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tique compose une très faible partie du vocabulaire de la langue française. En effet, il y compte fort peu de réprésentants, et souvent il est assez difficile de préciser leur origine. Les idiomes dérivés de l'ancien celtique ont subi des altérations profondes; beaucoup de racines ont disparu et des corruptions successives en rendent un grand nombre méconnaissables. Il a fallu en outre suppléer à ces disparitions en empruntant aux idiomes voisins tous les mots nécessaires aux besoins de la langue, et en passant dans leur nouvelle patrie, ils ont pris un caractère qui ne permet plus de les distinguer des autres. Ce rapport naturel du celtique avec les autres idiomes qui ont plus ou moins concouru à la formation du français, couvre son action d'un voile impénétrable. Pour être juste, la critique doit écarter toutes les racines qui ont pu entrer dans le français par l'intermédiaire du latin ou de l'allemand, et n'accepter comme celtiques que celles dont l'origine s'appuie sur de nouvelles présomptions. Mais si les idiomes celtiques n'ont exercé aucune influence sur les formes de la pensée, ni par conséquent sur l'ensemble de la langue, leur action a dû être assez considérable sur la prononciation et sur la forme que celle-ci imprime

aux mots.

De toutes les langues romanes, c'est le français qui a fait le plus d'emprunts aux idiomes germaniques. Les mots provenant immédiatement de cette source forment trois classes distinctes: les premiers admis sont d'origine gothique; les seconds dérivent du tudesque, qui se divisait en deux dialectes principaux, le francique et l'allémanique. Les mots de la troisième classe sont ceux introduits par les Normands lors de leur invasion dans le nord-ouest de la France. Ces peuples, il est vrai, oublièrent très facilement leur langue, car sous le second duc de Normandie, Guillaume I, on ne la parlait déjà plus que sur les côtes; néanmoins elle laissa de nombreuses traces dans le français.3

Les colonies helléniques qui vinrent visiter la Gaule avant Rome, ne firent qu'en

Il est à croire néanmoins que si nous possédions un vocabulaire complet des idiomes celtiques, nous acquerrions bientôt la certitude qu'un certain nombre de mots qui, faute de preuves, sont rapportés à l'allemand par la philologie moderne, devraient être attribués aux idiomes celtiques.

2 Nous disons immédiatement, parce que quelques-uns passèrent d'abord dans le latin, d'où les langues romanes les ont repris.

3 On admet souvent que l'aplatissement des formes, l'un des caractères du français, est un résultat de la conquête normande. Les Serments de Strasbourg, le fragment de Valenciennes, la cantilène en l'honneur de sainte Eulalie sont une preuve du contraire.

toucher le bord. La civilisation grecque fut circonscrite ici dans un étroit espace. Elle eut sa vie à part jusqu'à ce que cette contrée fût devenue entièrement romaine, et c'est surtout par Rome que la Gaule connut la Grèce. Nous ne nous occuperons donc pas de la langue grecque de ces colonies; elle n'a sans doute rien fourni au vocabulaire français primitif. D'ailleurs, abstraction faite des mots grecs qui se trouvent déjà dans le latin, il s'en rencontre fort peu dans la langue française, et le plus grand nombre y a passé à l'époque des croisades.

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Nous laisserons également de côté les Aquitains. Ils étaient trop éloignés des provinces du Nord pour exercer une influence notable sur la langue d'oil. Elle n'a reçu d'eux que quelques mots isolés.

Pour compléter cette nomenclature des éléments constitutifs du français, nous dirons qu'il a adopté un très petit nombre de mots arabes.

DIVISION DU ROMAN DES GAULES EN LANGUE D'OIL ET EN LANGUE D'OC.

Il est très probable, grammaticalement parlant, qu'il y eut d'abord dans les Gaules une seule et même langue, avec des nuances diverses toutefois selon les localités. Dès la fin du IXe siècle, nous y trouvons deux langues fort distinctes: le Provençal au sud, et le Français proprement dit au nord. Le premier est encore connu sous le nom de langue d'oc, de langue romane, de langue occitanienne; le second est désigné aussi sous le nom de roman ou de langue d'oil. On les nomma langue d'oc et langue d'oil d'après le mot qui servait dans les deux pays à exprimer la particule oui.

