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ni les arbres de mon pays; ils ne me disent rien. L'exilé partout est seul.

Ce ruisseau coule mollement dans la plaine; mais son murmure n'est pas celui qu'entendit mon enfance: il ne rappelle à mon âme aucun souvenir. L'exilé partout est seul.'

Ces chants sont doux, mais les tristesses et les joies qu'ils réveillent ne sont ni mes tristesses ni mes joies. L'exilé partout est seul.

On m'a demandé: Pourquoi pleurezvous? Et quand je l'ai dit, nul n'a pleuré, parce qu'on ne me comprenait point. L'exilé partout est seul.

J'ai vu des vieillards entourés d'enfants comme l'olivier de ses rejetons; mais aucun de ces vieillards ne m'appelait son fils, aucun de ces enfants ne m'appelait son frère. L'exilé partout est seul.

J'ai vu des jeunes filles sourire, d'un sourire aussi pur que la brise du matin, à celui que leur amour s'était choisi pour époux; mais pas une ne m'a souri. L'exilé partout est seul.

J'ai vu des jeunes hommes, poitrine contre poitrine, s'étreindre comme s'ils avaient voulu de deux vies ne faire qu'une vie; mais pas un ne m'a serré la main. L'exilé partout est seul.

Il n'y a d'amis, d'épouses, de pères et de frères que dans la patrie. L'exilé partout est seul.

Pauvre exilé! cesse de gémir, tous sont bannis comme toi; tous voient passer et s'évanouir pères, frères, épouses, amis.

La patrie n'est point ici-bas; l'homme vainement l'y cherche; ce qu'il prend pour elle n'est qu'un gite d'une nuit.

Il s'en va errant sur la terre. Que Dieu guide le pauvre exilé!

LA MÈRE ET LA FILLE. C'était une nuit d'hiver. Le vent soufflait au-dehors, et la neige blanchissait les toits.

Sous un de ces toits, dans une chambre étroite, étaient assises, travaillant de leurs mains, une femme à cheveux blancs et une jeune fille.

Et de temps en temps la vieille femme réchauffait à un petit brasier ses mains pâles. Une lampe d'argile éclairait cette pauvre demeure, et un rayon de lampe venait expirer sur une image de la Vierge suspendue au mur. Et la jeune fille, levant les yeux, regardait en silence, pendant quelques moments, la femme à cheveux blancs; puis elle lui dit: „Ma mère, vous n'avez pas été toujours dans ce dénûment?"

Et il y avait dans sa voix une douceur et une tendresse inexprimables.

Et la femme à cheveux blancs répondit:,,Ma fille, Dieu est le maître: ce qu'il fait est bien fait."

Ayant dit ces mots, elle se tut un peu de temps; ensuite elle reprit: Quand je perdis votre père, ce fut une douleur que je crus sans consolation; cependant vous me restiez; mais je ne sentais qu'une chose alors. Depuis j'ai pensé que, s'il vivait et qu'il nous vît en cette détresse, son âme se briserait, et j'ai reconnu que Dieu avait été bon envers lui."

La jeune fille ne répondit rien; mais elle baissa la tête, et quelques larmes, qu'elle s'efforçait de cacher, tombèrent sur la toile qu'elle tenait entre ses mains.

La mère ajouta: „Dieu, qui a été bon envers lui, a été bon aussi envers nous. De quoi avons-nous manqué, tandis que tant d'autres manquent de tout?"

„Il est vrai qu'il a fallu nous habituer à peu, et ce peu le gagner par notre travail; mais ce peu ne suffit-il pas? et tous n'ont-ils pas été dès le commencement condamnés à vivre de leur travail? Dieu, dans sa bonté, nous a donné le pain de chaque jour, et combien ne l'ont pas! un abri, et combien ne savent où se retirer! Il vous a, ma fille, donnée à moi: de quoi me plaindrais-je ?"

A ces dernières paroles, la jeune fille, tout émue, tomba aux genoux de sa mère, prit ses mains, les baisa, et se pencha sur son sein en pleurant.

