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« est particulier, prend tout le contraire, savoir est, la fosse d'où « l'on a tiré et rejeté le sable, les pierres et tout ce qui s'est ren«contré dedans, non-seulement pour une chose ferme, mais « même pour une chose si ferme que l'on peut y fonder et bâtir « une chapelle très-solide, et s'y appuie de telle sorte que si « vous lui ôtez ce soutien il donnera du nez en terre. »

Où ce pauvre maçon ne se trompe pas moins que notre auteur, lorsque ne se ressouvenant plus de ces mots qu'il avait dits un peu auparavant, savoir est : « Vous ne l'assurerez ni ne le << nierez, » etc.

80 Il répondait : « Cet art pèche par imprudence; car, ne pre«nant pas garde que l'instabilité de la terre est comme un « glaive à deux tranchants, pensant éviter l'un, il se voit blessé « par l'autre. Le sable n'est pas pour lui un sol assez ferme et « stable, car il le rejette, et se sert de son opposé, savoir, de la « fosse d'où on l'a rejeté; et, s'appuyant un peu trop impru << demment sur cette fosse comme sur quelque chose de ferme, « il se trouve accablé. »

Où derechef il ne faut que se ressouvenir de ces mots : « Vous << ne l'assurerez ni ne le nierez. » Et ce qui est dit ici d'un glaive à deux tranchants est plus digne de la sagesse de ce maçon que de celle de notre auteur.

9° Il répondait : « Cet art et cet architecte pèchent avec con« naissance. Car, le sachant et le voulant, et après en être averti, << il s'aveugle lui-même; et, rejetant volontairement toutes les « choses qui sont nécessaires pour bâtir, il se laisse tromper « soi-même par sa propre règle, en faisant non-seulement ce «< qu'il prétend, mais aussi ce qu'il ne prétend point et qu'il << appréhende le plus. >>

Or, comme ce qui est dit ici de cet architecte est suffisamment convaincu de faux par la seule inspection de la chapelle qu'il a bâtie, de même les choses que j'ai démontrées prouvent assez que ce que l'on a dit de moi en pareille occasion est aussi peu véritable.

10° Il répondait : « Il pèche par commission, lorsque, contre « ce qu'il avait expressément et solennellement défendu, il re« tourne aux choses anciennes et s'en sert, et que, contre les <«<lois qu'il avait observées en creusant, il reprend ce qu'il avait « rejeté. Vous vous en souvenez bien. »

De même notre auteur ne se ressouvient pas de ces paroles;

« Vous ne l'assurerez ni ne le nierez, » etc.; car autrement comment oserait-il dire ici qu'une chose a été solennellement défendue qu'un peu auparavant il a dit qu'il ne fallait pas même nier?

11° Il répondait : « Il pèche par omission; car, après avoir << établi pour un de ses principaux fondements qu'il faut très<< soigneusement prendre garde de ne rien admettre pour vrai « que nous ne puissions prouver être tel, il s'en oublie souvent, << admettant inconsidérément pour vrai et pour très-certain tout « ceci sans le prouver. La terre sablonneuse n'est pas assez « ferme pour soutenir des édifices, et plusieurs autres sembla«bles maximes. >>

En quoi ce maçon ne se trompait pas moins que notre auteur; celui-là appliquant au fossoiement, et celui-ci à l'abdication des doutes, ce qui n'appartient proprement qu'à la construction tant des bâtiments que de la philosophie: car il est très-certain qu'il ne faut rien admettre pour vrai que nous ne puissions prouver être tel quand il s'agit d'assurer ou d'établir ce qui est vrai; mais quand il est seulement question de creuser ou de rejeter, le moindre soupçon d'instabilité ou de doute suffit pour cela.

