Page images
PDF
EPUB

Les âmes rarement sont de nouveau blessées; | Quoiqu'à peine à mes maux je puisse réEt dans un si grand trouble on a d'autres

pensées: Mais on n'a pas aussi de si doux entretiens, Ni de contentements qui soient pareils aux siens.

Julie. Les causes, comme à vous, m'en semblent fort obscures; Je ne me satisfais d'aucunes conjectures. C'est assez de constance en un si grand danger

Que de le voir, l'attendre, et ne point s'affliger;

Mais certes c'en est trop d'aller jusqu'à la

joie.

Sabine. Voyez qu'un bon génie à propos nous l'envoie.

Essayez sur ce point à la faire parler; Elle vous aime assez pour ne vous rien celer.

Je vous laisse. Ma sœur, entretenez Julie: J'ai honte de montrer tant de mélancolie; Et mon cœur, accablé de mille déplaisirs, Cherche la solitude à cacher ses soupirs.

SCÈNE II. Camille, Julie.

Camille. Qu'elle a tort de vouloir que je vous entretienne! Croit-elle ma douleur moins vive que la sienne, Et que, plus insensible à de si grands malheurs, A mes tristes discours je mêle moins de pleurs?

De pareilles frayeurs mon âme est alarmée; Comme elle je perdrai dans l'une et l'autre armée.

Je verrai mon amant, mon plus unique bien, Mourir pour son pays, ou détruire le mien; Et cet objet d'amour devenir, pour ma peine, Digne de mes soupirs, ou digne de ma haine.

[blocks in formation]

sister,

J'aime mieux les souffrir que de les mé

Quoi!

riter.

Julie. vous appelez crime un change raisonnable? Camille. Quoi! le manque de foi vous semble pardonnable? Julie. Envers un ennemi, qui peut nous obliger?

Camille. D'un serment solennel, qui peut nous dégager? Julie. Vous déguisez en vain une chose trop claire:

Je vous vis encore hier entretenir Valère, Et l'accueil gracieux qu'il recevait de vous Lui permet de nourrir un espoir assez doux. Camille. Si je l'entretins hier et lui fis bon visage,

N'en imaginez rien qu'à son désavantage; De mon contentement un autre était l'objet Mais pour sortir d'erreur sachez-en le sujet, Je garde à Curiace une amitié trop pure Pour souffrir plus longtemps qu'on m'estime parjure.

Il vous souvient qu'à peine on voyait de

[blocks in formation]
[blocks in formation]

M'ont arraché ma joie et rendu ma terreur. J'ai vu du sang, des morts, et n'ai rien vu de suite; Un spectre, en paraissant, prenait soudain la fuite; Ils s'effaçaient l'un l'autre ; et chaque illusion Redoublait mon effroi par sa confusion. Julie. C'est en contraire sens qu'un songe s'interprète.

Camille. Je le dois croire ainsi, puisque je le souhaite; Mais je me trouve enfin, malgré tous mes souhaits,

Au jour d'une bataille, et non pas d'une paix.

Julie. Par là finit la guerre, et la paix lui succède.

Camille. Dure à jamais le mal, s'il y faut ce remède;

[blocks in formation]

Tu fuis une bataille à tes vœux si funeste, Et ton cœur, tout à moi, pour ne me perdre pas,

Dérobe à ton pays le secours de ton bras.
Qu'un autre considère ici ta renommée,
Et te blâme, s'il veut, de m'avoir trop
aimée,

Ce n'est point à Camille à t'en mésestimer;
Plus ton amour paraît, plus elle doit t'aimer;
Et, si tu dois beaucoup aux lieux qui t'ont
vu naître,

Plus tu quittes pour moi, plus tu le fais paraître. Mais as-tu vu mon père? et peut-il endurer

Qu'ainsi dans sa maison tu t'oses retirer? Ne préfère-t-il point Rome plus que sa fille? Enfin notre bonheur est-il bien affermi? T'a-t-il vu comme gendre ou bien comme ennemi?

Curiace. Il m'a vu comme gendre, avec une tendresse

Qui témoignait assez une entière allégresse; Mais il ne m'a point vu, par une trahison, Indigne de l'honneur d'entrer dans sa mai

son.

Je n'abandonne point l'intérêt de ma ville, J'aime encor mon honneur en adorant Camille.

Tant qu'a duré la guerre, on m'a vu con- | Lassé, demi-rompu, vainqueur, mais, pour

[blocks in formation]

tout fruit,

[blocks in formation]

Il semble qu'à ces mots notre discorde expire:

Chacun, jetant les yeux dans un rang ennemi, Reconnaît un beau-frère, un cousin, un ami; Ils s'étonnent comment leurs mains, de sang avides,

Volaient, sans y penser, à tant de parricides,

Et font paraître un front couvert tout à la fois D'horreur pour la bataille, et d'ardeur pour ce choix.

Enfin l'offre s'accepte, et la paix désirée Sous ces conditions est aussitôt jurée: Trois combattront pour tous; mais, pour les mieux choisir,

Nos chefs ont voulu prendre un peu plus de loisir : Le vôtre est au sénat, le nôtre dans sa

tente.