On rencontre dans la langue d'oïl quelques dérivations et compositions formées à la manière allemande, et la syntaxe des idiomes germaniques a sans doute réagi assez fortement sur celle du latin; toutefois ce sont là des particularités qui disparaissent dans l'ensemble. Mais si l'action des idiomes germaniques n'a causé, en dernier résultat, aucun dérangement essentiel dans l'organisme de la langue romane, elle a été au contraire très considérable sur la prononciation et sur la forme des mots. La prononciation allemande et la prononciation celtique ont donc dénaturé le latin en France; c'est de ces deux prononciations que sont venues les plus notables différences par les

1 Nous ne parlons pas des expressions introduites dans la terminologie des sciences.

quelles les mots français se distinguent dans leur forme et leur contexture, des mots latins correspondants. Il est arrivé de là que les différences dialectales qui, comme nous l'avons fait observer, ont marqué, dès l'origine, le langage des diverses provinces, existent principalement dans la prononciation et dans la forme des mots.

Nous renvoyons aux ouvrages spéciaux pour l'étude de ces différences dialectales, dont nos modèles donneront une idée. Nous dirons seulement que les règles grammaticales étaient les mêmes pour tous les dialectes de la langue d'oil: tous, sans exception, étaient régis par la même grammaire.

Le plus ancien monument connu de la langue romane est le serment prononcé en 842 par Louis le Germanique. L'historien Nithard nous l'a conservé. Viennent ensuite, pour la langue d'oïl, une cantilène en l'honneur de sainte Eulalie, et un fragment d'homélie découvert à Valenciennes, remontant tous deux au Xe siècle; pour le provençal, un poème sur Boëce, ministre de Théodoric, et un autre poème singulièrement curieux, intitulé: La noble leçon des Vaudois (la nobla leyczon).

INFLUENCES QUI SE MANIFESTENT DANS

LA LITTERATURE FRANÇAISE.

Pour comprendre comment une littérature s'est formée et pour expliquer ses modifications successives, il faut remonter à l'origine de la nation, se faire une idée juste de sa religion, de son gouvernement, de ses mœurs; il faut enfin reconnaître les grandes idées sociales qui affectèrent profondément son existence.

On sait à peine ce qu'était la Gaule, quant aux rapports philosophiques et littéraires, avant la conquête de Rome. La renommée intellectuelle de ses habitants ne commence qu'après la disparition de leur indépendance politique. C'est aux écrivains grecs et latins que nous devons les notions qui nous restent sur les Gaulois. Ils nous les peignent comme un peuple hardi, entreprenant, dont le génie n'est que mouvement et conquête. Ce sont de grands corps blancs et blonds, qui se parent volontiers de chaînes d'or et de tissus rayés anx brillantes couleurs. Ils aiment en tout l'éclat et la bravade; leur esprit est adroit, curieux, pénétrant. Race sympathique et sociable, ils s'unissent en grandes hordes; ils ont un langage rapide, concis dans ses formes, prolixe dans son abondance et plein d'hyperboles.

L'invasion romaine transforma presque complétement la Gaule. Les classes supérieures de la population adoptèrent avec

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ardeur et succès les mœurs, la civilisation, la langue, la littérature des vainqueurs. La vieille langue celtique exilée des villes, ne vécut plus que parmi le commun peuple et dans les campagnes; la doctrine des druides, antique mélange de sagesse et de barbarie théocratiques, se cacha dans les montagnes de l'Auvergne et dans la Bretagne. Cet état de choses dura trois siècles, pendant lesquels l'histoire littéraire de la Gaule est celle de Rome. Un instant même l'empire d'Occident parut vouloir s'y concentrer. Nous voyons Constance Chlore, Constantin, Julien, Gratien fixer leur résidence impériale à Trèves, à Strasbourg, à Paris. Arles, Marseille, Autun, Lyon, Bordeaux, Clermont, etc., attiraient à leurs écoles florissantes des milliers d'élèves de toutes les parties de l'empire; ils y étudiaient sous les plus habiles maîtres l'éloquence, la poésie, la jurisprudence, la philosophie, l'astrologie, la médecine. Le christianisme, en dénaturant cet ensemble intellectuel, dont la décadence se faisait d'ailleurs sentir de toutes parts, lui donna une nouvelle vie. La théologie prit la place de la philosophie, la moralité des évêques remplaça la rhétorique des sophistes.