Et la mère, faisant un effort pour élever la voix:

„Ma fille, lui dit-elle, le bonheur

et lorsque je le tins dans mes bras, la Vierge mère posa sur sa tête une couronne de roses blanches. Peu de mois après, vous naquîtes, et la douce vision était toujours devant mes yeux.“

n'est pas de posséder beaucoup, mais je pris l'enfant qu'elle me présentait; d'espérer et d'aimer beaucoup. Notre espérance n'est pas ici-bas, ni notre amour non plus; ou, s'il y est, ce n'est qu'en passant. Après Dieu, vous m'êtes tout en ce monde; mais ce monde s'évanouit comme un songe, et c'est pourquoi mon amour s'élève avec vous vers un autre monde. Quelque temps avant votre naissance, je priais un jour avec plus d'ardeur la vierge Marie; et elle m'apparut pendant mon sommeil, et il me semblait qu'avec un sourire céleste elle me présentait un petit enfant. Et

Ce disant, la femme aux cheveux blancs tressaillit, et serra sur son cœur la jeune fille.

A quelque temps de là, une âme sainte vit deux formes lumineuses monter vers le ciel, et une troupe d'anges les accompagnait; et l'air retentissait de leurs chants d'allégresse.

XAVIER DE MAISTRE.

Le comte Xavier de Maistre est né à Chambéry en 1764. Pendant la révolution, il émigra en Russie, y devint général et s'y fixa. Il a écrit quelques petits ouvrages qui se distinguent par la naïveté, la grâce, la simplicité, une sensibilité délicate quoique un peu

LE LÉPREUX DE LA CITÉ D'AOSTE. La partie méridionale de la cité d'Aoste est presque déserte, et paraît n'avoir jamais été fort habitée. On y voit des champs labourés et des prairies terminées d'un côté par des remparts antiques que les Romains élevèrent pour lui servir d'enceinte, et de l'autre par les murailles de quelques jardins. Cet emplacement solitaire peut cependant intéresser les voyageurs. Auprès de la porte de la ville on voit les ruines d'un ancien château, dans lequel, si l'on en croit la tradition populaire, le comte René de Chalans, poussé par les fureurs de la jalousie, laissa mourir de faim, dans le quinzième siècle, la princesse Marie de Bragance, son épouse: de là le nom de Bramafan (qui signifie cri de la faim), donné à ce château par les gens du pays. Cette anecdote, dont on pourrait contester l'authenticité, rend ces masures intéressantes pour les personnes sensibles qui la croient vraie.

Plus loin, à quelques centaines de pas, est une tour carrée, adossée au mur antique, et construite avec le marbre dont il était jadis revêtu: on l'appelle la tour de la frayeur, parce que le peu

maniérée. Le Voyage autour de ma chambre est un spirituel badinage; le Lépreux de la cité d'Aoste, les Prisonniers du Caucase et la Jeune Sibérienne sont trois histoires touchantes. Xavier de Maistre mourut à St. Pétersbourg en 1852

ple la crut longtemps habitée par des revenants. Les vieilles femmes d'Aoste se ressouviennent fort bien d'en avoir vu sortir, pendant les nuits sombres, une grande femme blanche, tenant une lampe à la main.

Il y a environ quinze ans que cette tour fut réparée par ordre du gouvernement, et entourée d'une enceinte, pour y loger un lépreux et le séparer ainsi de la société, en lui procurant tous les agréments dont sa triste situation était susceptible. L'hôpital de Saint-Maurice fut chargé de pourvoir à sa subsistance; et on lui fournit quelques meubles, ainsi que les instruments nécessaires pour cultiver un jardin. C'est là qu'il vivait depuis longtemps, livré à lui-même, ne voyant jamais personne, excepté le prêtre qui de temps en temps allait lui porter les secours de la religion, et l'homme qui, chaque semaine, lui apportait les provisions de l'hôpital. Pendant la guerre des Alpes, en l'année 1797, un militaire, se trouvant à la cité d'Aoste, passa un jour par hasard auprès du jardin du lépreux, et il eut la curiosité d'y entrer. Il y trouva un homme vêtu simplement,

