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Une déesse

pas déplacée sur les épaules de la Vénus de Milo. frisée n'en est pas moins belle; mais elle paraît d'abord un peu étrange. Le marbre de Paros n'a guère l'habitude des papillotes.

VAUDEVILLE. L'Homme blasé. · - Arnal est riche; il a cent cinquante mille livres de rente, qu'il dépense consciencieusement; aussi est-il blasé. On le serait à moins. Il y a de par le monde une foule de petits lords Byrons à quinze cents francs d'appointements qui prétendent être revenus de tout, bien qu'ils n'y soient point allés. Au moins, si Pierre-Ponce Nantouillet est blasé, a-t-il fait tout ce qu'il fallait pour cela: femmes, chiens, chevaux, jeu, soupers, il a usé et abusé de tout; comme Salomon, il est tenté de s'écrier: « Rien de nouveau sous le soleil, et même sous le gaz ! » Que faire? A quoi employer ces vingt-quatre interminables heures dont se compose la journée? Couronner des rosières, acheter des ingénuités à des veuves de colonel, boire du vin de Champagne dans des pistolets chargés, tout cela est fade et commun! « Si je faisais courir des femmes au Champ de Mars, et si je menais des juments aux avantscènes, cela me divertirait peut-être, s'écrie le malheureux PierrePonce Nantouillet dans un paroxysme d'ennui. Une sensation! une sensation! Mes cent cinquante mille livres de rente pour une sensation! — Mariez-vous, lui disent ses amis; vous en éprouverez une que vous ne connaissez pas encore; celle d'être... Oh! quelle idée! répond Pierre-Ponce Nantouillet illuminé; mais je n'ai personne en vue. Bah! tant mieux, j'épouserai la première femme que je rencontrerai. »

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La première qu'il rencontre est une demoiselle des Canaries, sa voisine, jeune personne fort éveillée qui a été quelque chose comme Blanchisseuse de fin, puis modiste, et jolie femme principalement; elle vient faire une quête pour les personnes grêlées. Nantouillet lui offre son cœur, son ennui et ses cent cinquante mille livres de rente. La timide mademoiselle des Canaries se hâte d'accepter le tout; mais voici qu'un rival vient se jeter à la traverse, un ancien maître serrurier retombé à l'état de simple compagnon par suite de ses folles dépenses pour cette même mademoiselle des Canaries, qu'il accuse Nantouillet d'avoir détournée du chantier de la sagesse; - car, venu chez l'homme blasé pour poser un balcon à une fenêtre qui

donne sur la rivière, il y a rencontré l'ancienne idole de son

cœur.

La colère du Vulcain s'allume à cette vue; il ne souffrira pas qu'un moderne lui souffle ainsi sa particulière, et il provoque Nantouillet à un de ces duels où ne sont employées que les armes fournies par la nature, c'est-à-dire à un combat de savate. « Une émotion! dit Nantouillet; si je pouvais attraper un coup de poing! » Et, comme il a reçu de Charles Lecourt, ce Grisier du chausson, les plus purs principes de l'art, il baise la main de mademoiselle des Canaries et se met en attitude. Après des coups portés et reçus, les deux champions se prennent à bras-le-corps et finissent, en se poussant et en se reculant, par tomber de la fenêtre, où le balcon n'est pas encore posé, au beau milieu de la rivière. « Tant mieux! ça les séparera peut-être, » dit l'impassible mademoiselle des Canaries.

