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nue, non pas simplement objectivement, mais formellement ou éminemment. Et il faut remarquer que cet axiome doit si nécessairement être admis, que de lui seul dépend la connaissance de toutes les choses, tant sensibles qu'insensibles. Car d'où savons-nous, par exemple, que le ciel existe? est-ce parce que nous le voyons? mais cette vision ne touche point l'esprit, sinon en tant qu'elle est une idée, une idée dis-je, inhérente en l'esprit même, et non pas une image dépeinte en la fantaisie; et, à l'occasion de cette idée, nous ne pouvons pas juger que le ciel existe, si ce n'est que nous supposions que toute idée doit avoir une cause de sa réalité objective qui soit réellement existante; laquelle cause nous jugeons que c'est le ciel même, et ainsi des autres.

VI. Il y a divers degrés de réalité, c'est-à-dire d'entité ou de perfection car la substance a plus de réalité que l'accident ou le mode, et la substance infinie que la finie; c'est pourquoi aussi il y a plus de réalité objective dans l'idée de la substance que dans celle de l'accident, et dans l'idée de la substance infinie que dans l'idée de la substance finie.

VII. La volonté se porte volontairement et librement, car cela est de son essence, mais néanmoins infailliblement, au bien qui lui est clairement connu : c'est pourquoi, si elle vient à connaître quelques perfections qu'elle n'ait pas, elle se les donnera aussitôt si elles sont en sa puissance; car elle connaîtra que ce lui est un plus grand bien de les avoir que de ne les avoir pas.

VIII. Ce qui peut faire le plus, ou le plus difficile, peut aussi faire le moins, ou le plus facile.

IX. C'est une chose plus grande et plus difficile de créer ou conserver une substance que de créer ou conserver ses attributs ou propriétés; mais ce n'est pas une chose plus grande, ou plus difficile de créer une chose que de la conserver, ainsi qu'il a déjà été dit.

X. Dans l'idée ou le concept de chaque chose, l'existence y est contenue, parce que nous ne pouvons rien concevoir que sous la forme d'une chose qui existe; mais avec cette différence que, dans le concept d'une chose limitée, l'existence possible ou contingente est seulement contenue; et dans le concept d'un Etre souverainement parfait, la parfaite et nécessaire y est comprise.

PROPOSITION PREMIÈRE.

L'existence de Dieu se connait de la seule considération de sa nature.

DEMONSTRATION.

Dire que quelque attribut est contenu dans la nature ou dans le concept d'une chose, c'est le même que de dire que cet attribut est vrai de cette chose, et qu'on peut assurer qu'il est en elle (par la définition neuvième);

Or est-il que l'existence nécessaire est contenue dans la nature ou dans le concept de Dieu (par l'axiome dixième) :

Donc il est vrai de dire que l'existence nécessaire est en Dicu, ou bien que Dieu existe.

Et ce syllogisme est le même dont je me suis servi en ma réponse au sixième article de ces objections; et sa conclusion peut être connue sans preuve par ceux qui sont libres de tous préjugés, comme il a été dit en la cinquième demande. Mais, parce qu'il n'est pas aisé de parvenir à une si grande clarté d'esprit, nous tâcherons de prouver la même chose par d'autres voies.

PROPOSITION SECONDE.

L'existence de Dicu est démontrée par ses effets, de cela seul que son
idée est en nous

DÉMONSTRATION.

La réalité objective de chacune de nos idées requiert une cause dans laquelle cette même réalité soit contenue, non pas simplement objectivement, mais formellement ou éminemment (par l'axiome cinquième);

Or est-il que nous avons en nous l'idée de Dieu (par les définitions deuxième et huitième), et que la réalité objective de cette idée n'est point contenue en nous, ni formellement, ni éminemment (par l'axiome sixième), et qu'elle ne peut être contenue dans aucun autre que dans Dieu même (par la définition huitième) :

Donc cette idée de Dieu qui est en nous demande Dieu pour sa cause; et par conséquent Dieu existe (par l'axiome troisième).

PROPOSITION TROISIÈME.

L'existence de Dieu est encore démontrée de ce que nous-même, qui
avons son idée, nous existons.

DÉMONSTRATION.

Si j'avais la puissance de me conserver moi-même, j'aurais aussi, à plus forte raison, le pouvoir de me donner toutes les perfections qui me manquent (par les axiomes huitième et neuvième), car ces perfections ne sont que des attributs de la substance, et moi je suis une substance;

Mais je n ai pas la puissance de me donner toutes ces perfections, car autrement je les posséderais déjà (par l'axiome septième):

Donc je n'ai pas la puissance de me conserver moi-même. En après, je ne puis exister sans être conservé tant que j'existe, soit par moi-même, supposé que j'en aie le pouvoir, soit par un autre qui ait cette puissance (par les axiomes premier et deuxième);

Or est-il que j'existe, et toutefois je n'ai pas la puissance de me conserver moi-même, comme je le viens de prouver: Donc je suis conservé par un autre.