Toutefois la littérature paienne du IVe au VIIe siècle ne fut pas plus féconde et plus solide dans les Gaules qu'ailleurs; elle ne produisit guère que des vers rocailleux, des panégriques, des amplifications de rhétorique. Quant aux compositions chrétiennes, l'esprit de liberté, de moralité, d'enthousiasme religieux y jetait, à la vérité, une animation réelle, une éloquence intime, quoique sous des formes souvent barbares ou affectées; mais la nature, toute mystique des matières s'opposait à une influence active sur les intérêts sociaux. En un mot, cette civilisation si brillante à l'extérieur ne reposait sur rien de solide; c'était un simple vernis: les mœurs étaient corrompues, les hommes énervés; il n'y avait rien dans ce siècle qui pût arrêter l'empire à son déclin ou les barbares qui de toutes parts se ruaient sur leur proie.

De ces nouveaux conquérants de la Gaule, les derniers venus furent les Francs. Nous l'avons déjà dit, leur nationalité vivace absorba toutes les autres; ce sont donc eux qui doivent fixer plus spécialement notre attention. Avant la lutte avec Rome, les Francs se confondent parmi les autres tribus du Nord, et, de même que chez les Gaulois, leurs travaux intellectuels sont enveloppés d'une profonde nuit; mais quand ils se trouvèrent en contact avec le gigantesque empire, quand ils prirent leur part dans la destruction du monde romain, cette longue guerre de la barbarie contre la civilisation fut

pour eux un fait inspirateur. Nous avons | lectuelle des Francs aux Gallo-Romains.

dit barbarie", parce que c'est un terme convenu; cependant la langue des peuples germaniques présente dans son système des combinaisons si savantes, des origines si lointaines, des influences si étendues, qu'elle est loin d'annoncer des hommes véritablement barbares. L'étude de leur poésie nous donne une idée plus haute encore de leur valeur intellectuelle. Il est vrai que cette poésie date d'une époque postérieure à l'invasion; mais, à en croire Tacite, Jornandès, Ammien Marcelin, à en juger par un fragment d'épopée francique retrouvé dans ces dernières années, les Germains ont eu quelque chose de semblable aux Eddas, aux Sagas, aux Nibelungen, avant de mettre le pied sur les terres de Rome. Leurs chants guerriers étaient impétueux et terribles comme le choc de leurs armes. Vaincus, ils répétaient leur chant de mort au milieu des tortures; vainqueurs, ils célébraient leur succès par de poétiques récits. Si leur poésie n'avait pas la noble et harmonieuse beauté, la majestueuse régularité des chants grecs, elle montre souvent une grandeur et une simplicité dignes d'Homère.

Néanmoins la Germanie influa plus sur la Gaule par ses mœurs que par ses monuments littéraires. Mais ses mœurs ellesmêmes trouvant dans les poèmes dont nous venons de parler leur expression la plus véritable, les idées générales qu'ils contiennent sont aussi celles que les Germains apportèrent aux Gallo-Romains. Au premier rang, il faut placer la renaissance de l'esprit guerrier, cet amour du péril, cette ivresse du combat, qui retrempa les âmes gauloises affaiblies par la civilisation romaine. Les habitants de la Gaule se ressouvinrent alors de Celtes leurs pères.

C'est là un phénomène qui se reproduit toutes les fois que la civilisation des vaincus est plus avancée que celle des vainqueurs. Le christianisme modifia dès l'abord le caractère des Francs. Il adoucit la violence sanguinaire, l'indomptable rudesse du génie septentrional; il spiritualisa, exalta même le penchant des peuples du Nord à la méditation mélancolique, en promettant, dans un autre monde, une éternité de gloire et de bonheur pour prix de sens mortifiés et des passions domptées; il sanctifia le culte des femmes, connu chez les Germains de toute antiquité.

