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vant nécessairement produire la timidité individuelle, personne ne risque sa furie dans un caprice particulier. On attend une vogue, une mode, pour pouvoir dépenser, sans être ridicule, son trop-plein d'activité enthousiaste; on se passionne pour une chose qui vous est profondément indifférente, et qui même vous déplaît beaucoup; on profite de l'occasion pour être excessif à peu de frais et à peu de risques. L'important est d'échapper pour quelques instants à cette vie formulée d'avance et d'où les perfectionnements de la civilisation ont banni toute possibilité d'aventure.

Songez quel événement pour des gens du monde qui, depuis un temps immémorial, exécutent, avec ce respect aux traditions que les Français, ces Chinois du plaisir, apportent toujours dans les choses frivoles, la contredanse, la valse, le galop et le cotillon d'avoir à faire deux ou trois mouvements de jambes, de bras, inédits dans les salons, quoique parfaitement connus des étudiants, des griselles et des sergents de ville, ces délicats appréciateurs de chorégraphie. On se met à la troisième position, on s'élance par un coup de jarret, on pousse le pied gauche en avant et de côté, tandis qu'on plie le jarret droit; voilà le premier temps. Pour le second, vous ramenez la jambe droite derrière la jambe gauche; au troisième temps, vous avancez de nouveau la jambe gauche, et vous accentuez le rhythme par un léger coup de talon. Le quatrième temps s'exécute ainsi : On lève la jambe droite, on rejette le pied derrière la jambe gauche, un peu au-dessous du jarret; on s'élance de nouveau par un petit coup de jarret de la jambe gauche; puis, au premier temps suivant, on fait glisser la jambe droite du côté opposé, et l'on continue comme devant; mais, cette fois, la jambe droite fait le mouvement contraire à celui de la jambe gauche dans la mesure précédente. Voilà ce qui a l'honneur d'occuper tout Paris depuis deux mois, ce qui a remplacé les Mystères de Paris dans les conversations générales et particulières.

La pièce des Variétes a servi de début à mademoiselle Maria Volet, sœur de la charmante comédienne de ce nom; - c'est une très-jeune et très-jolie personne, intelligente et fine, à la diction juste, au jeu sûr, qui chante bien et danse mieux : elle n'a jamais paru, que nous sachions, sur aucun théâtre, et cependant nous ne dirons pas pour

elle la phrase consacrée : « L'émotion inséparable d'un début,... » car elle avait une aisance parfaite : nul tremblement dans la voix, nulle inquiétude; elle a joué, avec tout l'aplomb de l'innocence, un rôle légèrement risqué, dans les moyens de mesdemoiselles Ozy ou Boisgontier. Son succès a été complet. La polka qu'elle danse a été applaudie à plusieurs reprises, et l'on voulait la faire recommencer. Il est vrai que mademoiselle Maria Volet (Corally) est des mieux placées pour recevoir d'excellentes leçons.

XIV

AVRIL 1844.

Opéra : le Lazzarone, ou la Fortune vient en dormant, paroles de M. de Saint-Georges, musique de M. Halévy. — De l'introduc

Deux talents

-

Madame

tion du genre bouffe à l'Académie royale de musique. hors de leur voie. — Une question traitée mais non résolue. Stoltz. La musique de M. Halévy.- Début de mademoiselle Lola Montès. - Opéra-Comique : la Sirène, paroles de M. Scribe, musique de M. Auber. La pièce et la partition. - Roger, mademoiselle Lavoye. Odéon Jane Grey, tragédie de M. Alexandre Soumet et de madame d'Altenheym. — M. Soumet poëte de transition. — Ses œuvres lyriques et dramatiques. Sa nouvelle tragédie. Mademoiselle Georges.

Concerts de Liszt.

1er avril.