De plus, celui par qui je suis conservé a en soi formellement ou éminemment tout ce qui est en moi (par l'axiome quatrième); Or est-il que j'ai en moi la perception de plusieurs perfections qui me manquent, et celle aussi de l'idée de Dieu (par les définitions deuxième et huitième):

Donc la perception de ces mêmes perfections est aussi en celui par qui je suis conservé.

Enfin, celui-là même par qui je suis conservé ne peut avoir la perception d'aucunes perfections qui lui manquent, c'est-àdire qu'il n'ait point en soi formellement ou éminemment (par l'axiome septième); car ayant la puissance de me conserver, comme il a été dit maintenant, il aurait à plus forte raison le pouvoir de se les donner lui-même, si elles lui manquaient (par les axiomes huitième et neuvième);

Or est-il qu'il a la perception de toutes les perfections que je reconnais me manquer, et que je conçois ne pouvoir être qu'en Dieu seul, comme je le viens de prouver:

Donc il les a toutes en soi formellement ou éminemment ; et ainsi il est Dieu.

COROLLAIRE

Dieu a créé le ciel et la terre, et tout ce qui y est contenu; et outre cela il peut faire toutes les choses que nous concevons clairement, en la manière que nous les

concevons.

DEMONSTRATION.

Toutes ces choses suivent clairement de la proposition précédente. Car nous y avons prouvé l'existence de Dieu, parce qu'il est nécessaire qu'il y ait un être qui existe dans lequel toutes les perfections dont il y a en nous quelque idée soient contenues formellement ou éminemment;

Or est-il que nous avons en nous l'idée d'une puissance si grande que, par celui-là seul en qui elle réside, non-seulement le ciel et la terre, etc., doivent avoir été créés, mais aussi toutes les autres choses que nous concevons comme possibles peuvent être produites :

Donc, en prouvant l'existence de Dieu, nous avons aussi prouvé de lui toutes ces choses,

PROPOSITION QUATRIEME.

L'esprit et le corps sont réellement distincts.

DÉMONSTRATION.

Tout ce que nous concevons clairement peut-être fait par Dieu en la manière que nous le concevons (par le corollaire précédent);

Mais nous concevons clairement l'esprit, c'est-à-dire une substance qui pense, sans le corps, c'est-à-dire sans une substance étendue (par la demande seconde); et d'autre part nous concevons aussi clairement le corps sans l'esprit, ainsi que chacun l'accorde facilement :

Donc, au moins, par la toute-puissance de Dieu, l'esprit peut être sans le corps, et le corps sans l'esprit.

Maintenant les substances qui peuvent être l'une sans l'au❤

tre sont réellement distinctes (par la définition dixième); Or est-il que l'esprit et le corps sont les substances (par les définitions cinquième, sixième et septième) qui peuvent être l'une sans l'autre, comme je le viens de prouver :

Donc l'esprit et le corps sont réellement distincts.

Et il faut remarquer que je me suis ici servi de la toutepuissance de Dieu pour en tirer ma preuve; non qu'il soit besoin de quelque puissance extraordinaire pour séparer l'esprit d'avec le corps, mais pour ce que n'ayant traité que de Dieu seul dans les propositions précédentes, je ne la pouvais tirer d'ailleurs que de lui. Et il importe fort peu par quelle puissance deux choses soient séparées pour connaître qu'elles sont réellement distinctes.

TROISIÈMES OBJECTIONS.

FAITES PAR M. HOBBES, CÉLÈBRE PHILOSOPHE ANGLAIS;
AVEC LES RÉPONSES DE L'AUTEUR.

OBJECTION PREMIÈRE

Sur la première Méditation.

DES CHOSES QUI PEUVENT ÊTRE RÉVOQUÉES EN DOUTE.

Il paraît assez, par ce qui a été dit dans cette Méditation, qu'il n'y a point de marque certaine et évidente par laquelle nous puissions reconnaître et distinguer nos songes d'avec la veille et d'avec une vraie perception des sens; et partant, que ces images ou ces fantômes que nous sentons étant éveillés, ne plus ne moins que ceux que nous apercevons étant endormis, ne sont point des accidents attachés à des objets extérieurs, et ne sont point des preuves suffisantes pour montrer que ces objets extérieurs existent véritablement. C'est pourquoi, si, sans

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