Vous êtes tous frères, a dit Jésus-Christ. Malgré ce dogme magnifique, complément nécessaire de la sublime vérité: Il n'y a qu'un Dieu, le christianisme respecta le principe des gouvernements du Nord, et la force matérielle de la société qui se soumettait à lui sous tant d'autres rapports. Les tribus germaniques avaient apporté de leurs forêts la conscience de la liberté individuelle, le dévouement volontaire de l'homme à l'homme, l'inviolable fidélité au serment, en un mot, le culte et souvent la superstition de l'honneur; superstition glorieuse, il est vrai, dont le courage et la vertu sont la religion. Aussitôt s'établit un ordre politique qui eut l'honneur pour lien, où tout fut à la fois dépendant et libre, enchaîné par une parole. Le christianisme sanctionna par son assentiment cet ordre politique, qu'on à résumé dans le mot de féodalité.

Au-dessus de cette organisation plane un idéal nouveau, que le moyen-âge doit s'efforcer d'atteindre, le noble rêve de la chevalerie, c'est-à-dire la valeur jointe à la loyauté, la protection du faible par le fort, et le culte des femmes. Le premier ébranlement que reçut la féodalité par le grand fait des croisades porta la chevalerie à son apogée. De même qu'autrefois la lutte des barbares avec Rome avait donné un vigoureux élan au génie septentrional, la lutte entre le christianisme et l'islamisme développa le génie féodal et chevaleresque, elle y ajouta en même temps de nouveaux éléments.

Les Francs, après leur établissement dans les Gaules, n'avaient plus à craindre que les tribus germaniques restées derrière eux, et ils durent chercher à élever des barrières de ce côté pour qu'une nouvelle invasion ne vint pas les déposséder de leur conquête. Cette nécessité de position eut la plus grande influence sur la direction de l'intelligence, comme sur tout le reste. Clovis embrasse la religion des vaincus, et il rompt ainsi avec son passé et ses frères, pour s'allier avec les Gallo-Romains. Charlemagne et ses successeurs suivirent sa politique. Il y a cette différence entre la conquête de la Gaule celtique par les Romains, et celle de la Gaule romaine par les Francs, que, dans la première, les vaincus se soumirent aux vainqueurs, moralement et physiquement, tandis que la soumission matérielle des Gallo-Romains entraîna la soumission intel-ropéennes.

La passion des voyages et des aventureuses conquêtes qui animait les croisés autant que l'ardeur religieuse, les jeta au milieu du merveilleux oriental, de la poésie arabe si riche d'images, si énergique, et plus chaude, plus enivrante que celle du Nord; ils retrouvèrent, couvant sous la cendre, quelques étincelles du platonisme d'Alexandrie et d'Antioche. Ces nouvelles influences se firent sentir dans la littérature française, comme elles s'exercèrent sur toutes les littératures eu

Le christianisme, qui présidait non-seule ment au culte, mais à l'existence tout entière des populations gallo-romaines, contribua à répandre parmi les nations barbares le grec et surtout le latin, qu'il employait, et par là à relier le monde ancien avec le monde moderne. On fut forcé, pour le cultiver, à étudier les écrivains des siècles passés; l'esprit classique de la littérature romaine et avec lui l'esprit des lois de Rome pénétra chez les vainqueurs. C'est ce qu'on appelle l'influence classique. Elle fut beaucoup moins puissante que celle du christianisme sur le fond des idées, puisqu'elle ne pouvait pénétrer dans la vie intime des peuples, mais elle domina dans la forme pendant de longues périodes et à divers intervalles.

Telles sont les principales influences dont la combinaison a fait la littérature française ce qu'elle est. Nous aurons à en signaler par la suite quelques-unes encore, qui laissèrent des traces plus ou moins profondes.

CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES.