12. Il répondait: « Cet art pèche en ce qu'il n'a rien de bon, << ou rien de nouveau, et qu'il a beaucoup de superflu. Car, 1o, si « par le rebut et le rejet qu'il fait du sable il entend seulement « ce fossoiement dont se servent tous les autres architectes, qui << ne rejettent le sable qu'en tant qu'il n'est pas assez ferme pour « soutenir le faix d'un grand édifice, il dira quelque chose de << bon, mais il ne dira rien de nouveau; et cette façon de creu« ser ne sera pas nouvelle, mais très-ancienne et commune à << tous les architectes, sans en excepter un seul. 2o Si, par cette « façon de creuser, il veut qu'on rejette tellement le sable qu'on « l'enlève tout à fait, qu'on n'en retienne rien et qu'on se serve « de son néant, c'est-à-dire de la vacuité du lieu qu'il remplis<«< sait auparavant, comme d'une chose ferme et solide, il dira « quelque chose de nouveau, mais il ne dira rien de bon; et « cette façon de creuser sera à la vérité nouvelle, mais elle ne << sera pas légitime. 3° S'il dit que, par la force et le poids de « ses raisons, il prouve certainement et évidemment qu'il est « expérimenté dans l'architecture, et qu'il l'exerce, et que «< néanmoins, en tant que tel, il n'est ni architecte, ni maçon, « ni manœuvre, mais qu'il est d'une condition tellement diffe

<< rente ou séparée de la leur qu'on peut concevoir quel il est « sans qu'on ait connaissance des autres, de même que l'on peut « concevoir l'animal ou une chose qui sent sans que l'on con«çoive encore celle qui hennit, ou qui rugit, etc.; il dira quel« que chose de bon, mais il ne dira rien de nouveau, puisque « l'on ne chante autre chose partout dans les carrefours, et que « cela est enseigné par autant d'hommes qu'il y en a qui sont << tant soit peu versés dans l'architecture, ou même (posé que «l'architecture embrasse aussi la construction des murs, en « sorte que ceux-là soient dits être versés dans l'architecture « qui mêlent le sable avec la chaux, qui taillent les pierres, ou « qui portent le mortier) par autant d'hommes qu'il y en a qui « croient que ce que je viens de dire est le métier des artisans <«<et des manœuvres, c'est-à-dire, en un mot, par tous les hom«mes. 4° S'il dit avoir prouvé, par de bonnes raisons et mure«ment considérées, qu'il existe véritablement, et qu'il est versé « dans l'art de l'architecture, et que, pendant qu'il existe, il ne << s'ensuit pas pour cela qu'il y ait ni architecte, ni maçon, ni <«< manœuvre qui existe véritablement, il dira quelque chose de <«<nouveau, mais il ne dira rien de bon; ni plus ni moins que « s'il disait qu'un animal existe, et qu'il n'y a pourtant ni lion, « ni renard, ni aucun autre animal qui existe. 5° S'il dit qu'il « bâtit, c'est-à-dire qu'il se sert de l'art d'architecture dans la <«< construction de ses bâtiments, et qu'il bâtit de telle sorte que, << par une action réfléchie, il envisage et considère ce qu'il fait, « et qu'ainsi il sache et voie qu'il bâtit (ce qui proprement s'ap« pelle avoir connaissance, s'apercevoir de ce que l'on fait), et « s'il dit que cela est le propre de l'architecture, ou de cet art « de bâtir qui est au-dessus de l'expérience des maçons et des << manœuvres, et partant qu'il est véritablement architecte ; il « dira ce qu'il n'a point encore dit, ce qu'il devait dire, ce que « je m'attendais qu'il dirait, et ce que je lui ai même voulu « souvent suggérer lorsque je l'ai vu s'efforçant en vain pour « nous dire ce qu'il était; il dira, dis-je, quelque chose de bon, « mais il ne dira rien de nouveau, n'y ayant personne qui ne <«<l'ait autrefois appris de ses précepteurs, et ceux-ci de leurs << maîtres jusques à Adam. Certainement s'il dit cela, combien << y aura-t-il de choses superflues dans cet art! combien d'exor<«<bitantes! quelle battologie! combien de machines qui ne ser«< vent qu'à la pompe ou qu'à nous décevoir! A quoi bon nous

