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« je suis, moi que je connais être. Il est très-certain que la con«naissance de mon être, ainsi précisément pris, ne dépend «point des choses dont l'existence ne m'est pas encore connue.»>

- N'y a-t-il que cela? avez-vous tout dit? J'attendais quelque conséquence, comme un peu auparavant. Mais peut-être avezvous eu peur qu'elle ne vous réussît pas mieux que l'autre ? Sans doute que vous faites prudemment, selon votre coutume; mais je reprends tout ce que vous avez dit : « Vous savez que vous « êtes,» passe; « vous cnerchez quel vous êtes, vous que vous sa« vez être. » Il est vrai, je le cherche avec vous, et il y a longtemps que nous le chercnons. « La connaissance de la chose que « vous chercnez, c'est-à-dire de votre être, ne dépend point, « dites-vous, des choses dont l'existence ne vous est pas encore « connue. » Que vous dirai-je là-dessus? cela ne me paraît pas assez clair, et je ne vois pas assez où va cette maxime: Vous cherchez, dites-vous, quel est celui que vous connaissez, et moi Je le cherche aussi avec vous; mais, dites-moi, pourquoi le cherchez-vous si vous le connaissez ?

Je connais, dites-vous, que je suis, mais je ne connais pas quel je suis.

Vous dites bien, mais comment pourrez-vous reconnaître quel vous êtes, si ce n'est ou par les choses que vous avez autrefois connues, ou par celles que vous connaissez ci-après ? Ce no sera pas, comme je crois, par celles que vous avez autrefois connues, elles sont pleines de doute; vous les avez toutes rejetées : ce sera donc par celles que vous ne connaissez pas encore et que vous connaîtrez ci-après. Je vois bien que cela vous choque, mais je ne sais pas pourquoi.

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Je ne sais pas encore, dites-vous, si ces choses-là existent. Ayez bonne espérance, vous le saurez quelque jour. - Mais cependant, que ferai-je? ajoutez-vous.

- Vous aurez patience. Quoique, pourtant, je ne veuille pas vous tenir longtemps en suspens, je distinguerai votre proposition, comme j'ai fait ci-devant. « Vous ne connaissez pas quel « vous êtes déterminément, » je l'accorde. « Vous ne connais« sez pas quel vous êtes indéterminément et confusément, » je le nie; car vous connaissez que vous êtes quelque chose, et même que vous êtes nécessairement, ou un corps ou une âme, ou un esprit, ou quelque autre chose. Mais quoi, enfin? vous vous connaîtrez ci-après clairement et déterminément. Qu'y

feriez-vous? ces deux mots seuls déterminément et indéterminément sont capables de vous arrêter un siècle entier. Cherchez une autre voie, s'il vous en reste aucune. Essayez hardiment; car je n'ai pas encore mis bas les armes. Les choses grandes et nouvelles sont environnées de nouvelles et grandes difficultés.

- Il me reste encore, dites-vous, une voie; mais si elle a le moindre obstacle, le moindre empêchement, c'en est fait, je n'y songerai plus; je reviendrai sur mes pas, et l'on ne me verra plus errant et vagabond dans ces pays et contrées où règne une abdication générale. Voulez-vous bien la tenter avec moi ?

Je le veux bien, mais à condition que, comme elle est la dernière, vous attendiez aussi de moi les dernières difficultés. Allez maintenant, marchez le premier!

§ VIII.-L'ON Tente, pour la quatrième fois, l'entrée dans CETTE MÉTHODE, ET L'ON EN DÉSESPÈRE.

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QQ. -« Je suis, »> — dites-vous; je le nie. Vous poursuivez: « Je pense; » — je le nie. Vous ajoutez: « Que niezvous là? >> - Je nie que vous soyez et que vous pensiez; et je sais fort bien ce que j'ai fait quand j'ai dit: Il n'y a plus rien. Voilà sans doute un trait bien hardi et remarquable. J'ai d'un seul coup tranché la tête à tout. Il n'y a rien, vous n'êtes point, et vous ne pensez point.