Dans toutes les langues dont il nous est donné de suivre l'histoire et la durée pendant quelques siècles, nous voyons trois époques fort distinctes; un premier temps de mobilité et de variation continuelle dans les thèmes de mots et dans toutes leurs formes; puis une seconde époque qui est celle de la fixité, pendant laquelle les thèmes et les formes des mots demeurent invariables; enfin une troisième époque où le mouvement recommence, s'accélère, va s'accroissant sans cesse jusqu'à ce que le langage périsse ou cesse d'être parlé, ou se transforme et fasse comme une nouvelle langue. Le latin p. ex. rend cette exposition sensible. Quant au français, mobile, variable, sans uniformité absolue dans son orthographe et dans les thèmes de ses mots, depuis ses premiers monuments connus jusque vers la fin du XVIe siècle, il n'est entré dans son âge de fixité que depuis le temps de Malherbe. Il se trouve encore aujourd'hui dans cette pé

riode de son existence.

La mobilité des langues dans la première époque de leur développement a pour cause le besoin d'harmonie: l'oreille qui reçoit les sons, les veut harmonieux, comme l'intelligence qui reçoit les pensées, les veut claires et précises.

est de l'Ile-de-France; mais, par suite de la position géographique de la province, il se trouva de bonne heure en contact avec les dialectes du nord et de l'ouest. Bientôt aussi la cour de France attira les seigneurs de tout le royaume à Paris, et quelque supériorité qu'ils attribuassent à la langue de la maison royale, quelques efforts qu'ils fissent pour modeler leur idiome sur celui des Parisiens, ils ne pouvaient se défaire entièrement de leurs habitudes de langage, et les habitants du pays avec qui ils étaient en rapports journaliers adoptèrent à leur tour des formes des autres dialectes. Ajoutons à ces considérations l'affluence des provinciaux à l'université de Paris, qui brillait comme un fanal sur tous les peuples de l'Occident, l'action de jour en jour plus centralisatrice de l'histoire, l'influence des ouvrages écrits dans les différents dialectes jusqu'au XVIe sièle, et l'on concevra sans peine que le langage de chaque province concourut dans la formation du français pour quelques constructions grammaticales et une partie de son vocabulaire.

Existant dès le IXe siècle, la langue d'oïl ne passa à un état de demi-formation qu'au XIIIe. A quelle cause attribuer la lenteur de ses progrès? C'est surtout à l'abandon où la laissaient les esprits trempés et aiguisés par les sérieuses études de la scolastique. Le latin retenait dans son domaine les matières qui auraient pu donner de la gravité à la pensée et de l'élévation au langage. Les plus puissants esprits du moyen-âge, les Alcuin, les Abeilard, les saint Bernard, les saint Thomas, écrivaient en latin leurs œuvres sérieuses et solides, tandis que la langue vulgaire s'égayait en libres propos auxquels elle convenait. Elle se trouvait donc doublement empêchée, et par sa nature propre et par les habitudes de ses interprètes, lorsqu'elle se hasardait à aborder de graves sujets. Toutefois elle avait de si heureuses qualités qu'elle se répandit au loin; les étran gers s'approprièrent même ses récits et ses fictions.

A la fin du XIIIe siècle, naquit la langue française proprement dite; au milieu du XIVe, elle était en pleine vigueur. Elle se prête avec grâce et souplesse à la simplicité des récits de Froissart; Marot sait lui faire exprimer, avec une vivacité naïve et piquante, les saillies de l'esprit gaulois Nous avons dit plus haut que la langue et quelques nuances délicates du sentiment. d'oil, comme toutes les langues, avait des Avant Marot, Christine de Pisan, Alain Chardialectes. Celui de l'Ile-de-France est le tier, Georges Chastelain, écrivains lettrés, plus important, en ce sens qu'il forme le avaient tenté de porter le français à la haufond de la langue actuelle. Dans le prin- teur des langues anciennes; leurs doctes efforts cipe, il avait les traits caractéristiques des ne parvinrent qu'à lui donner une noblesse dialectes des pays situés au sud et au sud-raide et empesée, une majesté d'emprunt.

Commines arriva, qui, tout en conservant au | il crée l'harmonie. Sa phrase, ils est vrai,

français sa simplicité naturelle, sut lui imprimer, de son propre fonds, un air d'autorité et de gravité.