OPERA. Le Lazzarone, ou la Fortune vient en dormant.-Commençons tout de suite par dire que nous n'approuvons en aucune manière l'idée de vouloir introduire la musique bouffe à l'Opéra. Ce cadre est trop vaste, trop magnifique, pour se prêter aux familiarités du genre plaisant. Il faut à l'Opéra de grands sujets tragiques ou poétiques, ou, tout au moins, de fantaisie vaporeuse : la charge n'a jamais pu s'y acclimater, et tous les essais de cette nature y ont été malheureux. Les chanteurs français n'ont pas, d'ailleurs, la légèreté de vocalise et la volubilité de prononciation nécessaires pour exécuter

cette musique vive, pétulante, rieuse, moitié parlée, moitié chantée, dont Cimarosa a donné de si parfaits modèles.

Le Lazzarone a peu réussi, et l'on devait s'y attendre. M. de Saint-Georges n'a pas la verve joyeuse, le caprice extravagant, la folle bonne humeur qu'il faut pour écrire un livret d'opéra bouffe. M. Halévy, maestro sérieux jusqu'à la tristesse, harmoniste consommé, compositeur inspiré, surtout dans les situations extrêmes et passionnées, est, à cause de ses qualités, l'homme le moins propre du monde à écrire de la musique légère.

Le sujet, emprunté à une fable de la Fontaine, la Fortune vient en dormant, présente l'antithèse d'un jeune lazzarone, Beppo, qui passe les journées au soleil, sur le môle, à dormir ou à ne rien faire, à boire de l'eau de neige, à manger du macaroni, et d'un certain improvisateur nommé Mirobolante (singulier nom), doué d'une extrême activité, et qui fait toutes sortes de métiers pour arriver à la fortune, que l'autre se contente d'attendre, disant que, si elle veut de lui, elle est femme, et saura bien le trouver. Une jeune fille, Battista, qualifiée par le livret marchande de fleurs sur le quai de Naples, est posée entre ces deux extrêmes, entre le fainéant et le laborieux. Naturellement, Beppo, qui n'a rien à faire, est amoureux d'elle l'amour est le travail des oisifs. Battista l'aime aussi, attendu que les fainéants ont meilleure mine que les pauvres diables jaunis par la convoitise et ridés par la fatigue. Mirobolante a des prétentions sur la jeune fille, mais c'est dans des vues intéressées. Un de ses malades-car, à son métier d'improvisateur, il joint celui de frater, -lui a confié un secret. Battista est la nièce d'un vieil avare appelé Corvo, qui l'a égarée toute petite, pour n'avoir pas de comptes de tutelle à lui rendre plus tard; mais la connaissance de ce secret, loin de servir à Mirobolante, qui s'est donné la peine de le découvrir et de faire les démarches nécessaires pour en tirer parti, tourne à l'avantage du nonchalant Beppo, qui, au lieu d'épouser une pauvre marchande de bouquets, devient le mari d'une riche héritière.

La question de la fortune vient en dormant n'est réellement pas traitée dans cette fable musicale, dont la moralité serait plutôt qu'il faut, avant tout, se faire aimer; ce qui n'est pas difficile quand on est un joli garçon, comme madame Stoltz.

III.

15

L'orchestre est fait avec ce soin, cette élégance et cette recherche harmonique qui caractérisent la manière de M. Halévy. Il est impossible d'entendre un plus joli babil, un plus charmant caquetage instrumental: le chant n'est pas aussi heureux.

Madame Stoltz est charmante sous les costumes d'homme, surtout avec l'uniforme de dragon, qu'elle endosse lorsque Mirobolante, par ses machinations, lui a fait prendre le parti désespéré de s'engager.