- Mais, je vous prie, me dites-vous, j'en suis assuré; j'en ai un témoignage certain; je sais par ma propre expérience que je suis et que je pense.

-Quand vous en mettriez la main à la conscience, quand vous en jureriez et me le protesteriez, je le nie. Il n'y a rien, vous n'êtes point, vous ne pensez point, vous ne le savez point. Voilà l'accroc et l'enclouure; et, afin que vous la connaissiez bien et que vous l'évitiez, si vous pouvez, je veux vous la montrer au doigt. Si cette proposition est vraie: Il n'y a rien ; celleci est aussi vraie et nécessaire: Vous n'êtes point, vous ne pensez point. Or est-il que, selon vous, celle-ci: Il n'y a rien, est vraie, comme vous le savez et le voulez. Par conséquent, celleci est aussi vraie: Vous n'étes point, vous ne pensez point.

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- Vous êtes bien rigoureux, me dites-vous; il faut un peu vous adoucir.

Puisque vous m'en priez, je le veux, et de bon cœur. Vous êtes, je l'accorde. Vous pensez, je le veux. Vous êtes une chose qui pense, dites une substance qui pense; car vous vous plaisez aux termes magnifiques; j'en suis bien aise, et je m'en réjouis; mais n'en demandez pas davantage. Je vois que vous en êtes content, car vous reprenez ainsi vos esprits:

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« Je suis, me dites-vous, une substance qui pense; et je « sais que j'existe, moi, qui suis une substance qui pense; et je << sais qu'une substance qui pense existe. Or j'ai une claire et distincte notion ou idée de cette substance qui pense, et néan« moins je ne sais point si aucun corps existe, et ne connais rien « de tout ce qui appartient à la notion de la substance corpo«relle; jenie même qu'aucun corps existe, ni aucune chose cor« porelle; j'ai fait une abdication de tout; j'ai tout rejeté: par <«< conséquent, la connaissance de l'existence d'une chose qui << pense, ou la connaissance d'une chose qui pense existante, ne « dépend point de la connaissance de l'existence d'une chose « corporelle, ou de la connaissance d'une chose corporelle exis« tante. Par conséquent, puisque j'existe, et que je suis une «< chose qui pense, et qu'aucun corps n'existe, je ne suis point <«< un corps, et partant je suis un esprit. Voilà mes raisons; voilà «< ce qui me force à donner mon consentement, n'y ayant rien « en tout cela qui ne soit bien suivi et bien lié, et déduit de « principes très-évidents suivant les règles de la logique. »>

-Oh! que voilà bien dit! Mais que ne parliez-vous auparavant ainsi clairement et nettement, sans nous parler de votre abdication générale ? J'ai en vérité sujet de me plaindre de vous de nous avoir ainsi laissés courir çà et là, et de nous avoir même menés par des chemins détournés et inconnus, vu que vous pouviez tout d'un coup nous amener ici. Il y aurait lieu de vous en faire reproche; et si vous n'étiez bien mon ami, je m'en fâcherais tout de bon, car vous n'agissez pas avec moi candidement et rondement comme vous faisiez autrefois; et je vois que vous vous réservez des choses en particulier sans me les communiquer. Vous vous étonnez de ce que je vous dis. Cela ne durera pas longtemps, je m'en vais vous dire le sujet de mes plaintes.

RR. Vous demandiez naguère, il n'y pas encore un quart d'heure, quel était celui que vous connaissiez; maintenant vous ne savez pas seulement quel il est, mais vous en avez même une

claire et distincte notion. Ou vous ne découvriez pas alors tout ce que vous saviez, et feigniez de ne pas connaître ce que vous connaissiez fort bien, ou vous avez quelque trésor caché d'où vous tirez le vrai et le certain quand bon vous semble. Mais j'aime mieux vous demander où est ce trésor, et si vous y mettez souvent la main, que de me plaindre de vous davantage. Dites-moi, je vous prie, d'où vous avez tiré cette claire et distincte notion de la substance qui pense? Si elle est si claire et si évidente, je vous prierais volontiers de me la faire voir une fois, afin de me récréer de sa vue; vu principalement que de cela seul dépend presque tout l'éclaircissement de la vérité que nous cherchons avec tant de peine.

