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d'Aubray, c'est-à-dire apprendre à l'oncle de Catherine que celui auquel il va la livrer, est un fourbe audacieux, un fieffé gredin, qui a trois cent mille francs de dettes contractées dans les tripots, et, de plus, une maîtresse, madame de Renneville, dont il a l'intention de ne point se séparer, quoi qu'il arrive. — Pour prévenir l'effet de cette révélation, d'Aubray confesse, avec une feinte humilité, ses erreurs de jeunesse à Catherine, mais en se taisant toutefois sur le chapitre de madame de Renneville. L'innocente fille, touchée de la délicatesse de cet aveu, pardonne à son futur époux, et jure de n'appartenir jamais à un autre que lui. Aussi, lorsque Louis Morel vient pour faire sa dénonciation, Catherine l'arrête au premier mot, avec un geste superbe, en lui disant : « C'est bien, je sais tout! »

Le contrat est sur le point d'être signé, quoique la confiance de M. Renaud soit un peu ébranlée par les insinuations de Morel. Catherine, crédule comme la jeunesse et l'amour, persiste dans sa résolution, et, dût-elle être malheureuse, elle sera la femme de Lucien d'Aubray. L'oncle se voit forcé lui-même de consentir, car Lucien a eu l'infamie de faire répandre le bruit que l'honneur de mademoiselle Renaud exigeait la prompte conclusion de ce mariage. Il faut, pour dessiller les yeux de la charmante aveugle volontaire, que Louis Morel lui fasse lire une lettre adressée par d'Aubray à madame de Renneville, lettre dans laquelle il l'assure que sa position conjugale n'interrompra pas leurs relations amoureuses, et où il lui raconte la calomnie horrible dont il a noirci la vertu de mademoiselle Renaud.

Un caractère comme celui de d'Aubray n'est ni comique, ni dramatique; il est repoussant: c'est un drôle vulgaire qui mérite d'être traduit, non pas sur la scène, mais bien en police correctionnelle ou en cour d'assises. C'est de la coquinerie médiocre, sans passion, sans portée, sans grandeur; d'Aubray se conduit comme une infinité de gens qu'on appelle habiles lorsqu'ils réussissent, et gredins lorsqu'ils échouent. Il a des dettes, des créanciers; qui est-ce qui n'en a pas, excepté ceux qui n'ont pas trouvé de crédit? Il tâche de combler son déficit en épousant une belle dot doublée d'une belle rien n'est plus commun dans le monde, et cela s'appelle faire un bon mariage. Après tout, palper trois cent mille francs

fille;

sur une dot de trois millions, le crime n'est pas si grand, et une foule de gens qui se croient très-honnêtes le commettent tous les jours. Seulement, le théâtre exige un certain grandiose dans le crime ou dans la vertu. A la scène, un brigand vaut mieux qu'un voleur, un voleur vaut mieux qu'un fripon.

Qu'y a-t-il de plaisant, qu'y a-t-il d'intéressant dans les péripéties qui s'amoncellent autour d'un misérable comme d'Aubray? Où est le rire? où sont les pleurs?

Tout l'intérêt porte donc sur la jeune fille, et encore ne conçoit-on guère chez elle un amour qui n'est justifié par aucune qualité, par aucun vice séduisant.

Louis Morel, qui joue, tout le temps de la pièce, en faveur de l'innocence et de la vertu, le rôle de dénonciateur et d'espion, a, malgré tous les éloges que l'auteur lui prodigue par la bouche d'une mère à peu près inutile à l'action, quelque chose d'embarrassé et de peu sympathique. Et, si le spectateur éprouve quelque satisfaction en pensant que mademoiselle Catherine Renaud échappe aux piéges de d'Aubray, il la voit sans le moindre intérêt devenir la femme de Louis Morel.

Maillard a joué tristement le triste personnage de Lucien; Samson et Provost se sont tirés avec honneur de deux rôles difficiles, et mademoiselle Plessy a eu trois jolies robes.

