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RÉPONSE.

Il est de soi très-évident que c'est autre chose de voir un lion et ensemble de le craindre, que de le voir seulement; et tout de même que c'est autre chose de voir un homme qui court, que d'assurer qu'on le voit. Et je ne remarque rien ici qui ait besoin de réponse ou d'explication.

OBJECTION SEPTIÈME.

Sur la troisième Méditation.

« Il me reste seulement à examiner de quelle façon j'ai ac« quis cette idée, car je ne l'ai point reçue par les sens; et ja<< mais elle ne s'est offerte à moi contre mon attente, comme « font d'ordinaire les idées des choses sensibles, lorsque ces « choses se présentent aux organes extérieurs de mes sens, ou « qu'elles semblent s'y présenter. Elle n'est pas aussi une pure << production ou fiction de mon esprit, car il n'est pas en mon << pouvoir d'y diminuer ni d'y ajouter aucune chose; et partant « il ne reste plus autre chose à dire, sinon que, comme l'idée « de moi-même, elle est née et produite avec moi dès lors que « j'ai été créé. »

S'il n'y a point d'idée de Dieu (or on ne prouve point qu'il y en ait), comme il semble qu'il n'y en a point, toute cette recherche est inutile. De plus, l'idée de moi-même me vient, si on regarde le corps, principalement de la vue; si l'âme, nous n'en avons aucune idée : mais la raison nous fait conclure qu'il y a quelque chose de renfermé daus le corps humain qui lui donne le mouvement animal, qui fait qu'il sent et se meut; et cela, quoi que ce soit, sans aucune idée, nous l'appelons áme.

RÉPONSE.

S'il y a une idée de Dieu (comme il est manifeste qu'il y en a une), toute cette objection est renversée; et lorsqu'on ajoute que nous n'avons point d'idée de l'àme, mais qu'elle se conçoit par la raison, c'est de même que si on disait qu'on n'en a point d'image dépeinte en la fantaisie, mais qu'on en a néanmoins cette notion que jusqu'ici j'ai appelée du nom d'idée.

OBJECTION HUITIÈME.

Sur la troisième Méditation.

« Mais l'autre idée du soleil est prise des raisons de l'astro. «nomie, c'est-à-dire de certaines notions qui sont naturelle<< ment en moi. »

Il semble qu'il ne puisse y avoir en même temps qu'une idée du soleil, soit qu'il soit vu par les yeux, soit qu'il soit conçu par le raisonnement être plusieurs fois plus grand qu'il ne paraît à la vue; car cette dernière n'est pas l'idée du soleil, mais une conséquence de notre raisonnement, qui nous apprend que l'idée du soleil serait plusieurs fois plus grande s'il était regardé de beaucoup plus près. Il est vrai qu'en divers temps il peut y avoir diverses idées du soleil, comme si en un temps il est regardé seulement avec les yeux, et en un autre avec une lunette d'approche; mais les raisons de l'astronomie ne rendent point l'idée du soleil plus grande ou plus petite, seulement elles nous enseignent que l'idée sensible du soleil est trompeuse.

RÉPONSE.

Je réponds derechef que ce qui est dit ici n'être point l'idée du soleil, et qui néanmoins est décrit, c'est cela même que j'appelle du nom d'idée. Et pendant que ce philosophe ne veut pas convenir avec moi de la signification des mots, il ne me peut rien objecter qui ne soit frivole.

OBJECTION NEUVIÈME.

Sur la troisième Méditation.

« Car, en effet, les idées qui me représentent des substances << sont sans doute quelque chose de plus et ont pour ainsi dire << plus de réalité objective que celles qui me représentent seu«<lement des modes ou accidents. Comme aussi celle par la« quelle je conçois un Dieu souverain, éternel, infini, tout-con<< naissant, tout-puissant, et créateur universel de toutes choses << qui sont hors de lui, a aussi sans doute en soi plus de réalité « objective que celles par qui les substances finies me sont « représentées.

J'ai déjà plusieurs fois remarqué ci-devant que nous n'avons aucune idée de Dieu ni de l'âme; j'ajoute maintenant ni de la substance: car j'avoue bien que la substance, en tant qu'elle est une matière capable de recevoir divers accidents, et qui est sujette à leurs changements, est aperçue et prouvée par le raisonnement; mais néanmoins elle n'est point conçue, ou nous n'en avons aucune idée. Si cela est vrai, comment peut-on dire que les idées qui nous représentent des substances sont quelque chose de plus et ont plus de réalité objective que celles qui nous représentent des accidents? De plus, il semble que M. Descartes n'ait pas assez considéré ce qu'il veut dire par ces mots, ont plus de réalité. La réalité reçoit-elle le plus ou le moins? Ou, s'il pense qu'une chose soit plus chose qu'une autre, qu'il considère comment il est possible que cela puisse être rendu clair à l'esprit, et expliqué avec toute la clarté et l'évidence qui est requise à une démonstration, et avec laquelle il a plusieurs fois traité d'autres matières.

RÉPONSE.

