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cour. Un magnifique cortège défile. C'est Bedfort qui amène le jeune Lancastre, au front duquel Charles VI, d'après l'acte qui déshérite le Dauphin, doit poser la couronne de France. Les léopards vont dévorer les lis.

Le spectacle de cette procession est réellement des plus magnifiques, et se fait admirer même après les splendeurs de la Juive. C'est un luxe inimaginable de casques, de cuirasses, d'armures d'acier et d'or, de chevaux, de bannières, de blasons, que l'Opéra seul peut offrir avec cet éclat et cette exactitude. On y voit même des canons de l'époque, composés de barres de fer reliées par des cercles, avec leurs roues pleines et leurs affûts contournés. C'était alors une nouveauté dans toute sa fleur. Seulement, toutes ces magnificences n'aboutissent à rien, et Bedfort en est pour ses frais. Charles VI se refuse à reconnaître Lancastre, et se met à chanter la Marseillaise, nous nous trompons, nous voulons dire le vieux cri patriotique :

Guerre aux tyrans ! jamais en France,
Jamais l'Anglais ne régnera!

Le peuple fait chorus et se précipite sur les Anglais, qui lui rendent ses coups de poing en bourrades et en coups de hallebarde. Il s'ensuit une effroyable bagarre, d'un désordre fort pittoresque, sur lequel la toile tombe au milieu d'applaudissements adressés surtout à la beauté matérielle du spectacle.

A l'acte quatrième, nous sommes dans la chambre à coucher du roi, une haute salle gothique au plafond d'azur fleurdelisé d'or, aux boiseries de chêne sculpté, un lieu lugubre et propre aux apparitions; car la reine trouble encore, au moyen de fantasmagories hideuses, l'esprit déjà si troublé du pauvre monarque. Elle est furieuse; Bedfort n'est guère plus content. Il ressent vivement l'outrage public fait au petit duc de Lancastre, Charles VI voudra-t-il revenir de sa première décision? « Je saurai bien l'y contraindre, » dit Isabeau. Le roi paraît; son indigne femme lui fait les reproches les plus violents, lui présente l'acte de déshérence signé de lui, et l'effraye par toutes sortes de menaces. Charles, qui est dans un de ses moments lucides, saisit le parchemin, le brûle à la flamme d'une

lampe, et déclare que jamais il ne consentira à frustrer son fils de la couronne en faveur de Lancastre.

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La reine, qui voit, à la résolution de Charles, qu'il faut frapper un grand coup, se retire la menace à la bouche, la rage au cœur, afin de préparer les épouvantails dont elle se sert pour intimider le roi. Celui-ci, resté seul avec Odette, la prie de lui dire la chanson dont elle endort chaque soir son vieil enfant. Ce couplet est très-gracieux et d'une mélodie charmante. Quand il est endormi, ou plutôt quand Odette le croit endormi, - Charles car les fous ont leur malice, se relève sur son séant et commence à promener par la chambre des regards effarés. Tout prend autour de lui un air suspect et surprenant. Des lueurs rouges flamboient à travers les vitraux de couleur; des sons surnaturels se font entendre; un mur s'ouvre, il en jaillit une espèce de spectre hérissé, fauve, velu, barbu, moustachu: c'est l'homme de la forêt du Mans, celui qui s'est jeté à la bride du destrier royal. << Me reconnais-tu? crie-t-il au roi par l'organe menaçant de Massol. C'est moi qui t'ai prédit tous les malheurs qui te sont arrivés, et il t'en arrivera bien d'autres. Regarde! » Trois spectres sortent de terre. Ils ont l'armure et le casque des chevaliers; mais leurs visières, en se levant, laissent voir les grandes orbites creuses et l'affreux ricanement de la tête de mort. C'est Louis d'Orléans, JeanSans-Peur et Clisson, assassinés tous trois. « Tu périras de même,» dit l'homme barbu. Chaque fantôme, interrogé par le roi sur le nom du futur assassin, répond : « Ton fils! ton fils! ton fils !... »

Comme si tout cela ne suffisait pas, les panneaux de la boiserie s'écartent et découvrent une perspective d'apparitions funèbres éclairées par des feux de Bengale verts, ce qui est le comble du sinistre en fait de feux de Bengale. Le squelette de la Mort soulève une pierre sépulcrale et se montre armé de sa faux traditionnelle, à peu près comme dans les tombeaux Pompadour que l'on voit à SaintSulpice et autres églises du temps.

