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homme qui est dans l'esprit est à cet homme, ainsi l'essence est à l'existence; ou bien comme cette proposition, Socrate est homme, est à celle-ci, Socrate est ou existe, ainsi l'essence de Socrate est à l'existence du même Socrate. Or ceci : Socrate est homme, quand Socrate n'existe point, ne signifie autre chose qu'un assemblage de noms, et ce mot est ou étre a sous soi l'image de l'unité d'une chose qui est désignée par deux noms.

RÉPONSE.

La distinction qui est entre l'essence et l'existence est connue de tout le monde; et ce qui est dit ici des noms éternels, au lieu des concepts ou des idées d'une éternelle vérité, a déjà été cidevant assez réfuté et rejeté,

OBJECTION QUINZIÈME.

Sur la sixième Méditation.

de l'EXISTENCE DES CHOSES MATÉRIELLES.

<< Car Dieu ne m'ayant donné aucune faculté pour connaître « que cela soit (à savoir, que Dieu, par lui-même ou par l'en<< tremise de quelque créature plus noble que le corps, m'envoie « les idées du corps), mais, au contraire, m'ayant donné une <«<< grande inclination à croire qu'elles me sont envoyées ou <«< qu'elles partent des choses corporelles; je ne vois pas com<«<ment on pourrait l'excuser de tromperie si en effet ses idées << partaient d'ailleurs ou m'étaient envoyées par d'autres causes <<< que par des choses corporelles, et partant il faut avouer qu'il « y a des choses corporelles qui existent. >>

C'est la commune opinion que les médecins ne pèchent point qui déçoivent les malades pour leur propre sauté, ni les pères qui trompent leurs enfants pour leur propre bien, et que le mal de la tromperie ne consiste pas dans la fausseté des paroles, mais dans la malice de celui qui trompe. Que M. Descartes prenne donc garde si cette proposition: Dieu ne nous peut jamais tromper, prise universellement, est vraie; car si elle n'est pas vraie, ainsi universellement prise, cette conclusion n'est pas bonne : donc il y a des choses corporelles qui existent.

RÉPONSE.

Pour la vérité de cette conclusion, il n'est pas nécessaire que nous ne puissions jamais être trompés; car, au contraire, j'ai avoué franchement que nous le sommes souvent; mais seulement que nous ne le voyons point quand notre erreur ferait paraître en Dieu une volonté de décevoir, laquelle ne peut être en lui et il y a encore ici une conséquence qui ne me semble pas être bien déduite de ses principes.

OBJECTION SEIZIÈME.

Sur la sixième Méditation.

<< Car je reconnais maintenant qu'il y a entre l'une et l'autre « (savoir, entre la veille et le sommeil) une très-notable diffé« rence, en ce que notre mémoire ne peut jamais lier et joindre «nos songes les uns aux autres et avec toute la suite de notre << vie, ainsi qu'elle a de coutume de joindre les choses qui nous << arrivent étant éveillés. »

Je demande si c'est une chose certaine qu une personne, songeant qu'elle doute si elle songe ou non, ne puisse songer que son songe est joint et lié avec les idées d'une longue suite de choses passées. Si elle le peut, les choses qui semblent ainsi à celui qui dort être les actions de sa vie passée peuvent être tenues pour vraies, tout de même que s'il était éveillé. De plus, d'autant, comme il dit lui-même, que toute la certitude de la science et toute sa vérité dépend de la seule connaissance du vrai Dieu, ou bien un athée ne peut pas reconnaître qu'il veille par la mémoire des actions de sa vie passée, ou bien une personne peut savoir qu'elle veille sans la connaissance du vrai Dieu.

RÉPONSE.

Celui qui dort et songe ne peut pas joindre et assembler parfaitement et avec vérité ses rêveries avec les idées des choses passées, encore qu'il puisse songer qu'il les assemble. Car qui est-ce qui nie que celui qui dort se puisse tromper? Mais après, étant éveillé, il connaîtra facilement son erreur.

Et un athée peut reconnaître qu'il veille par la mémoire des actions de sa vie passée; mais il ne peut pas savoir que ce signe est suffisant pour le rendre certain qu'il ne se trompe point, s'il ne sait qu'il a été créé de Dieu, et que Dieu ne peut être trompeur.

QUATRIEMES OBJECTIONS

FAITES PAR M. ARNAULD, DOCTEUR EN THÉOLOGIE

LETTRE DE M. ARNAULD AU R. P. MERSENNE.

MON RÉVÉRENd père,

Je mets au rang des signalés bienfaits la communication qui m'a été faite par votre moyen des Méditations de M. Descartes; mais comme vous en saviez le prix, aussi me l'avez-vous vendue fort chèrement, puisque vous n'avez point voulu me faire participant de cet excellent ouvrage, que je ne me sois premièrement obligé de vous en dire mon sentiment. C'est une condition à laquelle je ne me serais point engagé si le désir de connaître les belles choses n'était en moi fort violent, et contre laquelle je réclamerais volontiers si je pensais pouvoir obtenir de vous aussi facilement une exception pour m'être laissé emporter par cette louable curiosité, comme autrefois le préteur en accordait à ceux de qui la crainte ou la violence avait arraché le consentement.