Nous voudrions bien ne pas parler de mademoiselle Lola Montès qui, par son prénom, nous rappelle une des plus jolies personnes de Grenade, et, par son nom, l'homme qui nous a fait éprouver les plus fortes émotions dramatiques que nous ressentirons jamais, Montès la plus illustre épée d'Espagne. Mademoiselle Lola Montès n'a d'andalous qu'une paire de magnifiques yeux noirs. Elle hâble un espagnol très-médiocre, parle à peine français, et passablement l'anglais. De quel pays est-elle véritablement? Voilà la question. Nous pouvons dire que mademoiselle Lola a le pied petit et de jolies jambes. Quant à la manière de s'en servir, c'est autre chose. La curiosité excitée par les divers démêlés de mademoiselle Lola avec les polices du Nord, par ses conversations, à coups de cravache, avec les gendarmes prussiens, n'a pas été satisfaite, il faut l'avouer. Mademoiselle Lola Montès est bien au-dessous de Dolorès Serral, qui a, du moins, l'avantage d'être une Espagnole authentique, et qui rachète ses imperfections comme danseuse par un abandon voluptueux, une passion, un feu et une précision de rhythme admirables. Nous soupçonnons, d'après le récit de ses exploits hippiques, mademoiselle Lola d'être plus forte à cheval que sur un plancher.

OPERA-COMIQUE. La Sirène. - M. Scribe vient encore de faire des siennes! Qui done le croyait épuisé ou, du moins, fatigué, lassé? qui donc avait prétendu, parce que de légers nuages ont un instant voilé sa lumière, que cet astre du vaudeville allait en déclinant, qu'il était près de s'éclipser? Nous l'avons déjà dit, M. Scribe est, comme Dieu, toujours égal à lui-même. Il a eu un commencement, c'est vrai, et sans doute il aura une fin; mais il disparaîtra, il ne tombera pas, soyez-en sûrs. On le retrouve dans cette pièce de la Sirène avec tous les défauts qui constituent ses qua

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lités c'est toujours le même clinquant dramatique, le même luxe d'invraisemblances ingénieusement dissimulées par les mêmes petits moyens. Aussi les bourgeois iront-ils applaudir en foule à ce nouveau tour d'adresse de M. Scribe. - Les intrigues ourdies par cet habile et fécond ouvrier ressemblent à ces frêles tissus qui se soutiennent à force de gomme et d'apprêt, mais qui ne résistent pas à l'éponge. Ses canevas, où les fils s'enchevêtrent avec un art infini, ont juste la consistance des toiles d'araignée soufflez dessus, tout disparaît aussitôt ! Essayons cependant, en y mettant la précaution nécessaire, de nous démêler de cette trame que M. Scribe nous a donnée l'autre soir pour un opéra-comique, parce que M. Auber a bien voulu la rehausser de broderies musicales.

Et, d'abord, tâchons de nous orienter. Nous sommes au milieu des Abruzzes, sur la limite septentrionale du royaume de Naples ; il nous semble apercevoir, là-bas, la crête neigeuse du monte Cavallo, et voici, devant nous, un petit ermitage comme nous souhaitons d'en trouver un sur nos vieux jours, quand, pour expier nos feuilletons, nous nous ferons anachorète. C'est un presbytère veuf de son curé, passé depuis peu de vie à trépas. Entrons-y; aussi bien nous y serons tout à l'heure en assez nombreuse compagnie. Le premier survenant est un certain Nicolaio Bolbaja, récemment nommé directeur du théâtre de la cour, et qui cherche une prima donna par monts et par vaux. Il a peu de chances d'en rencontrer une au sommet des Abruzzes, direz-vous: les cantatrices ne perchent pas si haut; elles ont, en général, des habitudes moins sauvages. - Bab! qui sait! Il existe partout des oiseaux chanteurs. Mais ce n'est pas comme impresario que Bolbaja se présente au presbytère, c'est comme héritier de son frère le curé. Ce qui vient de l'église va s'en aller au théâtre. Notre homme arrive accompagné d'un jeune officier de marine qui se rend à Naples, et avec lequel il a fait route jusque-là, peu curieux de s'aventurer seul dans la montagne, dont les chemins ne sont pas des plus sûrs. Il est, en effet, question de combats journaliers entre les soldats de Sa Majesté Napolitaine et la troupe de Marco Tempesta, contrebandier fameux par son adresse et son intrépidité.

Pour rassurer les deux voyageurs, Mattéa, la servante du défunt

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