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24 septembre.

OPERA-COMIQUE. La Sainte-Cécile. Vous croyez peut-être, sur ce titre au parfum mystique, que vous allez voir cette charmante sainte que Raphaël nous représente, les yeux noyés d'extase et d'harmonie, chantant des hymnes en s'accompagnant de la basse, un ange lui servant de pupitre pour porter sa musique. Le nom de M. Ancelot vous fera bien vite revenir de cette erreur. M. Ancelot a plus l'habitude des vaudevilles que des mystères, et il ne peut guère chercher ses sujets dans la légende de Voragine. Il a pris pour domaine le xviiie siècle, et s'est fait une espèce de genre pseudo-Pompadour qui, grâce aux jupes à paniers, aux habits à paillettes, à la poudre et aux mouches, a obtenu de certains succès sur plusieurs théâtres.

De la lecture mal comprise de Crébillon le fils, charmant prosateur bien au-dessus de monsieur son père le tragique, M. Ancelot s'est fait un petit style fardé, pommadé, papillotant, miroitant, qui singe tant bien que mal la légèreté naturelle de l'auteur du Sofa, des Matinées de Cythère, des Egarements du cœur et de l'esprit.

On peut faire dans cette manière d'assez agréables vaudevilles; le ton leste, impertinent, débraillé, qui est admis au théâtre comme étant celui des talons rouges de l'ancienne cour, est favorable à quelques acteurs au débit vif et scintillant. La liberté extrême des mœurs qu'on suppose avoir régné à cette époque de petits soupers, d'intrigues et de mascarades, permet une foule de combinaisons qui paraîtraient invraisemblables dans un autre temps et sous des costumes plus sérieux; mais, entre toutes les qualités qu'on peut reconnaître au XVIIIe siècle, il est difficile de lui accorder celle de soutenir des sujets propres à la musique. Le xvIII° siècle est sceptique, railleur, spirituel, se moquant de tout et de lui-même, coquet, musqué, aimant ses aises et, en fait de chansons, préférant les noëls égrillards, les rondes bachiques et les couplets avec des rimes en ette, fillette, coudrette, seulette, herbette, etc. Et, à coup sûr, rien n'est moins lyrique la musique veut de la passion et non de l'esprit. Il ne s'agit donc que fort épisodiquement de sainte Cécile dans la pièce de l'Opéra-Comique. Le héros véritable est Carle Vanloo, un peintre beaucoup trop méprisé aujourd'hui, mais dont beaucoup de nos artistes les plus fiers feraient bien de s'approprier la couleur argentée et limpide, les contours coulants, la composition abondante et la merveilleuse souplesse de pinceau. Carle Vunloo eût été, ce nous semble, un fort bon titre; mais, comme on dit, l'étiquette ne fait rien à la marchandise, et cela n'empêche pas la pièce de MM. Ancelot et Comberousse d'être leste et amusante. Seulement, elle eût été mieux à sa place au Vaudeville: il n'y a pas là l'ombre d'une situation musicale, et il faut plaindre M. Montfort, l'agréable auteur de la musique de Polichinelle, de n'avoir pas eu à sa disposition un canevas plus heureux; cependant, il a trouvé encore un moyen de montrer son savoir-faire. Madame Anna Thillon a très-bien joué le rôle de la marquise, et Mocker a donné au rôle de Carle Vanloo de la noblesse et de la sensibilité.

III.

23.

XX

OCTOBRE 1844. — Cirque-Olympique : représentation au bénéfice du jeune Ducrow. Panem et circenses. Le nouvel Hippodrome. — Le jeune Ducrow. - Les lutteurs anglais. — Auriol. — Une centauresse. - Opéra : Richard en Palestine, paroles de M. Paul Fouché, musique de M. Adolphe Adam. — Inquiétudes des dilettanti sérieux. — L'ennui à la mode en France. Le livret de Richard et la partition. - Madame Dorus, Marié, Baroillet, Levasseur. Cirque-Olympique : la Corde de pendu,

féerie. A ceux qui demandent du nouveau. L'opéra du Soleil et le mélodrame de la Lune. Un préjugé qui tend à se perdre. — Conseils aux faiseurs de féeries. La vrai couleur du diable.