appuyé contre un arbre et plongé dans une profonde méditation. Au bruit que fit l'officier en entrant, le solitaire, sans se retourner et sans regarder, s'écria d'une voix triste: Qui est là, et que me veuton? Excusez un étranger, auquel l'aspect agréable de votre jardin a peutêtre fait commettre une indiscrétion, mais qui ne veut nullement vous troubler. N'avancez pas, répondit l'habitant de la tour, en lui faisant signe de la main, n'avancez pas, vous êtes auprès d'un malheureux attaqué de la lèpre. Quelle que soit votre infortune, répliqua le voyageur, je ne m'éloignerai point, je n'ai jamais fui les malheureux; cependant si ma présence vous importune, je suis prêt à me retirer.

Soyez le bien-venu, dit alors le lépreux en se retournant tout à coup, et restez, si vous l'osez, après m'avoir regardé. Le militaire fut quelque temps immobile d'étonnement et d'effroi à l'aspect de cet infortuné, que la lèpre avait totalement défiguré. Je resterai volontiers, lui dit-il, si vous agréez la visite d'un homme que le hasard conduit ici, mais qu'un vif intérêt y retient.

De l'intérêt!... Je n'ai jamais excité que la pitié. Je me croirais heureux si je pouvais vous offrir quelque consolation. C'en est une grande pour moi de voir des hommes, d'entendre le son de la voix humaine qui semble me fuir. Permettez-moi donc de converser quelques moments avec vous, et de parcourir votre demeure. Bien volontiers, si cela peut vous faire plaisir. (En disant ces mots, le lépreux se couvrit la tête d'un large feutre dont les bords rabattus lui cachaient le visage.) Passez, ajouta-t-il, ici au midi. Je cultive un petit parterre de fleurs qui pourront vous plaire: vous en trouverez d'assez rares. Je me suis procuré les graines de toutes celles qui croissent d'elles-mêmes sur les Alpes; et j'ai tâché de les faire doubler, et de les embellir par la culture. En effet, voilà des fleurs dont l'aspect est tout à fait nouveau pour moi. Remarquez ce petit buisson de roses: c'est le rosier sans épines, qui ne croit que sur les

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hautes Alpes; mais il perd déjà cette propriété, et il pousse des épines à mesure qu'on le cultive et qu'il se multiplie. Il devrait être l'emblême de l'ingratitude. - Si quelques-unes de ces fleurs vous paraissent belles, vous pouvez les prendre sans crainte, et vous ne courrez aucun risque en les portant sur vous. Je les ai semées, j'ai le plaisir de les arroser et de les voir; mais je ne les touche jamais. Pourquoi donc? Je craindrais de les souiller, et je n'oserais plus les offrir. — A qui les destinez-vous? Les personnes qui m'apportent des provisions de l'hôpital ne craignent pas de s'en faire des bouquets. Quelquefois aussi les enfants de la ville se présentent à la porte de mon jardin. Je monte aussitôt dans la tour, de peur de les effrayer ou de leur nuire. Je les vois folâtrer de ma fenêtre et me dérober quelques fleurs. Lorsqu'ils s'en vont, ils lèvent les yeux vers moi: Bonjour, Lépreux, me disentils en riant, et cela me réjouit un peu.

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Vous avez su réunir ici bien des plantes différentes; voilà des vignes et des arbres fruitiers de plusieurs espèces. Les arbres sont encore jeunes; je les ai plantés moi-même, ainsi que cette vigne que j'ai fait monter jusqu'audessus du mur antique que voilà, et dont la largeur me forme un petit promenoir; c'est ma place favorite Montez le long de ces pierres; c'est un escalier dont je suis l'architecte. TenezVous au mur. Le charmant réduit! et comme il est bien fait pour les méditations d'un solitaire! Aussi je l'aime beaucoup; je vois ici la campagne et les laboureurs dans les champs; je vois tout ce qui se passe dans la prairie, et je ne suis vu de personne. mire combien cette retraite est tranquille et solitaire. On est dans une ville, et l'on croirait être dans un désert. La solitude n'est pas toujours au milieu des forêts et des rochers. L'infortuné est seul partout. Quelle suite d'évènements vous amena dans cette retraite? Ce pays est-il votre patrie? Je suis né sur les bords de la mer, dans la principauté d'Oneille, et je n'habite ici que depuis quinze

