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généraux battus. Ces généraux furent soudain remplacés par deux hommes qui se sont immortalisés dans nos fastes militaires. Hoche et Pichegru, tous deux pleins d'ardeur, de génie et de courage, parurent à la tête des légions, et l'attention générale se porta sur eux.

De grands et sublimes travaux l'appelaient pourtant sur divers autres points. Dugommier, qui commandait alors dans les Pyrénées, écrasait à Gilette et à Utelle des forces quatre fois plus nombreuses que les siennes. Jourdan, partageant son armée, remportait d'éclatans avantages sous les murs de Guise, et faisait exécuter par le général Souham une habile diversion dans la Flandre pour rétablir, sous les yeux même de l'ennemi, d'importantes communications. Tout enfin secondait à-la-fois l'ardeur et l'impatience nationales, lorsque, fier de ses succès rapides et furieux encore des revers qui les avaient précédés, le comité de Salut-public chargea le vainqueur de Wattignies d'aller reconquérir les provinces perdues par le vaincu de Nerwinde. Mais le même ordre portant qu'en cas d'échec il fau

drait incendier ces provinces, Jourdan répondit fièrement à ceux qui le lui intimaient, qu'un général républicain ne pouvait s'ériger en lâche incendiaire. Ce trait de grandeur et d'audace lui valut le sort de Cincinnatus. Ouvertement disgracié, le héros fut attendre, en traçant un sillon, que son ingrate patrie vînt réclamer de nouveau le secours de son bras.

C'était alors le temps des actions héroïques. Sur tous les points où la guerre étendait ses ravages, des traits sublimes abondaient, comme pour sécher les pleurs de l'humanité. Dans le comté de Nice, Masséna, secondant l'ardeur de ses compagnons, portait son artillerie à bras sur les crêtes perdues des rochers de Castel-Genest. A Haguenau, le bataillon de l'Indre auquel Pichegru avait alloué 1,200 francs pour s'être distingué dans le combat, y ajoutait 642 francs pour en secourir les veuves et les enfans de ceux qui venaient de perdre la vie; à Bitche, dans une surprise nocturne, un habitant voyant que l'obscurité trompait les efforts de nos soldats, mit le feu à sa propre maison pour éclairer le champ

de bataille. Qu'un homme né dans la pourpre dévaste ses états pour affamer son ennemi, cet homme, quoi qu'il en arrive, ne hasarde ou ne compromet qu'une existence totalement étrangère à la sienne; mais qu'un simple citoyen, qui ne possède au monde d'autre bien que la chaumière de ses pères, la sacrifie par patriotisme, et s'expose aux ressentimens des vainqueurs si le ⚫parti qu'il seconde est vaincu, il y a là plus qu'il

ne fallait dans les anciennes républiques pour obtenir des statues ou être solennellement couronné.

Un grand malheur était arrivé depuis peu de mois sur les côtes de la Méditerranée; Toulon venait d'être livré aux Anglais par l'amiral Trogoff; et la nécessité de reconquérir cette ville amena de nouveau l'effusion du sang humain. Ce fut Dugommier qui se chargea de cette grande opération (27 août 1793). Il l'accomplit au milieu des horreurs dont l'ennemi vaincu signala sa fuite; mais ce ne fut pas ce que cette partie de notre histoire offrit de plus important. Un jeune capitaine d'artillerie se montre pour la

première fois, et tous les yeux jusqu'alors fixés sur nos grands ressorts politiques, semblent, en se portant sur lui, deviner qu'il doit un jour les éblouir de son éclat : cet officier était le capitaine Bonaparte. A peine tiré de la pépinière des héros, il montre l'ardeur d'Achille et l'expérience de Nestor.

Si des traîtres (car il s'en trouve par-tout) nous trahissaient dans les Pyrénées pour livrer aux Espagnols les places de Saint-Elme, de PortVendre et de Collioure, Hoche, que l'ineptie des Conventionnels avait frappé d'un revers près de Keiserlautern, réparait brillamment, sur les hauteurs de Freschweiler et de Werdt, ce que la guerre avait eu jusqu'alors de désastreux pour nous. Ses soldats se mutinant pour obtenir des quartiers d'hiver, il mit à l'ordre de l'armée que les rebelles n'auraient pas l'honneur de marcher au premier combat; et le repentir qu'enfanta cette menace porta les républicains jusque sous les murs de Landau. Wurmser y tenait Gilot dans la plus horrible misère. A l'instant le jeune général français dispose ses bataillons, les haran

gue, donne le signal, et le fier Autrichien est forcé de nous rendre, avec le fort Vauban, les places de Gémersheim, de Spire et de Lauterbourg. C'est là que finit la campagne de 1793.

Celle de 1794 s'ouvrit sous des auspices plus heureux. Carnot, que la volonté nationale venait de mettre à la tête de l'administration de l'armée, avait fait succéder l'ordre aux abus et la discipline à la licence. Le 5 février ramena sur les frontières d'Espagne les combats et la victoire. Les noms de Frégeville et de Lespinasse s'y firent admirer des véritables Français, et le camp des Sans-Culottes fut immortalisé par les sentimens généreux que ces deux chefs y firent éclater(1).

(1) Obligé de s'absenter, le général Frégeville avait remis le commandement au général Lespinasse. L'ennemi parut, et succomba. Il fuyait lorsque Frégeville revint. Modeste autant qu'intrépide, le vainqueur voulut rendre le commandement au chef qui le lui avait confié: Tu en as trop bien usé, lui répondit Frégeville; achève ton ouvrage, et que la patrie te doive cette belle journée tout entière.

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