Après une pareille scène, les classiques ne seront plus en droit de reprocher aux romantiques leurs catafalques, leurs bières et l'abus qu'ils font dans leurs drames de toutes sortes d'ustensiles lugubres. Voici, d'un seul coup, l'homme de la forêt du Mans, très-sauvage et très-effroyable à l'œil; trois chevaliers noirs, à tête de mort;

une perspective de cimetière; plus, un squelette allégorique orné de ses attributs; ce qui est peu gai et peu anacréontique.- La musique de cette scène est, du reste, très-bien appropriée à la situation; elle est sombre, lugubre, effrayante, et rappelle heureusement les passages sataniques de Robert le Diable. Aux cris de frayeur que pousse le roi, on accourt. Isabeau dit à Bedfort: « Vous voyez, j'étais sûre que cet éclair de raison s'éteindrait bien vite. » Odette tâche en vain de rappeler à lui le malheureux roi, qui s'agite comme un forcené, demande des armes et pousse des imprécations contre son fils, auquel il croit des intentions parricides et qu'il veut livrer aux fureurs de sa marâtre. Pendant cette scène, un appel de cor se fait entendre. C'est le signal convenu entre Odette et le Dauphin. Malheureusement, Charles, épouvanté par les fantômes qui viennent de lui apparaître, trahit le secret de la conspiration, chante, à la place d'Odette, qui s'y refuse, le couplet qui doit servir de réponse aux fanfares du cor, et fait si bien, que le Dauphin, trompé, arrive juste pour tomber entre les mains de Bedfort et de la reine.

De la chambre du roi, nous sautons sur les bords de la Seine, non loin de Saint-Denis, au camp de Dunois. Il fait nuit. Des feux de bivac scintillent çà et là. Dunois, Tanneguy-Duchâtel, Lahire, Saintrailles, forment différents groupes. Poultier, sous l'habit d'un homme d'armes, chante à ses camarades une romance sur Jean de Nivelle, mélodie gracieuse et fraîche qui, soupirée par la voix d'argent du jeune ténor, a produit beaucoup d'effet et obtenu les honneurs du bis. De toutes parts arrivent de nouveaux combattants et de nouveaux renforts. Mais bientôt paraît Odette avec son père, Raymond; elle annonce tristement que le roi est retombé en démence et que le Dauphin est prisonnier des Anglais. Demain, le Dauphin sera à Saint-Denis, où le roi doit remettre à Bedfort l'oriflamme et déclarer son fils indigne du trône. Les chevaliers du parti du Dauphin complotent de s'aller cacher dans les caveaux de SaintDenis et de troubler la cérémonie par une irruption soudaine. Ils comptent sur Raymond pour faciliter l'exécution de leur projet ; car, ainsi que nous l'avons dit plus haut, le père d'Odette a été nommé gardien de la sépulture des rois.