Car que voulez-vous de moi? mon jugement touchant l'auteur? nullement; il y a longtemps que vous savez en quelle estime j'ai sa personne et le cas que je fais de son esprit et de sa doctrine. Vous n'ignorez pas aussi les fâcheuses affaires qui me tiennent à présent occupé; et si vous avez meilleure opinion de moi que je ne mérite, il ne s'ensuit pas que je n'aie point de connaissance de mon peu de capacité. Cependant, ce que vous voulez soumettre à mon examen demande une très-haute suffisance avec beaucoup de tranquillité et de loisir, afin que l'esprit, étant dégagé de l'embarras des affaires du monde, ne pense qu'à soi-même; ce que vous jugɛez bien ne se pouvoir faire sans

une méditation très-profonde et une très-grande récollection d'esprit. J'obéirai néanmoins, puisque vous le voulez; mais à condition que vous serez mon garant et que vous répondrez de toutes mes fautes. Or, quoique la philosophie se puisse vanter d'avoir seule enfanté cet ouvrage; néanmoins, parce que notre auteur, en cela très-modeste, se vient lui-même présenter au tribunal de la théologie, je jouerai ici deux personnages : dans le premier, paraissant en philosophe, je représenterai les principales difficultés que je jugerai pouvoir être proposées par ceux de cette profession touchant les deux questions de la nature de l'esprit humain et de l'existence de Dieu; et après cela, prenant l'habit d'un théologien, je mettrai en avant les scrupules qu'un homme de cette robe pourrait rencontrer en tout cet ouvrage.

DE LA NATURE DE L'ESPRIT HUMAIN.

La première chose que je trouve ici digne de remarque est de voir que M. Descartes établisse pour fondement et premier principe de toute sa philosophie ce qu'avant lui saint Augustin, homme de très-grand esprit et d'une singulière doctrine, nonseulement en matière de théologie, mais aussi en ce qui concerne l'humaine philosophie, avait pris pour la base et le soutien de la sienne. Car dans le livre second du Libre Arbitre, chap. m, Alipius disputant avec Evodius, et voulant prouver qu'il y a un Dieu: « Premièrement, dit-il, je vous demande, << afin que nous commencions par les choses les plus manifestes, << savoir si vous êtes, ou si peut-être vous ne craignez point de « vous méprendre en répondant à ma demande; combien qu'à « vrai dire, si vous n'étiez point, vous ne pourriez jamais être « trompé. » Auxquelles paroles reviennent celles-ci de notre auteur: « Mais il y a un je ne sais quel trompeur très-puissant « et très-rusé qui met toute son industrie à me tromper tou« jours. Il est donc sans doute que je suis, s'il me trompe. » Mais poursuivons et, afin de ne nous point éloigner de notre sujet, voyons comment de ce principe on peut conclure que notre esprit est distinct et séparé du corps.

« Je puis douter si j'ai un corps, voire même je puis douter « s'il y a aucun corps au monde; et néanmoins je ne puis pas « douter que je ne sois ou que je n'existe tandis que je doute « ou que je pense: donc moi qui doute et qui pense, je ne suis

« point un corps; autrement, en doutant du corps, je douterais « de moi-même. Voire même encore que je soutienne opinià« trément qu'il n'y a aucun corps au monde, cette vérité néan« moins subsiste toujours, je suis quelque chose, et partant je ne << suis point un corps. » Certes, cela est subtil; mais quelqu'un pourra dire, ce que même notre auteur s'objecte: De ce que je doute ou même de ce que je nie qu'il y ait aucun corps, il ne s'ensuit pas pour cela qu'il n'y en ait point.

«Mais aussi peut-il arriver que ces choses mêmes que je sup« pose n'être point parce qu'elles me sont inconnues, ne sont « point en effet différentes de moi, que je connais ? Je n'en sais « rien, dit-il, je ne dispute pas maintenant de cela. Je ne puis « donner mon jugement que des choses qui me sont connues; « je connais que j'existe, et je cherche quel je suis, moi que je « connais être. Or, il est très-certain que cette notion et cona naissance de moi-même, ainsi précisément prise, ne dépend « point des choses dont l'existence ne m'est pas encore con

«nue. »

Mais puisqu'il confesse lui-même que par l'argument qu'il a proposé dans son traité de la Méthode, la chose en est venue seulement à ce point, qu'il a été obligé d'exclure de la nature de son esprit tout ce qui est corporel et dépendant du corps, non pas eu égard à la vérité de la chose, mais seulement suivant l'ordre de sa pensée et de son raisonnement, en telle sorte que son sens était qu'il ne connaissait rien qu'il sût appartenir à son essence, sinon qu'il était une chose qui pense, il est évident par cette réponse que la dispute en est encore aux mêmes termes, et partant que la question dont il nous promet la solution demeure encore en son entier : à savoir, comment, de ce qu'il ne connaît rien autre chose qui appartienne à son essence, sinon qu'il est une chose qui pense, il s'ensuit qu'il n'y a aussi rien autre chose qui en effet lui appartienne. Ce que toutefois je n'ai pu découvrir dans toute l'étendue de la seconde Méditation, tant j'ai l'esprit pesant et grossier; mais autant que je le puis conjecturer, il en vient à la preuve dans la sixième, pour ce qu'il a cru qu'elle dépendait de la connaissance claire et distincte de Dieu, qu'il ne s'était pas encore acquise dans la seconde Méditation. Voici donc comment il prouve et décide cette difficulté:

« Pour ce, dit-il, que je sais que toutes les choses que je

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