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mis, fur le foir, quand il commenceroit à faire brun, fe retireroyent à la file un à un, & deux à deux dedans la ville: parquoy il envoya bon nombre d'Achæïens en embusche au long des ruiffeaux & coufteaux qui font autour de la ville, lesquelz feirent grand meurtre des gens de Nabis, à cause qu'ilz ne fe retiroyent pas en trouppe, ains à la file, felon qu'ilz s'en eftoyent fouys l'un d'un cofté, l'autre d'un autre, & s'alloyent rendre entre les mains de leurs ennemis, ne plus ne moins que les petits oifeaux qui donnent dedans le retz de l'oifeleur.

XXV. Ces actes eftoyent caufe que les Grecs aimoyent fingulierement Philopamen, & luy faifoyent de très grands honneurs en tous les theatres & toutes les affemblées publiques dequoy Titus Quintius, qui de fa nature eftoit ambitieux & convoiteux d'honneur, avoit un peu de jaloufie, eftimant qu'un conful Romain par raifon devoit eftre plus honoré & prifé des Achaïens, qu'un fimple gentilhomme d'Arcadie : & fi penfoit bien avoir de beaucoup mieulx merité de la Grece, que non pas luy, attendu que par un feul cry de herault il avoit affranchy & remis en fa liberté anciene toute la Grece, qui avant fa venue eftoit ferve & fubjette au roy Philippus & aux Macedoniens. Depuis Titus Quintius feit paix avec le tyran Nabis, lequel peu de temps après

fut occis en trahison par les Ætoliens. A raison dequoy la ville de Sparte fe trouva en grand trouble, & Philopamen embrassant promptement cefte occafion, s'y en alla avec son armée, & feit fi bien partie par amour, & partie par force, qu'il gaigna la ville, & la joignit à la ligue des Achæïens: fi fut fort eftimé & loué des Achaïens pour ce grand chef d'œuvre, d'avoir acquis à la ligue & communaulté une ville de telle puiffance & de fi grande authorité : car ce n'eftoit pas petit accroiffement de forces & de reputation, que la ville de Sparte vinst à estre partie de l'Achaïe: & fi gaigna par ce moyen l'amour & la bienvueillance de tous les plus gens de bien du païs de Lacedæmone, pour l'efperance qu'ilz eurent d'avoir trouvé en luy un defenfeur & protecteur de leur liberté.

XXVI. Parquoy quand la maison & les biens du tyran Nabis eurent efté vendus, comme confifquez à la chose publique, ilz refolurent en leur confeil de luy faire prefent de l'argent, qui monta environ la fomme de fix vingts talents, & luy envoyerent ambaffadeur exprès pour la luy offrir: là où Philopamen feit evidemment cognoiftre que fa preudhommie n'eftoit point apparence feincte, ains une reale verité : car premierement

• Soixante & douze mille efcus. Amyot. Maintenant 560,250 livres de notre monnoie.

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il n'y eut homme de tous les Spartiates qui ozaff prendre la hardieffe de luy aller presenter cest argent ains craignans tous de luy en porter la parole, & s'en excufans, à la fin en feirent prendre la charge à un Timolaus qui particulierement eftoit fon amy & fon hofte : & celuy là encore quand il fut arrivé à Megalopolis, estant logé & feftoyé chez Philopomen, eut en fi grande reverence la gravité venerable de fes propos & de fa conversation, la fimplicité de fon vivre ordinaire, & la netteté de fes meurs fi entieres, qu'il n'y avoit ordre d'en approcher pour les corrompre par argent, qu'il n'oza onques ouvrir fa bouche pour luy parler du prefent qu'il luy avoit apporté, ains controuva quelque autre occafion, pour laquelle il dit eftre venu devers luy : & y eftant renvoyé pour la feconde fois, il en feit encore tout autant : mais au troisieme voyage, toute peine s'adventura il à la fin de luy en ouvrir le propos, luy declarant la bonne affection que luy portoit la ville de Sparte. Philopamen fut bien aife de l'ouir, & le tout entendu s'en alla luy mefme à Sparte, où il remonftra au confeil, ny leurs que ce n'eftoyent point les gens de bien bons amis qu'ilz devroyent tascher à corrompre & à gaigner par argent, attendu qu'ilz fe pouvoyent à leur befoing fervir de leur vertu fans qu'il leur couftaft rien : mais que c'estoyent les

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mefchans, & ceulx qui par leurs feditieufes harengues au confeil mutinoyent & mettoyent la ville en combustion, qu'ilz devoyent achepter & gaigner par loyer mercenaire, à fin que ayans les bouches fermées par dons, ilz leur feissent moins d'ennuy au gouvernement de la chose publique : «Car il eft, dit il, plus expedient d'oster la li» cence de parler & clorre la bouche aux enne» mis, qu'il n'eft pas aux amis » : tant eftoit Philopamen magnanime contre toute convoitife d'argent.

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XXVII. Mais quelque temps après Diophanes qui pour lors eftoit capitaine general des Achaïens, fut adverty que les Lacedæmoniens attentoyent quelques nouvelletez, & s'appreftoit pour les aller chaftier: de l'autre cofté auffi les Lacedæmo

niens fe preparans à la guerre, mettoyent en combustion tout le Peloponefe: parquoy Philopœmen tafcha à addoulcir & appaifer le courroux de Diophanes, en luy remonftrant, qu'eftans pour lors le roy Antiochus & les Romains attachez en guerre les uns contre les autres, avec deux fi puiffantes armées, tout au milieu de la Grece, c'eftoit là où un bon capitaine & fage gouverneur devoit avoir l'œil, & y employer toute fa pensée, non pas remuer aucune chose dedans fon païs en telle faifon, ains plus toft dif fimuler pour un temps, & ne faire pas femblant Tome IV.

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de voir ny d'ouir quelques faultes que lon y pourroit commettre. Diophanes n'en voulut rien faire, ains entra à main armée dedans le territoire de Lacedæmone avec Titus Quintius, & tirerent tous deux enfemble droit vers la ville mefme de Sparte, dequoy Philopamen conceut en luy mefme une telle indignation, qu'il entreprit de faire une chofe, laquelle n'eftoit pas bonnement legitime ny totalement jufte, mais bien eftoit-ce entreprise d'un grand cueur & d'une merveilleuse hardiesse : car il se jetta dedans la ville de Sparte, & estant homme privé garda le capitaine general des Achæïens & le conful des Romains d'y entrer : puis ayant appaifé les troubles & feditions qui s'y eftoyent soubslevées, la remeit à la communaulté des Achaïens comme elle eftoit au paravant.

XXVIII. Toutefois luymefme depuis eftant capitaine general des Achaïens, pour quelques faultes les Lacedæmoniens commeirent, il que les contraignit de recevoir les bannis qu'ilz avoyent chaffez de leur ville, & feit mourir quatre vingts naturelz citoyens de Sparte, ainfi comme l'escrit Polybius, ou trois cents cinquante, ainsi que met Ariftocrates un autre hiftorien: feit abbatre les murailles de la ville, leur retrancha grande partie de leur territoire, qu'il attribua aux Megalopolitains, contraignit de fortir du païs de Lace

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