La scène change encore et représente l'intérieur de l'église de

Saint-Denis, magnifique effet de diorama dû aux pinceaux de MM. Séchan, Diéterle et Despléchin, qui n'ont pas de rivaux pour l'exactitude et la réalité de leurs architectures. Les vitraux étincellent de tous les feux du prisme; le soleil plonge ses longs rayons sous les ogives obscures, et l'illusion est si complète, que l'on croit sentir l'odeur de l'encens. L'oriflamme est suspendue sous une espèce de portail découpé à jour, qui s'élève, on ne sait trop pourquoi, au milieu du théâtre. Charles s'avance soutenu par Isabeau, plus pâle que les statues des rois ses aïeux, et demande ce que l'on veut de lui. « Le châtiment d'un traître! » répond la reine. Malgré les réclamations du Dauphin, qui proteste de son innocence, Charles prend l'oriflamme et va la remettre à Bedfort, en ordonnant au peuple de reconnaître Lancastre pour roi. Mais, à cet instant, Odette sort des caveaux avec les chevaliers français, saisit l'oriflamme, et, descendant rapidement l'escalier, remet la sainte bannière aux mains du Dauphin. Sans respect pour la sainteté du lieu, une lutte va s'engager, quand Charles, illuminé d'une inspiration prophétique, prédit à Bedfort et à la reine leur fin prochaine et misérable. Il voit dans l'avenir les victoires de la Pucelle, le sacre de Reims, le bûcher de Rouen, etc., etc.; puis il tombe mort dans les bras de ceux qui l'entourent!« Le roi n'est plus ! dit Dunois. Vive le roi!» répond le peuple en se rangeant autour du Dauphin.

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Guerre aux tyrans! jamais en France,
Jamais l'Anglais ne régnera!

Et la toile tombe sur ce refrain patriotique.

Baroilhet, chargé du rôle principal, a représenté le vieux roi avec un grand talent de comédien et de chanteur. Son regard, son geste, son maintien, tout est bien d'un fou et d'un vieillard. Il a donné aux endroits lucides de son rôle un ton de sensibilité tout à fait sympathique, et s'est montré à la hauteur de sa réputation. Madame Stoltz, dans le personnage d'Odette, a fait voir, ce dont nul ne doutait, qu'elle est une actrice parfaite, pleine d'intelligence, d'esprit et de passion. Sans être aussi irréprochable comme chanteuse, elle a fait preuve des plus rares qualités.

II

AVRIL 1843.- Palais-Royal : les Hures graves. Variétés : les Buses graves. En quoi consiste le comique des parodies. Quels sont les vrais parodistes. N'est pas parodié qui veut. — Ambigu : les Enfants trouvés, par M. Bouchardy. — L'auteur absent de son œuvre. — Tort de la critique. Italiens concert de Sivori. — Le Carnaval de Venise. — Variétés les Caravanes de Mayeux: - Des types originaux créés par l'époque actuelle. - Début de Neuville. — Le comique dans la difformité. Rentrée de Dolorès et de Camprubi. --- La rondalla.

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4 avril.

PALAIS-ROYAL et VARIÉTÉS. Les Hures graves. Les Buses graves. Nous avouons très-humblement n'avoir jamais rien compris aux parodies. En effet, que peut-il y avoir de plaisant à mettre un récureur d'égouts à la place d'un empereur, un cocher de fiacre à la place d'un seigneur élégant, une maritorne à la place d'une duchesse? La seule parodie amusante et curieuse des œuvres des grands maitres est faite par leurs disciples et leurs admirateurs; ce sont eux qui, par leurs imitations maladroites, mettent en relief tous les défauts de l'ouvrage qu'ils copient. Le sérieux profond qu'ils apportent dans leurs exagérations est beaucoup plus comique que les inventions les plus saugrenues des parodistes. Les auteurs de vaudevilles qui, jusqu'à présent, ont fait la charge des pièces de M. Hugo, n'ont pas le moins du monde le sentiment de la manière du poëte. Les vers de leurs pièces, loin de donner l'idée du style et du rhythme romantiques, ressemblent aux vers d'épître de M. Casimir Delavigne. On n'y retrouve ni les tournures, ni les images, ni les coupes, ni les idées familières à la jeune école. Une caricature, pour être bonne, doit contenir les traits réels du modèle, déviés, il est vrai, et accentués dans le sens ridicule, mais cependant faciles à reconnaître au premier coup d'œil. Les parodistes ordinaires sont tel

III.

3.

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