Page images
PDF
EPUB

qu'ilz avoyent euz ensemble, & univerfellement mal voulu de tous autres gens de bien & d'honneur pour fa mefchanceté & fa vie defordonnée, avoit foubftraict la ville de Meffene de la communaulté des Achæïens, & difoit on qu'il venoit en armes pour occuper un bourg appellé Colonide. Philopamen eftoit pour lors en la ville d'Argos malade de la fiebvre, & toutefois ces nouvelles ouyes, il fe meit en chemin pour aller à Megalopolis en la plus grande diligence qui luy fut poffible, tellement qu'il feit en un jour plus de vingt & cinq lieues : & de là fe partit incontinent & fans delay, pour aller vers Meffene, prenant avec luy les hommes d'armes Megalopolitains feulement, qui estoyent les plus riches & les plus nobles de la ville, mais tous fort jeunes, lefquelz vouluntairement pour l'affection qu'ilz luy portoyent, & auffi pour le zele d'enfuyvre la vertu, s'offrirent à aller quand & luy :

I

fi fe meirent en chemin droit vers la ville de Meffene & tant allerent qu'ilz arriverent près la motte d'Evander, là où ilz rencontrerent Dinocrates & fa trouppe, qu'ilz chargerent fi rudement qu'ilz le tournerent en fuitte: mais en ces entrefaictes furvindrent cinq cents hommes de renfort › que Dinocrates avoit laiffez

pour

la

* Dans le grec plus de quatre cents ftades. Les quatre cents stades font quinze lieues de France; la lieue évaluée à 2500 toifes

garde

garde du plat païs de Meffene : quoy voyans ceulx qui avoyent esté rompus, & qui fuyoyent, fe rallierent & raffemblerent par les couftaux.

XXXII. Parquoy Philopamen craignant d'eftre environné, & voulant auffi remener à fauveté ces jeunes hommes qu'il avoit amenez quand & luy, commencea à fe retirer par lieux boffus & malaisez, fe tenant luymefme à la queuë, & tournant fouvent vifage aux ennemis en faisant des courses & faillies fur eulx, pour les deftourner d'aller après les autres, fans que perfonne d'eulx luy ozaft toutefois courir fus: car ilz ne faifoyent que crier de loing, & voltiger autour de luy. Mais en s'efloignant ainsi par plufieurs boutées de fa trouppe, pour donner loisir à ces jeunes hommes de fe retirer tous les uns après les autres à fauveté, il ne se donna garde qu'il fe trouva feul enveloppé de tous coftez entre grand nombre d'ennemis, defquelz encore n'y eut il pas un qui l'ozaft aller affronter pour le combatre à coups de main, ains feulement à coups de traict, qu'ilz luy tiroyent de loing, le prefferent tant qu'ilz le rengerent à la fin en des lieux pierreux entre des rochers couppez, là où il avoit beaucoup d'affaire à guider fon cheval, encore qu'il le dechiraft à coups d'efperon : & quant à fa vieilleffe elle ne l'empefchoit point de fe fauver, car elle eftoit verte & robufte pour le Tome IV

G

que

continuel exercice qu'il prenoit : mais de malheur, fon corps eftant affoibly de maladie, & ja las du long chemin qu'il avoit fait ce jour là, fe trouva pefant & malaisé, de maniere que fon cheval venant à broncher le verfa par terre. La cheute fut lourde, & luy froiffa toute la tefte, tellement qu'il en demoura fur la place longtemps tout eftendu fans remuer ny parler, de forte les ennemis penfans qu'il fust mort, vindrent retourner fon corps pour le defpouiller : mais quand ilz luy veirent lever la teste & ouvrir les yeux, ilz fe jetterent adonc plufieurs fur luy, & luy prirent les deux mains qu'ilz luy lierent derriere le dos, faifans tous les oultrages & villanies qu'il eft poffible de faire à un perfonnage, qui n'eust pas cuidé que jamais Dinocrates luy euft fceu faire une telle injure, non pas en fonge mesme.

XXXIII. Si furent ceulx qui eftoyent demourez dedans la ville de Meffene, efpris de merveilleufe joye quand ilz entendirent ceste nouvelle, & accoururent tous aux portes de la ville pour le voir arriver: mais quand ilz veirent qu'on le trainnoit ainfi contumelieusement lié & garroté contre la dignité de tant d'honneurs qu'il avoit receuz en fa vie, & de tant de trophées & de victoires qu'il avoit gaignées, la pluspart en eut pitié, jufques à leur en venir les larmes aux yeux, en confiderant l'infirmité de la nature humaine,

où il y a fi peu de fiance que c'eft moins que rien. Ainfi commencea peu à peu à courir un propos de doulceur par les bouches du peuple, qu'il falloit avoir fouvenance des graces qu'il leur avoit faittes auparavant, & de la liberté qu'il leur avoit rendue, quand il chaffa le tyran Nabis de Messène. Au contraire, il y en avoit d'autres, mais bien peu, qui pour gratifier à Dinocrates, difoyent qu'il luy falloit donner la gehenne, & puis le faire mourir comme un très dangereux ennemy, & qui ne pardonnoit jamais depuis qu'on l'avoit une fois offensé : au moyen dequoy il feroit plus à craindre à Dinocrates, s'il eschappoit après avoir receu de luy une telle ignominie, & avoir efté prifonnier entre fes mains, qu'il n'eftoit auparavant : toutefois à la fin ilz le porterent en un certain caveau dessoubs terre qu'ilz appellent le Trefor, lequel n'a air ny lumiere de dehors aucunement, ny n'a porte ny demie, finon une groffe pierre dont on boufche l'entrée: ilz le devallerent là dedans, & puis refermerent le pertuis avec la pierre, & meirent des hommes armez à l'environ pour le garder.

XXXIV. Or ce pendant les jeunes chevaliers Achæïens, après avoir fouy un efpace de chemin, revindrent un peu à eulx : & regardans çà & là que Philopamen ne comparoiffoit point,cuiderent qu'il euft efté occis. Si s'arrefterent long temps

à l'appeller par fon nom, & voyans qu'il ne leur refpondoit point, commencerent à dire les uns aux autres qu'ilz estoyent bien lasches de fe retirer ainfi, & que ce leur feroit un reproche à jamais d'avoir abandonné leur capitaine pour eulx fauver, attendu mefmement que luy n'avoit point efpargné fa vie pour les remener à fauveté : & en pourfuyvant tousjours leur chemin & enquerant par tout de luy, ilz furent enfin advertiz comment il avoit efté pris, dont ilz allerent porter la nouvelle par toutes les villes de la ligue des Achaïens, lefquelz en menerent tous bien grand dueil, eftimans c'eftoit une fort grande perte que pour eulx : parquoy ilz delibererent de l'envoyer requerir aux Meffeniens par une ambaffade expreffe, & neantmoins cependant faire tous leurs apprefts pour y aller en armes, à fin de l'avoir ou par amour ou par force. Voilà ce que faifoyent les Achæïens.

XXXV. Mais Dinocrates ne craignoit rien plus que le delay du temps, pource qu'il fe doubtoit bien, que c'eftoit ce qui feul pourroit fauver la vie à Philopamen. Parquoy pour prevenir toutes les provifions que les Achæïens y pourroyent donner, quand la nuict fut venue, & que tout le peuple Meffenien fe fut retiré, il feit ouvrir le caveau, & y feit devaller l'executeur de haulte justice avec un breuvage de poifon pour luy pre

« PreviousContinue »