« faire peur de l'instabilité de la terre, des tremblements des << lutins et d'autres vaines frayeurs? Quelle est la fin d'une fosse « si profonde qu'elle ne nous laisse, ce me semble, que le néant « de reste? Pourquoi des pérégrinations si longues, et de tant « de durée, dans les pays étrangers où les sens n'approchent <«< point parmi des ombres et des spectres? Que servent toutes « ces choses pour la construction d'une chapelle, comme si l'on << ne pouvait pas en bâtir une sans renverser tout sens dessus « dessous? Mais à quoi bon ce mélange et ce changement de << tant de diverses matières? Pourquoi tantôt rejeter les an«< ciennes et en employer de nouvelles, et tantôt rejeter les nou« velles pour reprendre les anciennes ? Ne serait-ce point peut« être que, comme nous devons nous comporter autrement dans « le temple, ou en la présence des personnes de mérite, que « dans une hôtellerie ou une taverne, de même à ces nouveaux « mystères il faut de nouvelles cérémonies? Mais pourquoi, <«< sans s'amuser à tant d'embarras, n'a-t-il point plutôt ainsi «< clairement, nettement et brièvement exposé la vérité : Je bâ<< tis, j'ai connaissance du bâtiment que je fais, donc je suis un << architecte? 6o Enfin, s'il dit que de bâtir des maisons, de dis« poser et d'ordonner de leurs chambres, cabinets, portiques, <«< portes, fenêtres, colonnes et autres ornements, et de com«mander à tous les ouvriers qui y mettent la main, comme « charpentiers, tailleurs de pierres, maçons, couvreurs, man« œuvres et autres, et de conduire tous leurs ouvrages, c'est << tellement le propre d'un architecte qu'il n'y a pas un autre << artisan et ouvrier qui le puisse faire, il dira quelque chose « de nouveau, mais il ne dira rien de bon, et encore le dira-t-il << sans preuve et sans aveu, si ce n'est peut-être qu'il nous « garde et nous cache quelque chose (qui est le seul refuge qui << lui reste) pour nous le montrer avec étonnement et admira«tion en son temps; mais il y a si longtemps qu'on attend cela « de lui, qu'il n'y a plus du tout lieu de l'espérer. » En dernier << lieu il répondait : Vous craignez ici sans doute (et je vous le << pardonne) pour votre art et manière de bâtir, laquelle vous « chérissez, et que vous caressez et embrassez comme votre << propre production; vous avez peur que, l'ayant rendue cou<< pable de tant de péchés, et la voyant maintenant qui fait eau « partout, je ne la condamne au rebut. Ne craignez pourtant « point: je suis votre ami plus que vous ne pensez ; je vaincrai

« votre attente, ou du moins je la tromperai, je me tairai et au«<rai patience. Je sais qui vous êtes, et je connais la force et « vivacité de votre esprit. Quand vous aurez pris du temps suf«fisamment pour méditer, mais principalement quand vous <«< aurez consulté en secret votre règle qui ne vous abandonne << jamais, vous secouerez toute la poussière, vous laverez toutes «<les taches, et vous nous ferez voir pour lors une architecture « bien propre et bien nette, et exempte de tout défaut. Cepen<< dant contentez-vous de ceci, et continuez de me prêter votre «< attention, pendant que je continuerai de satisfaire à vos de«mandes. J'ai compris beaucoup de choses en peu de paroles, « pour n'être pas long, et n'en ai touché la plupart que légère«ment, comme sont celles qui concernent les voûtes, l'ouver«<ture des fenêtres, les colonnes, les portiques, et autres sem<«< blables. Mais voici le dessein d'une nouvelle comédie. »

SI L'ON PEUT INVENTER UNE Nouvelle architecture.

« Vous demandez, en troisième lieu, si l'on peut inventer, » etc.

Comme il demandait cela, quelques-uns de ses amis, voyant que son extrême jalousie et la haine dont il était emporté étaient passées en maladie, ne lui permirent pas de déclamer ainsi davantage dans les places publiques, mais le firent aussitôt conduire chez le médecin.

Pour moi, je n'oserais pas, à la vérité, soupçonner rien de pareil de notre auteur; mais je continuerai seulement de faire voir ici avec quel soin il semble qu'il ait tâché de l'imiter en toutes choses. Il se comporte entièrement comme lui en juge très-sévère, et qui prend soigneusement et scrupuleusement garde de rien prononcer témérairement; car, après m'avoir onze fois condamné pour cela seul que j'ai rejeté tout ce qui est douteux pour fonder et établir ce qui est certain, de même que si j'avais creusé profondément pour jeter les fondements de quelque grand édifice, enfin, à la douzième fois, il commence à examiner la chose et dit: 1° que si je l'ai entendue de la manière qu'il sait que je l'ai entendue, ainsi qu'il paraît par ces paroles: « Vous ne l'assurerez ni ne le nierez, » et qu'il m'a lui-même attribuées, qu'à la vérité j'ai dit quelque chose de bon, mais que je n'ai rien dit de nouveau.

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