination frappée d'un objet confus, qu'il cherche sans le connaître s'il vient par hasard à le rencontrer, ses regards le dévorent, et son esprit satisfait le saisit avec transport. Telle fut l'impression que fit sur La Fontaine la lecture de cette ode. Son goût se déclara, et son génie se développa aussitôt. Il se reconnut en quelque sorte dans l'enthousiasme lyrique dont les vers qu'il venait d'entendre étaient animés; et le feu poétique qu'il renfermait en lui-même sembla s'allumer à celui de

Malherbe. Il se mit à lire ce poëte, à le méditer, à l'apprendre par cœur, à le déclamer, et enfin à l'imiter. Il confia les premiers essais de sa plume à un de ses parents, nommé Pintrel, procureur du roi au présidial de Château-Thierry. Celui-ci applaudit aux productions naissantes du jeune poëte; il l'encouragea, et lui fit lire les meilleurs auteurs latins, Horace, Virgile, Térence, et Quintilien. Ce Pintrel fut donc, par rapport à La Fontaine, ce que le grand-père de Molière avait été à l'égard de cet illustre auteur: car tout le monde sait que c'est au goût de l'aïeul pour la comédie, que nous devons les charmantes pièces du petit-fils.

Nourri de la lecture des auteurs latins, La Fontaine passa à celle des auteurs français et italiens. Il fit ses délices de Rabelais, de Marot, et de d'Urfé. Le premier le divertissait par son burlesque enjouement. Il choisit le second pour son modèle en fait de style, comme celui qui avait attrapé le vrai tour naïf. Il tirait de l'Astrée de d'Urfé ces images champêtres qui lui sont si familières. L'Arioste et Boccace, oùil a puisé la matière de bien des contes, étaient encore au nombre de ses auteurs favoris; et, ce qu'on ne croira peut-être pas, c'est que Platon et Plutarque faisaient un des principaux ornements de sa bibliothèque. Ils lui fournissaient ces belles maximes de morale et de politique qu'il a semées dans ses fables. Car, à l'exemple des grands maîtres, il n'y avait point

de livre qu'il ne mit à profit: semblable à l'abeille qui tire du suc de toutes les fleurs, et bien différent de ces poètes paresseux et ignorants, qui, nés avec un heureux génie, sont médiocres et stériles par leur propre faute. L'esprit le plus fécond s'épuise bientôt, s'il n'est soutenu par la lecture réfléchie des bons écrivains.

Quoique toutes sortes de liens fussent contraires au goût de La Fontaine, et que le mariage en particulier dût lui paraître un engagement bien pénible, il s'y détermina

par complaisance pour ses parents; il se laissa marier. On lui fit épouser Marie Héricard, fille d'un lieutenant-général de la Ferté-Milon, patrie du grand Racine, dont il fut toujours l'ami. Sa femme avait de la beauté, et un esprit supérieur qui la rendait estimable aux yeux même de son mari. Il ne composait aucun ouvrage qu'il ne la consultât. Cependant son goût pour la capitale du royaume, et son éloignement pour tout ce qui sentait la gêne, ne lui permirent pas de vivre long-temps en ménage. La fameuse duchesse de Bouillon, nièce du cardinal Mazarin, ayant été exilée à Château – Thierry voulut connaître La Fontaine. On le lui présenta, et il en fut goûté. Comme elle avait l'esprit badin et enjoué, elle l'engagea à composer des pièces dans le genre qui la flattait le plus. Telle fut, dit-on, l'origine des Contes. Rappelée à Paris, elle y amena La Fontaine, qui trouva dans cette ville un de ses parents, nommé Jannart, sub

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