J'ad

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ans. Quant à mon histoire, elle n'est laisse. Enfin, l'année s'écoule, et, lorsqu'une longue et uniforme calamité. qu'elle est passée, elle me paraît enAvez-vous toujours vécu seul? J'ai core avoir été bien courte. Elle deperdu mes parents dans mon enfance, vrait vous paraître un siècle. Les et je ne les connus jamais; une sœur maux et les chagrins font paraître les qui me restait est morte depuis deux heures longues, mais les années s'enans. Je n'ai jamais eu d'ami. In- volent toujours avec la même rapidité. fortuné ! Tels sont les desseins de Il est d'ailleurs encore, au dernier terme Dieu. Quel est votre nom, je vous de l'infortune, une jouissance que le prie? Ah! mon nom est terrible! commun des hommes ne peut connaître, Je m'appelle le Lépreux! On ignore et qui vous paraîtra bien singulière, dans le monde celui que je tiens de c'est celle d'exister et de respirer. Je ma famille et celui que la religion m'a passe des journées entières de la belle donné le jour de ma naissance. Je saison, immobile sur ce rempart, à jouir suis le Lépreux, voilà le seul titre que de l'air et de la beauté de la nature; j'ai à la bienveillance des hommes. toutes mes idées alors sont vagues, inPuissent-ils ignorer éternellement qui décises; la tristesse repose dans mon je suis! Cette sœur que vous avez cœur sans l'accabler; mes regards errent perdue, vivait-elle avec vous? Elle sur cette campagne et sur les rochers a demeuré cinq ans avec moi dans cette qui nous environnent; ces différents même habitation où vous me voyez. aspects sont tellement empreints dans Aussi malheureuse que moi, elle par- ma mémoire, qu'ils font, pour ainsi tageait mes peines et je tâchais d'adou- dire, partie de moi-même; et chaque cir les siennes. Quelles peuvent être site est un ami que je vois avec plaisir maintenant vos occupations dans une tous les jours. J'ai souvent éprouvé solitude aussi profonde? Le détail quelque chose de semblable. Lorsque des occupations d'un solitaire tel que le chagrin s'appesantit sur moi, et que moi ne pourrait être que bien mono- je ne trouve pas dans le cœur des tone pour un homme du monde, qui hommes ce que le mien désire, l'aspect trouve son bonheur dans l'activité de de la nature et des choses inanimées la vie sociale. Ah! vous connaissez me console; je m'affectionne aux rochers peu ce monde qui ne m'a jamais donné et aux arbres; et il me semble que le bonheur. Je suis souvent solitaire tous les êtres de la création sont des par choix, et il y a peut-être plus d'a- amis que Dieu m'a donnés. Vous nalogie entre nos idées que vous ne le m'encouragez à vous expliquer à mon pensez; cependant, je l'avoue, une so- tour ce qui se passe en moi. J'aime litude éternelle m'épouvante; j'ai de la véritablement les objets qui sont, pour peine à la concevoir. Celui qui chérit ainsi dire, mes compagnons de vie, et sa cellule y trouvera la paix. L'imita- que je vois chaque jour: aussi tous les tion de Jésus-Christ nous l'apprend. soirs, avant de me retirer dans la tour, Je commence à éprouver la vérité de je viens saluer les rochers de Ruitorts, ces paroles consolantes. Le sentiment les bois sombres du mont Saint-Bernard, de la solitude s'adoucit aussi par le et les pointes bizarres qui dominent la travail. L'homme qui travaille n'est vallée de Rhème. Quoique la puissance jamais complètement malheureux, et de Dieu soit aussi visible dans la créaj'en suis la preuve. Pendant la belle tion d'une fourmi que dans celle de saison, la culture de mon jardin et de l'univers entier, le grand spectacle des mon parterre m'occupe suffisamment; montagnes impose cependant davantage pendant l'hiver, je fais des corbeilles à mes sens: je ne puis voir ces masses et des nattes; je travaille à me faire énormes recouvertes de glaces éternelles, des habits; je prépare chaque jour moi- sans éprouver un étonnement religieux; même ma nourriture avec les provisions mais, dans ce vaste tableau qui m'enqu'on m'apporte de l'hôpital, et la prière toure, j'ai des sites favoris et que j'aime remplit les heures que le travail me de préférence; de ce nombre est l'er