Le voici, dites-vous. Je sais certainement que je suis, que je pense, que je suis une substance qui pense.

N'allons pas si vite, s'il vous plaît, afin que je me dispose à bien former un concept si difficile. Je sais fort bien aussi que je suis, que je pense, que je suis une substance qui pense. Continuez maintenant, s'il vous plaît.

-Je n'ai plus rien à ajouter à cela, me dites-vous, j'ai tout dit et tout fait. Quand j'ai pensé que j'existais, moi qui suis une substance qui pense, j'ai formé en même temps un concept clair et distinct de la substance qui pense.

Bon Dieu ! que vous êtes fin et subtil! Comme en un moment vous pénétrez et parcourez toutes choses, tant celles qui sont que celles qui ne sont pas, celles qui peuvent être et celles qui ne le peuvent! Vous formez, dites-vous, un concept clair et distinct de la substance qui pense lorsque vous concevez clairement et distinctement que la substance qui pense existe. Quoi donc ! si vous connaissez clairement (comme je n'en doute point, car je sais que vous avez bon esprit) qu'il n'y a point de montagne sans vallée, avez-vous pour cela tout aussitôt un concept clair et distinct d'une montagne sans vallée? Mais j'ai tort, parce que jene sais pas l'art de former un concept clair et distinct; je l'admire; je vous prie de me l'enseigner, et de me faire voir comment ce concept est clair et distinct.

Tout à l'heure, me dites-vous. Je conçois clairement et distinctement qu'une substance qui pense existe, et je ne conçois cependant rien de corporel, rien de spirituel; je ne conçois rien que cela, rien que la seule substance qui pense. Donc, le concept que j'ai d'une substance qui pense est clair et distinct.

Je vous entends enfin, et, si je ne me trompe, je comprends ce que vous voulez dire.

Le concept que vous avez est clair, parce que vous le connaissez certainement; et il est distinct, parce que vous ne connaissez rien autre chose. N'ai-je pas bien compris votre pensée ? Je crois que oui, car vous ajoutez:

Il suffit, dites-vous, que j'assure qu'en tant que je me connais je ne suis rien autre chose qu'une chose qui pense. - C'est bien assez. Et, si j'ai bien pris votre pensée, ce concept clair et distinct d'une substance qui pense, que vous formez, consiste en ce qu'il vous représente qu'une substance qui pense existe, sans penser au corps, à l'âme, à l'esprit, à aucune autre chose; mais seulement qu'elle existe. Et ainsi vous dites qu'en tant que vous vous connaissez, vous n'êtes rien autre chose qu'une substance qui pense, et non point un corps, une âme, un esprit ou quelque autre chose; en sorte que si vous existiez précisément comme vous vous connaissez, vous seriez seulement une substance qui pense, et rien davantage. Vous vous souriez, je crois, et vous vous applaudissez tout ensemble, et vous croyez que par cette longue suite de paroles dont je me sers, contre ma coutume, je ne cherche qu'à gagner du temps, et qu'à esquiver, pour n'en point venir au combat contre des troupes si fortes et si aguerries que sont les vôtres. Mais, sans mentir, ce n'est pas là mon dessein. Voulez vous que je renverse d'une seule parole tout cet équipage, et tous ces vieux champions que vous avez réservés adroitement pour la fin du combat, quoique serrés et disposés en bataillon? J'en emploierai trois, afin qu'il n'en reste pas un.

Voici la première: Du connaître à l'étre la conséquence n'est pas bonne. Méditez là-dessus pour le moins quinze jours, et vous en verrez le fruit, dont vous ne vous repentirez point, pourvu qu'après cela vous jetiez les yeux sur la table suivante. La substance qui pense est celle qui entend, ou qui veut, ou qui doute, ou qui rêve, ou qui imagine, ou qui sent; et partant, tous les actes intellectuels, comme sont: entendre, vouloir, imaginer, sentir, conviennent tous sous la raison commune de pensée, de perception ou de conscience; et nous appelons la substance où ils résident une chose qui pense.

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