Ils se séparent en effet, après avoir bu quelques bouillons, et regagnent la rive tant bien que mal, chacun pensant avoir noyé son rival et fort inquiet sur les suites de cette algarade. Nantouillet va cacher sa frayeur et ses remords dans une ferme où il a une filleule des plus gentilles, remarquez bien ceci. - Persuadé qu'on va le poursuivre à cause de la mort du serrurier, il se cache sous les habits d'un berger, conduit au pâturage des moutons qui ne sont pas blancs du tout et auxquels on a négligé de faire des rosettes de rubans roses; it mange du pain bis et de la soupe aux choux, arrosée de piquette, lui, le Sardanapale, le Lucullus, l'usé, le blasé. Effet du contraste il ne se sent pas trop malheureux dans sa nouvelle condition; il digère mieux, il dort paisiblement ; les remords le tourmentent bien un peu, mais, après tout, il était dans le cas de légitime défense; seulement, les clefs, les gonds, les loquets, les grilles, tout ce qui se rapporte à la profession de serrurier lui est insupportable. Les noyers aussi lui déplaisent, leur ombrage lui rappelle le noyé; mais il se distrait un peu de ces pensées funèbres en regardant les beaux yeux de Louise.

Un homme qui a cent cinquante mille livrés de rente ne disparaît pas sans faire paraître aussitôt une foule d'héritiers. Les héritiers accourent donc à la ferme, accompagnés d'un juge de paix, et s'ex

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priment sur le compte de Nantouillet de la façon la plus irrévérencieuse; celui-ci les entend et profite d'un moment où il est seul pour ajouter au testament un codicille par lequel il institue Louise son unique héritière. Grande surprise des héritiers, qui se mettent à courtiser la petite paysanne, devenue tout à coup un excellent parti. Indignation de Nantouillet, qui se montre, oubliant la chute dans la rivière. Le juge de paix l'arrête comme assassin du serrurier et le met en prison dans une chambre qu'il fait garder par des sentinelles. Un souterrain est le seul moyen de fuite laissé au pauvre Nantouillet. Il s'y engage! Mais, grands dieux ! quels sont ces gémissements, ces cris sourds? Nantouillet, qui ne se plaint plus de manquer d'émotions, a vu dans la cave l'ombre de sa victime, et bientôt il ressort avec des cheveux blancs!-Tout s'explique : le serrurier, croyant aussi avoir un meurtre sur la conscience, est venu chercher un refuge dans la ferme, où il a des amis, et il s'est rencontré dans le souterrain avec son adversaire. Nantouillet car il faut bien épouser quelqu'un ou

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quelque chose pour terminer une pièce se marie avec mademoiselle Louise, la jolie petite paysanne, chez laquelle il trouvera la fraîcheur d'âme et d'émotions qui lui manque. Comme ses moyens lui permettent d'avoir de la famille, souhaitons beaucoup d'enfants à M. Pierre-Ponce Nantouillet, le blasé. A coup sûr, il aura beaucoup de représentations.

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Une analyse ne peut pas donner l'idée de cette pièce, pleine de folie, de gaieté et de bons mots. Le motif, chose éminemment rare, en est original et neuf. — Arnal représente Nantouillet d'une façon on ne peut plus drolatique. Ce délicieux acteur a une gaieté pleine d'humeur et de caprice, qui lui assigne une place à part : il est brusque, imprévu, fantasque, amusant par son individualité propre, autant peut-être que par celle du personnage qu'il représente. Ce n'est ni par la justesse ni par la vérité qu'il brille, et souvent une intonation fausse, une transposition d'effet, un geste à contre-temps, produisent chez son public l'hilarité la plus franche.

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Théatre-Français : la Tutrice, ou l'Emploi des

richesses, comédie de M. Scribe. — Le Briarée dramatique. La littérature et les travaux forcés. Le public a la mémoire courte. — OpéraComique: l'Esclave de Camoëns, paroles de M. de Saint-Georges, musique de M. de Flottow. - Porte-Saint-Martin : les Iles Marquises, revue de l'année, par MM. Cogniard frères. - Un filon épuisé. Des plaisanteries

qui portent à faux. M. Puff, roi de l'époque. Cirque-Olympique : le Vengeur, par M. Anicet Bourgeois. - Un drame qui n'a qu'une scène.

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- Odéon le Médecin de son honneur, drame de Calderon, imité par M. Hippolyte Lucas. Le dieu de Calderon. - Fleurs poétiques que

l'on ne cultive plus.