J'ai plusieurs fois dit que j'appelais du nom d'idée cela même que la raison nous fait connaître, comme aussi toutes les autres choses que nous concevons, de quelque façon que nous les concevions. Et j'ai suffisamment expliqué comment la réalité reçoit le plus et le moins, en disant que la substance est quelque chose de plus que le mode et que, s'il y a des qualites réelles ou des substances incomplètes, elles sont aussi quelque chose de plus que les modes, mais quelque chose de moins que les substances complètes; et enfin que s'il y a une substance infinie et indépendante, cette substance a plus d'être ou plus de réalité que la substance finie et dépendante: ce qui est de soi si manifeste qu'il n'est pas besoin d'apporter une plus ample explication.

OBJECTION DIXIÈME.

Sur la troisième Méditation.

<< Partant il ne reste que la seule idée de Dieu, dans laquelle << il faut considérer s'il y a quelque chose qui n'ait pu venir de

<< moi-même. Par le nom de Dieu, j'entends une substance in« finie, indépendante, souverainement intelligente, souverai<«<nement puissante, et par laquelle non-seulement moi, mais <«< toutes les autres choses qui sont (s'il y en a d'autres qui «<existent) ont été créées : toutes lesquelles choses, à dire le << vrai, sont telles, que plus j'y pense, et moins me semblent<< elles pouvoir venir de moi seul. Et par conséquent il faut << conclure de tout ce qui a été dit ci-devant, que Dieu existe << nécessairement. »

Considérant les attributs de Dieu, afin que de là nous en ayons l'idée, et que nous voyions s'il y a quelque chose en elle qui n'ait pu venir de nous-mêmes, je trouve, si je ne me trompe, que ni les choses que nous concevons par le nom de Dieu ne viennent point de nous, ni qu'il n'est pas nécessaire qu'elles viennent d'ailleurs que des objets extérieurs. Car, par le nom de Dieu, j'entends une substance: c'est-à-dire j'entends que Dieu existe non point par une idée, mais par raisonnement; infinie: c'est-à-dire que je ne puis concevoir ni imaginer ses termes ou ses dernières parties, que je n'en puisse encore imaginer d'autres au delà, d'où il suit que le nom d'infini ne nous fournit pas d'idée de l'infinité divine, mais bien celle de mes propres termes et limites; indépendante : c'est-à-dire que je ne conçois point de cause de laquelle Dieu puisse venir, d'où il paraît que je n'ai point d'autre idée qui réponde à ce nom d'indépendant sinon la mémoire de mes propres idées, qui ont toutes leur commencement en divers temps, et qui par conséquent sont dépendantes.

C'est pourquoi, dire que Dieu est indépendant, ce n'est rien dire autre chose sinon que Dieu est du nombre des choses dont je ne puis imaginer l'origine; tout ainsi que dire que Dieu est infini, c'est de même que si nous disions qu'il est du nombre des choses dont nous ne concevons point les limites. Et ainsi toute cette idée de Dieu est réfutée; car quelle est cette idée qui est sans fin et sans origine?

«Souverainement intelligente. » Je demande aussi par quelle idée M. Descartes conçoit l'intellection de Dieu

« Souverainement puissante. » Je demande aussi par quelle idée sa puissance, qui regarde les choses futures, c'est-à-dire non existantes, est entendue. Certes, pour moi, je conçois la puissance par l'image ou la mémoire des choses passées, en

raisonnant de cette sorte: Il a fait ainsi, donc il a pu faire ainsi ; donc, tant qu'il sera, il pourra encore faire ainsi, c'est-à-dire il en a la puissance. Or toutes ces choses sont des idées qui peuvent venir des objets extérieurs.

« Créateur de toutes les choses qui sont au monde. >> Je puis former quelque image de la création par le moyen des choses que j'ai vues, par exemple de ce que j'ai vu un homme naissant, et qui est parvenu, d'une petitesse presque inconcevable, à la forme et à la grandeur qu'il a maintenant ; et personne à mon avis n'a d'autre idée à ce nom de créateur; mais il ne suffit pas, pour prouver la création du monde, que nous puissions imaginer le monde créé. C'est pourquoi, encore qu'on eût démontré qu'un être infini, indépendant, tout-puissant, etc., existe, il ne s'ensuit pas néanmoins qu'un créateur existe, si ce n'est que quelqu'un pense qu'on infere fort bien de ce qu'un certain être existe, lequel nous croyons avoir créé toutes les autres choses, que pour cela le monde a autrefois été créé par lui.

De plus, où M. Descartes dit que l'idée de Dieu et de notre âme est née et résidante en nous, je voudrais bien savoir si les âmes de ceux-là pensent qui dorment profondément et sans aucune rêverie. Si elles ne pensent point, elles n'ont alors aucunes idées; et partant il n'y a point d'idée qui soit née et résidante en nous, car ce qui est né et résidant en nous est toujours présent à notre pensée.

RÉPONSE.

Aucune chose de celles que nous attribuons à Dieu ne peut venir des objets extérieurs comme d'une cause exemplaire : car il n'y a rien en Dieu de semblable aux choses extérieures, c'està-dire aux choses corporelles. Or il est manifeste que tout ce que nous concevons être en Dieu de dissemblable aux choses extérieures ne peut venir en notre pensée par l'entremise de ces mêmes choses, mais seulement par celle de la cause de cette diversité, c'est-à-dire de Dieu.

Et je demande ici de quelle façon ce philosophe tire l'intellection de Dieu des choses extérieures; car pour moi j'explique aisément quelle est l'idée que j'en ai, en disant que par le mot d'idée j'entends la forme de toute perception: car qui est celui

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