La langue française atteint sa forte adolescence au XVIe siècle. C'est l'époque de la renaissance des lettres antiques. Alors les écrivains puisent largement à la source latine. Calvin, dans son Institution chrétienne, communiqua au français la gravité et la force du latin; Rabelais l'enrichit de tours et d'expressions empruntés aux deux langues classiques, qu'il ajouta, avec une merveilleuse habileté, au trésor du vieil idiome national. La richesse du vocabulaire du curé de Meudon est aussi étonnante que la souplesse de sa syntaxe. Amyot n'innova rien dans les mots, mais il donna à la période une étendue et une ductilité inconnues à ses devanciers. Montaigne, au contraire, plus soucieux de la couleur et du relief que de la correction, ne se fit aucun scrupule d'appeler à son aide le gascon quand le français ne suffisait pas à représenter sa pensée. Les controverses religieuses introduisirent à cette époque de nouvelles formes d'éloquence oratoires consacrées par la satire Ménippée, dans le discours de Daubray.

Tout annonçait la maturité prochaine de la langue française. En effet, Malherbe soutenu par les travaux de ses précurseurs, qui avaient vu le but sans l'atteindre, reprit dans l'ordre poétique l'œuvre de Ronsard et de son école; critique impitoyable, il rejette tout placage étranger, et avec l'exactitude d'un grammairien consommé, il constitue et il impose la langue poétique. Balzac introduit le nombre et le rythme dans la prose,

manque de variété, et une certaine emphase castillane doit couvrir chez lui le vide de la pensée. Il était réservé à Descartes d'enseigner par l'exemple l'art de penser et d'établir la proportion, l'analogie du fond et de la forme, la convenance de l'idée et de l'expression. Cependant le style du Discours de la Méthode, malgré sa perfection, ou plutôt à cause de sa perfection, ne possède que les qualités de son sujet. Il ne s'adresse qu'à l'intelligence, et n'a que cette chaleur continue qui anime et vivifie la discussion. C'est dans Pascal, pour la prose, dans Corneille, pour la poésie, que l'harmonieux accord de la pensée et du langage s'établit complétement. Dès lors la période de formation est achevée, le point de maturité est atteint.

Nous croyons apercevoir cinq phases diverses dans la littérature française, et nous les signalons sous le nom de périodes. La première contient les premières tentatives de l'esprit humain contemporaines des premiers efforts de la langue. La deuxième période est la véritable aurore de la littérature française et cette lumière plus douce que brillante qui se répand dans l'espace et annonce le soleil; mais cette aurore ne fut pas immédiatement suivie de l'apparition de l'astre, ou plutôt il se leva derrière des nuages qui en voilèrent longtemps l'éclat. La troisième période semble vouloir faire reculer la langue et jeter l'esprit dans des routes nouvelles et inconnues. Il s'en dégage enfin, et la brillante lumière du XVIIe siècle vient tout effacer. Il n'y a plus rien au delà que des tentatives qu'il faut relater, mais qui n'ont pas porté leurs fruits.

PREMIÈRE PÉRIODE.

LITTÉRATURE PROVENÇALE.

Les provinces voisines de la Méditerranée avaient eu moins à souffrir de l'invasion des barbares que celles du Nord. Les mœurs y étaient plus douces, les populations moins incultes et les traces de la civilisation romaine moins effacées. Cette partie bénie de la France, située sous un ciel pur et brillant, eut aussi le privilége d'échapper aux incursions furieuses des Normands, et le royaume de Provence, qui s'organisait

dès le IXe siècle, fut moins profondément déchiré par l'anarchie féodale. Ce fut à la faveur de ces circonstances que l'on vit d'abord se manifester là le génie poétique.

Du Xe au XIIe siècle, les premiers monuments de la littérature provençale se distinguent par la forme du langage, qui se régularisa plus vite dans le Midi que dans le Nord. Mais ils étaient de même nature. Tous les chants' qui nous sont parvenus

1 La plupart des poèmes portaient ce nom.

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