mitage que vous voyez là-haut sur la sommité de la montagne de Charvensod. Isolé au milieu des bois, auprès d'un champ désert, il reçoit les derniers rayons du soleil couchant. Quoique je n'y aie jamais été, j'éprouve un singulier plaisir à le voir. Lorsque le jour tombe, assis dans mon jardin, je fixe mes regards sur cet ermitage solitaire, et mon imagination s'y repose. Il est devenu pour moi une espèce de propriété; il me semble qu'une réminiscence confuse m'apprend que j'ai vécu là jadis dans des temps plus heureux, et dont la mémoire s'est effacée en moi. J'aime surtout à contempler les montagnes éloignées qui se confondent avec le ciel dans l'horizon. Ainsi que l'avenir, l'éloignement fait naître en moi le sentiment de l'espérance; mon cœur opprimé croit qu'il existe peut-être une terre bien éloignée, où, à une époque de l'avenir, je pourrai goûter enfin ce bonheur pour lequel je soupire, et qu'un instinct secret me présente sans cesse comme possible. Avec une âme ardente comme la vôtre, il vous a fallu sans doute bien des efforts pour vous résigner à votre destinée et pour ne pas vous abandonner au désespoir. Je vous tromperais en vous laissant croire que je sois toujours résigné à mon sort; je n'ai point atteint cette abnégation de soi-même où quelques anachorètes sont parvenus. Le sacrifice complet de toutes les affections humaines n'est point encore accompli; ma vie se passe en combats continuels, et les secours puissants de la religion ellemême ne sont pas toujours capables de réprimer les élans de mon imagination. Elle m'entraîne souvent, malgré moi, dans un océan de désirs chimériques, qui tous me ramènent vers ce monde dont je n'ai aucune idée, et dont l'image fantastique est toujours présente pour me tourmenter. Si je pouvais vous faire lire dans mon âme, et vous donner du monde l'idée que j'en ai, tous vos désirs et vos regrets s'évanouiraient à l'instant. En vain quelques livres m'ont instruit de la perversité des hommes et des malheurs inséparables de l'humanité; mon cœur se refuse à

Herrig, La France litt.

les croire. Je me représente toujours des sociétés d'amis sincères et vertueux; des époux assortis, que la santé, la jeunesse et la fortune réunies comblent de bonheur. Je crois les voir errant ensemble dans des bocages plus verts et plus frais que ceux qui me prêtent leur ombre, éclairés par un soleil plus brillant que celui qui m'éclaire, et leur sort me semble plus digne d'envie à mesure que le mien est plus misérable. Au commencement du printemps, lorsque le vent de Piémont souffle dans notre vallée, je me sens pénétré par sa chaleur vivifiante, et je tressaille malgré moi. J'éprouve un désir inexplicable et le sentiment confus d'une félicité immense dont je pourrais jouir et qui m'est refusée. Alors je fuis de ma cellule; j'erre dans la campagne pour respirer plus librement. J'évite d'être vu par ces mêmes hommes que mon cœur brûle de rencontrer; et du haut de la colline, caché entre les broussailles comme une bête fauve, mes regards se portent sur la ville d'Aoste. Je vois de loin, avec des yeux d'envie, ses heureux habitants qui me connaissent à peine; je leur tends les mains en gémissant, et je leur demande ma portion de bonheur. Dans mon transport, vous l'avouerai-je? j'ai quelquefois serré dans mes bras les arbres de la forêt, en priant Dieu de les animer pour moi, et de me donner un ami! Mais les arbres sont muets; leur froide écorce me repousse; elle n'a rien de commun avec mon cœur qui palpite et qui brûle. Accablé de fatigue, las de la vie, je me traîne de nouveau dans ma retraite, j'expose à Dieu mes tourments; et la prière ramène un peu de calme dans mon âme.

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