Camille. O dieux, que ce discours rend mon âme contente! Curiace. Dans deux heures au plus, par un commun accord, Le sort de nos guerriers réglera notre sort. Cependant tout est libre, attendant qu'on les nomme: Rome est dans notre camp, et notre camp dans Rome;

1 Employé dans le sens du mot latin divortium.

[ocr errors]
[blocks in formation]

Ce que je vais vous être et ce que je vous suis

Me font y prendre part autant que je le puis:

Mais un autre intérêt tient ma joie en contrainte,

Et parmi ses douceurs mêle beaucoup de crainte:

La guerre en tel éclat a mis votre valeur, Que je tremble pour Albe et prévois son malheur: Puisque vous combattez, sa perte est assurée;

En vous faisant nommer, le destin l'a jurée. Je vois trop dans ce choix ses funestes projets,

Et me compte déjà pour un de vos sujets. Horace. Loin de trembler pour Albe, il vous fait plaindre Rome, Voyant ceux qu'elle oublie, et les trois qu'elle nomme.

C'est un aveuglement pour elle bien fatal D'avoir tant à choisir, et de choisir si mal. Mille de ses enfants beaucoup plus dignes d'elle

Pouvaient bien mieux que nous soutenir sa querelle;

Mais quoique ce combat me promette un

cercueil,

La gloire de ce choix m'enfle d'un juste

orgueil :

Mon esprit en conçoit une mâle assurance; J'ose espérer beaucoup de mon peu de vaillance;

Et du sort envieux quels que soient les projets,

Je ne me compte point pour un de vos sujets. Rome a trop cru de moi; mais mon âme ravie

Remplira son attente, ou quittera la vie. Qui veut mourir, ou vaincre, est vaincu rarement;

Ce noble désespoir périt malaisément. Rome, quoi qu'il en soit, ne sera point sujette,

Que mes derniers soupirs n'assurent ma défaite. Curiace. Hélas! c'est bien ici que je dois être plaint.

Ce que veut mon pays, mon amitié le

craint.

Dures extrémités, de voir Albe asservie, Ou sa victoire au prix d'une si chère vie, Et que l'unique bien où tendent ses désirs S'achète seulement par vos derniers soupirs! Quels vœux puis-je former, et quel bonheur attendre!

De tous les deux côtés j'ai des pleurs à répandre:

De tous les deux côtés mes désirs sont trahis.

Horace. Quoi! vous me pleureriez mou- | Que les hommes, les dieux, les démons et rant pour mon pays!

Pour un cœur généreux ce trépas a des

[blocks in formation]

Horace, Curiace, Flavian.

Curiace. Albe de trois guerriers a-t-elle fait le choix?

Flavian. Je viens pour vous l'apprendre. Curiace. Eh bien, qui sont les trois? Flavian. Vos deux frères et vous. Curiace. Qui?

Flavian. Vous et vos deux frères. Mais pourquoi ce front triste et ces regards sévères?

Ce choix vous déplaît-il?

Curiace. Non, mais il me surprend; Je m'estimais trop peu pour un honneur si grand. Flavian. Dirai-je au dictateur, dont l'ordre ici m'envoie, Que vous le recevez avec si peu de joie? Ce morne et froid accueil me surprend à

mon tour.

Curiace. Dis-lui que l'amitié, l'alliance et l'amour

Ne pourront empêcher que les trois Cu

riaces Ne servent leur pays contre les trois Ho

races.

Flavian. Contre eux! Ah! c'est beaucoup me dire en peu de mots. Curiace. Porte-lui ma réponse, et nous laisse en repos.

SCÈNE III

Horace, Curiace.

Curiace. Que désormais le ciel, les enfers et la terre

Unissent leurs fureurs à nous faire la guerre,

le sort

Préparent contre nous un général effort: Je mets à faire pis, en l'état où nous

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Hors de l'ordre commun il nous fait des fortunes.

Combattre un ennemi pour le salut de tous, Et contre un inconnu s'exposer seul aux coups, D'une simple vertu c'est l'effet ordinaire, Mille déjà l'ont fait, mille pourraient le faire:

Mourir pour le pays est un si digne sort, Qu'on briguerait en foule une si belle mort. Mais vouloir au public immoler ce qu'on aime,

S'attacher au combat contre un autre soimême,

Attaquer un parti qui prend pour défenseur Le frère d'une femme et l'amant d'une sœur;

Et, rompant tout ces nœuds, s'armer pour la patrie Contre un sang qu'on voudrait racheter de sa vie :

Une telle vertu n'appartenait qu'à nous. L'éclat de son grand nom lui fait peu de jaloux,

Et peu d'hommes au cœur l'ont assez imprimée

Pour oser aspirer à tant de renommée. Curiace. Il est vrai que nos noms ne sauraient plus périr. L'occasion est belle, il nous la faut chérir. Nous serons les miroirs d'une vertu bien

rare:

Mais votre fermeté tient un peu du barbare;

Peu, même des grands cœurs, tireraient vanité

D'aller par ce chemin à l'immortalité :
A quelque prix qu'on mette une telle fumée,
L'obscurité vaut mieux que tant de re-
nommée.

1 Modèles.

« PreviousContinue »