7 octobre.

crow.

CIRQUE-OLYMPIQUE. Représentation au bénéfice du jeune DuS'il y avait encore des saisons dans ce vieux monde détraqué, nous dirions que la saison finit et que le Cirque-Olympique va bientôt regagner ses quartiers d'hiver. — Toutefois, malgré la bise qui devient piquante et les feuilles qui commencent à tomber, la représentation au bénéfice du jeune Ducrow avait attiré beaucoup de monde à l'hippodrome des Champs-Élysées.

En effet, le Cirque est un spectacle des plus attrayants. Tel que nous le voyons, c'est un reste des colossales fêtes de l'antiquité; la Grèce et Rome vivent encore dans ces chevaux, ces écuyers et ces lutteurs! Quel beau spectacle ce devait être que ces amphithéâtres démesurés, vastes entonnoirs de marbre, dont les gradins pouvaient contenir cinquante mille spectateurs ; que ces arènes où les éléphants pétrissaient les tigres sous leurs larges pieds, où les ongles du lion s'enfonçaient dans les épaules de l'auroch, où les gladiateurs se battaient dans les principes et mouraient avec grâce, où l'on amenait pour les naumachies des lacs et des océans! Le peuple romain avait vraiment raison de ne demander que deux choses: panem et

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circenses. Que faut-il de plus? Ceux qui ont vu les taureaux en Espagne comprennent parfaitement ce cri, et le pousseraient au besoin de toute la force de leurs poumons. N'est-ce pas une belle et noble chose que le triomphe du courage, du sang-froid, de toutes les qualités morales sur la force aveugle et la férocité stupide de la brute? Quand la frêle épée du matador en bas de soie, en culotte courte, en veste de satin, pénètre dans le cuir épais du taureau, entre deux cornes aiguës comme des poignards, n'a-t-elle pas prouvé la supériorité de l'homme et montré qu'il est le vrai maître de la création? Les spectateurs ne se sentent-ils pas solidaires de cet acte de courage et ne sortent-ils pas du cirque avec une plus haute idée d'eux-mêmes? —La chose la plus précieuse pour l'homme, c'est la vie, et l'exposer librement dans une lutte douteuse, n'est-ce pas la plus grande victoire que la volonté puisse remporter sur la matière?

Qu'ont fait de plus les paladins et les héros? et Paquirro Montès de Chiclana ne vaut-il pas Achille Péliade? Montès pourrait même objecter en sa faveur qu'il n'a pas été trempé dans l'eau du Styx et qu'il est vulnérable ailleurs qu'au talon.

Depuis la réaction injuste et mal comprise qui s'est faite contre la matière, depuis l'ère nouvelle, tout ce qui contribue au développement, à la beauté, à la force, à la splendeur, au rhythme et à l'harmonie du corps humain, a été regardé comme répréhensible et damnable; la maigreur et la gracilité ont été l'idéal de l'art gothique, et un jeûne de plusieurs siècles a puni le monde de la grande orgie des Césars; cependant le corps humain a été modelé en terre rouge par les propres mains du grand statuaire, et ce mépris pour une forme pétrie à l'image de Dieu, nous a toujours paru une impiété flagrante.

Aussi croyons-nous au retour prochain des spectacles antiques. La lutte, les tours de force, la danse, la voltige, l'équitation, les courses en char, les courses de chevaux libres ou montés, les combats de taureaux, et tous les exercices où la puissance et l'adresse physiques sont exaltées, seront suivis et goûtés par les Parisiens de l'avenir, comme ils l'étaient par les Grecs et les Romains.

Ce sentiment est si général, que le cirque, tel qu'il est, ne suffit plus à l'empressement du public. On va élever, en dehors de la barrière

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