Rouvière, mademoiselle Julie Berthaud. Coup d'œil rétrospectif,

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4 décembre.

THEATRE-FRANÇAIS. La Tutrice, ou l'Emploi des richesses. Le nom de M. Scribe revient si souvent sous la plume du critique, qu'il est presque impossible de dire, sur le compte de cet habile et fécond producteur, quelque chose, non pas qui soit neuf, la prétention serait exorbitante, mais qu'on n'ait dit qu'une vingtaine de fois seulement. Le grand Opéra, l'Opéra-Comique, le Théâtre-Français, les quatre théâtres de vaudeville, la Porte-Saint-Martin, vous servent du Scribe depuis quinze ans et plus, sans interruption. A nos débuts dans le feuilleton, cela nous ennuyait un peu de retrouver toujours ce Lope de Vega pour la fécondité au tournant de toutes nos colonnes maintenant, nous en avons pris notre parti.

Il faut bien l'avouer, la consommation de pièces de théâtre qui se fait aujourd'hui est si grande, que les auteurs n'y peuvent suffire. Il n'y a pas assez de talents constatés, et il s'en produit trop peu de nouveaux pour qu'un esprit comme M. Scribe ne soit pas accueilli partout avec reconnaissance. Une pièce de M. Scribe ne tombe jamais complétement, elle réussit plus ou moins, voilà tout; et le

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nombre des réussites l'emporte de beaucoup sur les succès négatifs. Bien qu'il n'ait jamais pu se concilier les suffrages des artistes, et peut-être à cause de cela, M. Scribe plaît aux masses. Il est en communion avec elles; il ne les devance pas, il les suit. Il ne fait pas au public de ces violences sublimes qui ont compromis les triomphes de plus d'un grand poëte; il ne hasarde pas une plaisanterie qu'il ne soit sûr de son effet, et garde des mots en portefeuille des années entières, attendant qu'ils mûrissent. Il écrit comme les bourgeois voudraient parler. Ses observations de mœurs sont superficielles et souvent fausses; mais les gens qui ne vont au théâtre que dans le simple but de s'amuser n'y regardent pas de si près, et disent : << Comme c'est bien cela! >>

Une des conditions de notre temps, c'est d'imposer aux artistes et aux écrivains un travail continu, sans trêve, sans arrêt. Quelqu'un qui ne fait qu'une douzaine de pièces ou de volumes par an est regardé comme paresseux et bientôt oublié. Faire un seul ouvrage, fût-il un chef-d'œuvre, ne suffit plus aujourd'hui; il faut frapper fort, souvent et longtemps. Au bout de quelques années de silence, une réputation est à recommencer; personne ne vous reconnaît plus. En effet, on a bien autre chose à faire qu'à retenir les noms des absents ou de ceux qui se taisent!-M. Scribe a l'avantage d'une intarissable fécondité alimentée par une foule de collaborateurs avoués ou secrets. Les pièces qu'il a faites en compagnie, il les aurait tout aussi bien faites à lui seul; mais, alors, il n'aurait pu occuper tous les théâtres à la fois et tenir toujours abondamment fourni ce grand magasin dramatique où les directeurs aux abois sont sûrs de trouver

une ressource.

Cependant, quelque facilité qu'il ait, M. Scribe lui-même commence à laisser percer cette fatigue générale qui semble peser aujourd'hui sur la plupart des littérateurs en renom, excédés par des travaux énormes et incessants. En aucun temps l'on n'a abusé à ce point des forces humaines en tous les genres. Ce qu'a dévoré le journalisme dans ces douze dernières années est quelque chose d'effrayant. Les bénédictins si vantés étaient des sybarites flâneurs à côté des hommes de lettres d'aujourd'hui. Du temps que nous faisions le Figaro avec Alphonse Karr et Gérard de Nerval, nous avions collé contre notre

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